Qu’est-ce qu’on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ?

 

Depuis le début de l’année, je réécoute du rap. Beaucoup. Chaque jour.
Le rap c’est tout ce qu’il te faut quand t’as la rage, quand tu sens que tout s’arrache.
Bon, je cours aussi.

J’ai jamais vraiment arrêté d’écouter du rap : on est partis en voyage avec une overdose d’Orelsan, on est rentrés dix mois plus tard avec du Mac Towlie en boucle dans les oreilles. MacTo, comme on dit chez nous.
Mais quand je dis « je réécoute », je veux dire : pas du rap de maintenant. Du rap des origines, du rap de ma base, mec j’ai 40 ans (ou à peine plus, ça va), donc je réécoute… NTM.
Ça va que les babi les garçons kiffent aussi, on se met la fièvre à donf dans ma Benz ma 008 (en photo ici) et on balance la tête d’avant en arrière.

T’inquiète pas, y’a pas d’galère
J’le dirai ni à ton père ni à ta mère !

NTM, La fièvre, album « Paris sous les bombes », 1995.

Y’a trop de choses qui m’énervent (Diams)

Pourtant, à l’aube de l’an 2020, pour les jeunes c’est plus le même refrain. Y’a plus de popopopop et la limite, c’est la Petite Souris qui la pose. Elle aime pas NTM. Elle va pas le dire à mon père ni à ma mère mais elle ne veut pas qu’on ouvre les vitres de l’auto. Je lui explique la vie pourtant, que le rap, c’est comme ça que ça s’écoute.
À FOND ET LES VITRES OUVERTES DANS LE CAISSON.

Mais non, y’a pas moyen. Elle a peur qu’on croise des gens qu’on connaît dans la rue et qu’ils entendent ce qu’on écoute. Qu’ils trouvent que c’est trop fort et qu’il y a trop de gros mots.
Que c’est pas la musique qu’une maman devrait écouter avec ses enfants dans l’auto.

Ach’ment d’gros mots, ach’ment d’gros mots… y’a quoi ?, je lui demande.
Y’a France Soir et pis Top 50. Et pis bon, y’a pédalo et pis vélo… c’est tout !
Ah bon…

 

Le Marcass’ rappe avec style. Il est chauffé comme une flamme et puissant comme un fusil d’assaut, mais il veut pas qu’on ouvre les fenêtres non plus. C’est à cause de Raggasonic. Il dit :

– Si y’a ma maîtresse dans la rue, j’ai pas envie qu’elle entend ça !

Pfff. Je me tourne vers le Grand Lièvre, je cherche l’assentiment, une complicité, quelque chose. Et souvent, il est mon seul soutien dans ce genre d’impasses morales pédagogiques d’opinion. Lui et moi dans notre double vie, notre folie contre le reste du monde.

– Eh Lulu… mais qu’est-ce, mais qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? Mais qu’est-ce, qu’est-ce qu’on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ?!

– Non mais maman arrête !
[Mes enfants, je ne sais pas pourquoi mais TOUS, ça les saoule quand je chante. Ils n’aiment pas ça.]
Arrête ! Moi j’ai une idée : on pourrait écouter NTM et Raggasonic quand on est à la maison, comme ça personne nous entend, et dans la voiture on pourrait mettre Jeanne Cherhal ou La Grande Sophie. Moi j’aime bien aussi, avant on écoutait tout le temps, pourquoi maintenant on n’écoute plus ?

Parce que. On n’écoute plus, c’est tout.

Je suis consternée. J’adore Jeanne Cherhal et La Grande Sophie, c’est pas le problème, notez. Mais d’abord, comme je l’ai précisé au début de mon article, ce n’est pas ce que j’ai envie d’écouter en ce moment, et ensuite, je me demande ce que j’ai fait pour avoir des enfants aussi timorés. Aussi conformistes.
Aussi je-ne-fais-pas-de-vagues.

Ce que ça dit de moi en creux, à l’inverse – ou bien de notre époque. Sans tripes.
De la peur des vagues. Du feu et de la tempête.
Si je dois écrire : la moralité s’adresse aux enfants. Ou : Elle est pour les enfants.

 

Le bocal est sans risque de tempête, il suffit de suivre le mouvement. Mais à toujours nager dans le même sens que les autres, on perd ses couleurs, non ?

 

L’autre soir, j’en parle à Mickaël. Qui me répond :

– Ah ouais… je réécouterais bien IAM, ça fait trop longtemps que j’ai pas écouté !

Tu peux chercher comme je l’ai fait : il n’y a dans son commentaire aucun f***ing rapport avec la question que je soulève. Néanmoins, si toi aussi comme Papa Écureuil, tu as 40 ans – ou un petit peu plus ou un petit peu moins – tu sais que dans le rap français de la fin des années 90, il y avait deux écoles (du micro d’argent).

IAM ou NTM.

Là tu te dis : ouais bah (ah non ça c’est moi), on est complémentaires, comme les numéros du loto. On s’est bien trouvés. C’est vrai. C’est super vrai. N’empêche, dans ce genre de fausse battle entre artistes initiée par les médias, d’habitude on choisit le même côté (sombre de la lune).

Beatles plutôt que Rolling Stones.
Nirvana plutôt que Pearl Jam.
Et définitivement, et de très très loin, et sans aucun appel possible, Blur contre Oasis. Personnellement j’ai toujours trouvé que oasis oasis c’était pas bon pas bon.

Et puis au fond, choisir entre IAM ou NTM, c’est un faux débat. Parce que Mickaël aime quand même NTM et que j’aime bien IAM aussi. Parce qu’on reconnaît quand, derrière une chanson, il y a quelqu’un qui pense et qui sait écrire un vrai texte.

 

IAM, Demain c’est loin, album « L’école du micro d’argent », 1997.

Les écoute pas quand ils disent que t’es une dingue, toi (Diams encore)

Mais revenons-en à mon sujet : écouter du rap les vitres fermées dans ton auto parce que tes enfants trouvent qu’il y a trop de gros mots et ne veulent pas que d’autres adultes entendent.
Je pose la question : pourquoi ?
Pourquoi ça les gêne ? Pourquoi ont-ils peur, de quel jugement ?
Que s’imaginent-ils que les gens vont penser, et en quoi cela les amène à suivre la norme ?

Je le vois bien dans leur façon de se comporter à l’école, d’obéir à la maîtresse et de faire ce qu’on attend d’eux. Ne pas sortir du rang.

Tant mieux, dit Papa Écureuil. Et en un sens oui, peut-être tant mieux, ils ne sont pas nés dans la cité, ils ont plutôt la belle life comme on dit chez nous, et je ne suis pas la tarée en train de souhaiter qu’ils foutent le feu à l’école !
Mais quand même, je n’ai jamais utilisé avec eux les injonctions : « obéis », ou : « sois sage », alors tant de conformisme m’interroge. M’effraye aussi, c’est vrai.

Quand ce sont tes enfants, enfin ta fille, qui te disent :

– Nan mais maman, c’est toi pose ton gun. Ça va aller là… Tout va bien aller.
?!*^#%$$?
– Et sinon, tu sais mardi, y’a une sortie à la Fête des jeux en bois, tu crois que tu voudrais nous accompagner ? J’aimerais bien… En plus toute l’école y va, comme ça, ça pourrait compter que tu viens une fois pour nous trois !

 

Un des nombreux slogans de Mai 68. Voilà. C’est ce que j’essaye de transmettre à mes enfants. Mais j’ai rien contre les moutons sinon…

 

Garance prend des gants avec moi. Pour ne pas me blesser, ne pas me heurter non plus dans ce que je crois.

Puisqu’elle n’aime pas NTM, je lui fais écouter Aloïse Sauvage, que je viens de découvrir grâce à ce podcast de Lauren Bastide que j’adore et qui s’appelle : La Poudre.
(Pardon à celles et ceux qui sont abonnés au blog car je vous en ai déjà parlé dans ma newsletter de dimanche dernier, mais j’ai envie d’en parler ici aussi…)

J’ai entendu Aloïse Sauvage pour la première fois il y a deux semaines dans l’épisode #61 de « La Poudre ».
Ensuite j’ai vu qu’elle avait déjà été l’invitée d’Augustin Trapenard dans « Boomerang » sur France Inter en mars dernier. Et que, pour sa Carte blanche, elle avait choisi de reprendre Laissez-moi danser, de Dalida. Mais bref, je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça. C’est une coïncidence. Ça n’a pas d’importance.

J’ai aimé la voix d’Aloïse Sauvage dans La Poudre, tout de suite. Avant même ce qu’elle dit. Que j’ai aimé aussi.

Puis j’ai cherché ses chansons sur YouTube et elles ont résonné en moi. Deux encore plus particulièrement, que j’ai partagées dans ma newsletter de dimanche donc.
Je vous en propose une ici, c’est une reprise.

 

Clip vidéo : Aloïse Sauvage, Animal anormal, cover Holy Two, 2015.

 

– Y’a un petit côté Diam’s, j’ai dit à la Petite Souris.
– C’est qui Diam’s ?

Ah ouais… J’ai eu une bonne période Diam’s quand j’étais enceinte de la Petite Souris justement. Et puis plus. Alors je remonte le temps avec elle et lui fais écouter mes deux titres préférés : Cause à effet et Incassables.
Parce que c’est ce que je voudrais être, incassable.
Mais la Petite Souris n’accroche pas. Avec tout le tact et la délicatesse qui la caractérisent, elle me dit :

– Nan mais je comprends que t’aimes bien hein ! En plus elle dit des gros mots que tu dis aussi… Mais moi je connaissais pas avant et je trouve qu’elle est trop en colère…

Mais mêêêrde ! Ça veut dire quoi « trop en colère » ?
Est-ce que tout va si bien ? Est-ce que rien ne va mal ?
Est-ce qu’on vit dans un p… de monde si juste et si parfait qu’il n’y a pas de quoi être en colère ?

 

Une image comme vous en avez sans doute déjà vu plein. Moi celle-là elle m’a retournée. (Photo de Juan Medina pour Reuters.)

 

Vos enfants sont comme ça aussi ? Vous sentez qu’ils ont moins la rage que vous à leur âge ?

Je me dis : c’est parce que les miens sont encore petits. Six, huit et dix.
Mais ma meilleure amie a deux gaillards de seize ans et c’est même absence de combat !
Alors quoi, c’est culturel ? C’est sociétal ?
On leur donne trop d’argent, trop d’amour, trop de chance, on leur fait la vie trop douce ?

Et c’est ça qu’tu veux pour ton fils ?
C’est comme ça qu’tu veux qu’il grandisse ?

Dans le miel, affalés comme des loukoums sur le canapé ?
Et vous savez quoi, le pire ?
EN PYJAMA !!!

Ça me tue. J’ai jamais compris ce truc du pyjama.

J’t’explique, c’qu’ils kiffent mes babi, c’est pas comme dans la suite de la chanson que tu connais, celle-ci.
Ça viendra peut-être mais pour l’instant, c’qu’ils kiffent quand y’a pas école, c’est de rester le plus longtemps possible à la maison EN PYJAMA.

Je les laisse faire, parce que Papa Écureuil dit que c’est moi qui ai un problème avec ça, pas eux. Ok. Si tu veux. N’empêche. Moi dès que j’étais plus une enfant, j’ai plus eu de pyjama. Et même avant, de ma vie je ne me rappelle pas avoir jamais TRAÎNÉ EN PYJAMA !!!

Parfois ils passent tout leur week-end en pyj’ pyj’. Si on ne les force pas à sortir.
J’avoue que ça m’arrange bien d’aller courir seule, et pas avec un ou deux ou trois babi en vélo derrière moi. J’aime pas ça. Mais donc je cède et j’en arrive à les laisser faire ce truc du pyjama…

 

Dessin de presse de Kroll pour le journal belge Le Soir.

 

Sur ce…

Viens ! Viens me dire en face que tout est cool
Soit t’as des couilles soit tu coules
Donc moi je cours quand le monde s’écroule !

(C’est encore du Diam’s de Cause à effet 🙂 )

 

*****

 

Et vous, vos enfants, ils restent en pyjama ?
Ils écoutent Roméo Elvis et Maître Gims, ils trouvent que tout est cool, qu’il n’y a pas de quoi être en colère ?