Photo : En bateau avant-hier sur la rivière aux parfums, à Hué (Vietnam, mai 2019).
Aujourd’hui, le Marcass’ a six ans.
Nous fêterons son anniversaire à Hué, au Vietnam.
Ça fait un moment qu’il l’attend et il sait exactement ce qu’il veut. Le Marcass’ sait toujours EXACTEMENT ce qu’il veut, tu peux pas lui faire à l’envers. Depuis qu’il est né et qu’il a craché la tétine et qu’il n’a jamais accepté un seul biberon. Mais je reparlerai plus loin de ce charmant trait de caractère…
Pour mon anniversaire de mes six ans, je veux un hôtel de luxe avec une piscine en forme de banane au dixième étage tout en haut d’un grand immeuble, et un jacuzzi pour me reposer quand j’en ai marre de la piscine. Je veux un énorme buffet de petit-déjeuner avec des pains au chocolat et du camembert le matin, des nouilles chinoises dans un bouillon pour le midi, et des pâtes au pesto comme dans le cametard pour le soir. Je veux manger une glace à la vanille avec des morceaux de chocolat noir dans un cornet, et je veux dormir tout seul avec maman la nuit.
Voilà, c’est dit. Et redit, c’est pas comme si on l’avait pas entendu des dizaines de fois par jour depuis l’anniversaire de Lulu.
Papa Écureuil a dit à Chouch qu’il essayerait au maximum de réaliser ses souhaits. Mais qu’il pouvait toujours rêver pour dormir tout seul avec maman la nuit.
« Couic », a répondu Marcel pour marquer sa déception.
Et c’est ça, d’abord, le Chouch : il est drôle.
Il ne cherche pas à amuser les autres – parce qu’il n’a pas tellement besoin des autres, il n’est pas en quête de contact, d’amitié ou de reconnaissance – mais il a tout le temps des mimiques, des expressions qu’il invente comme : le glissamoule, les fruits de la passe, le Père-No, touche pas mon ziz’, venez pas je fais mon cac’, le Pap’ tu viendras me faire la douchette…
Et puis sa grosse voix, sa façon de parler parigot comme s’il était né aux Buttes-Chaumont le siècle dernier : j’m’appelle Marcel (comme dans la chanson de « Marcel le Père-Noël » ou comme Arletty dans Les Enfants du Paradis), j’préfère dormir dans l’cametard, ou encore : j’vais crever !
Nos autres enfants ne s’expriment pas de cette façon-là… mais Marcel, on l’entendrait presque parler le louchébem des bouchers de 1850.
Pourtant, la chanson qui lui est le plus étroitement associée n’est pas le tango des joyeux bouchers de Boris Vian que j’aime d’amour. Elle est tirée d’un conte musical jeunesse qui porte son prénom : « Marcel le Père-Noël ». Écrit et composé par Merlot, raconté par Reda Kateb.
Voici un petit aperçu du style :
Mais la meilleure chanson de l’album, la préférée de Marcel et de nous tous, c’est la chanson-titre : Marcel le Père-Noël ! Je ne la trouve pas sur YouTube mais je ne peux pas continuer à écrire sur Marcel sans cette chanson… Tenez, cadeau !
(Vous me maudirez ce soir si vous l’avez encore dans la tête).
Piste audio : Marcel le Père-Noël, album « Marcel le Père-Noël (et le petit livreur de pizza) », 2015.
Mickaël s’inquiète de tant de vulgarités pour l’entrée au CP au mois de septembre. Surtout maintenant, à vivre dehors avec ses cheveux longs jamais coiffés, on dirait de plus en plus un sauvageon.
Mais, heureusement pour l’école, Marcel est soigneux.
Limite précautionneux.
Limite gros psychopathe du rangement par couleur des crayons de couleur comme sur le modèle de la boîte en fer. Tu vois le potentiel de serial killer chez ton enfant et t’as peur, un peu.
Quand l’ATSEM de petite section te dit :
– Moi j’aime bien Marcel parce que c’est le seul à faire son lit quand il se réveille de la sieste !
Elle te prend de court, il ne t’a jamais dit qu’il faisait son lit, et t’as pas envie de passer pour qui tu n’es pas, alors tu te défends :
– Ah ! C’est pourtant pas moi qui lui demande !
Et l’ATSEM, du tac au tac :
– Oh j’me doute bien ! J’ai eu Lulu aussi !
Ah voilà. Ton enfant de juste avant, qui est… comment dire ?… qui n’est pas… enfin… il est la caution qui prouve que c’est pas toi la monomaniaque.
C’est que lui, le Chouch, le psychopathe ! Il range ses chaussures l’une à côté de l’autre bien alignées quand il rentre à la maison, il plie ses vêtements le soir pour le lendemain, et le lendemain matin son pyjama (il le plie).
Évidemment, être soigneux peut comporter, de fil en aiguille, un revers qui se caractérise généralement par un certain manque de souplesse. Pour le dire gentiment. Mais on peut dire aussi : Marcel est borné têtu. Il a des idées très arrêtées sur comment les choses doivent être. C’est-à-dire EXACTEMENT comme il le souhaite, lui.
Va mourir si tu veux lui remettre son bandeau dans les cheveux de façon à ce que ce soit beau (pour toi), et pas appuyé derrière la tête de sorte que des Thaïlandais fans de tennis le montrent du doigt en disant :
– Ah yes Nadal ! Nadal !
Va mourir. Il va enlever tout ce que t’as fait et remettre son bandeau EXACTEMENT comme il était. Nadal o mouk.
Pareil les gants roses qu’il porte tout l’hiver avec le plus grand mépris pour ceux de sa classe qui se moquent que ce sont « des gants de fille », la chemise boutonnée jusqu’en haut du cou, et les chaussettes remontées jusqu’aux genoux au printemps.
Parfois, tu sais pas pourquoi, tu tentes un dernier et pathétique : « Mais Chouch, c’est moche ! » – qui est déjà en lui-même une démission.
Et là Marcel te jette un regard, tu peux pas croire. C’est comme un énorme doigt d’honneur le truc qui sort de ses yeux noirs et qui te dit : va crever.
Et puis, parce que ça va bien avec être borné têtu, Marcel lâche pas l’affaire.
Il ne va JAMAIS oublier un truc qu’il t’a demandé ou que tu lui as dit. Si t’as cru un instant que tu pouvais lancer une sorte d’idée en l’air comme : oui oui on ira au zoo de Sydney. Inconscient(e) !
Il y a quatre jours, en se réveillant, il est venu se coller contre moi et il m’a posé cette question :
– Mais maman, comment les graines des bébés qui sont dans les boules du zizi des papas elles rentrent dans le ventre des mamans hein ? Tu peux m’expliquer ça ?
Avec son air de défi, genre hein hein, qu’est-ce que t’as à répondre à ça ??
Papa Écureuil a rigolé parce que c’est pas son problème ces questions-là. Et il sait que le Marcass’ ne me lâchera pas jusqu’à ce que je lui ai répondu avec suffisamment de précisions pour que l’explication lui paraisse satisfaisante.
Après on s’étonne qu’à trois ans et demi, il savait déjà ce qu’étaient les règles des femmes !
[Lire * Note du 15 mai 2019 * à la fin de cet article si vous cherchez un embryon de réponse…]
Enfin je ne peux pas terminer un portrait de Marcel sans évoquer sa sensualité.
Il aime ce qu’il peut toucher, manipuler, goûter, pétrir… La cuisine est une des meilleures choses de sa vie. Manger. Vivre dans l’eau. Et puis les câlins, caresser, masser, tripoter, et se faire caresser, masser, tripoter. Et recommencer. Indéfiniment.
Le Marcass’ en un mot : ASSURANCE
(Pour ne pas dire égocentrisme. Parce qu’on travaille à ce que ça change. Qu’il ne termine pas l’assiette de mangue sans demander D’ABORD si quelqu’un en veut encore. Voire, si tout le monde en a eu. Parce qu’à six ans, on devrait être sorti du nombrilisme de la petite enfance et prendre en compte les autres avec leurs désirs, même s’ils entrent en conflit avec les siens. On devrait.)
ΞΞΞΞΞ Et petit tour en photos ΞΞΞΞΞ
8 mai 2013. Marcel est né.
Au moment où Marcel a décidé de naître, il est né. Très rapidement, très naturellement. J’y vais, et c’est bon, comme il dit tout le temps. Même Isabelle, notre sage-femme, est arrivée trop tard : lui et moi on avait fait le job.
Ensuite il est resté sans prénom pendant presque deux jours, comme pour mieux le choisir, quand Papa Écureuil a demandé :
– Est-ce qu’il n’aurait pas la tête d’un petit Marcello ?
Si. Il était très très beau déjà, tout de suite.
2014. Marcel a un an.
Marcel est un bébé souriant, heureux de tout, qui ne se plaint jamais – ah non pardon, je me trompe d’enfant, ça c’était la première année de ce bébé-là.
Marcel est un bébé centré sur la maison, et sur moi particulièrement. Il aime être collé à moi au sens propre, le plus possible, et ne cherche pas à s’éloigner pour explorer le monde.
Papa Écureuil est derrière moi pendant que j’écris cet article. Il regarde la photo, il dit :
– C’est une bonne image de Marcel…
2015. Marcel a deux ans.
Marcel est un enfant « sauvage ». Il aime plus que tout être avec nous, ses parents, son grand frère, sa grande sœur, éventuellement ses grands-parents, mais c’est tout. Les autres, les amis, les étrangers, ce sera pour plus tard. Il déteste qu’on l’approche de force, encore moins qu’on le touche ou qu’on l’embrasse.
C’est une époque où je suis soulagée d’avoir deux autres enfants sociables, qui disent bonjour et merci et sourient poliment. Quand je suis seule avec Marcel, j’imagine ce que les gens se disent (surtout les vieilles de notre rue qui se permettent de pincer la joue de Marcel entre leur pouce et leur index). Les enfants d’aujourd’hui sont mal élevés.
2016. Marcel a trois ans.
Maintenant, après trois ans de batailles, Marcel dit bonjour (parfois). Mais il le fait (quand il le fait) en montrant bien ce que ça lui coûte, genre ma mère m’oblige mais ça m’arrache vraiment.
D’ailleurs il peut tout aussi bien décider que non, il ne le fera pas. Comme à la demi-journée d’intégration en petite section de maternelle en juin 2016 pour préparer la rentrée de septembre. Il refuse de dire bonjour à la maîtresse (qui est aussi la directrice de la maternelle). Il refuse même d’entrer dans la classe. Pendant deux heures, il reste debout dans le couloir malgré toutes les tentatives d’approche par le jeu.
Quand on rentre à la maison, je ne suis pas contente, je lui demande :
– Comment tu vas faire au mois de septembre ?
– Au mois de septembre, je dirai bonjour à Sandrine et je rentrerai dans la classe avec les autres. Mais là c’est pas encore le mois de septembre.
Ce qu’il a fait. Le premier jour de la rentrée de septembre 2016, il a dit bonjour à Sandrine et il est entré dans la classe avec les autres. Sans hésiter, sans un mouvement de recul. Nadal o mouk.
2017. Marcel a quatre ans.
Marcel est un enfant qu’on dit « bien dans sa peau ». Il aime dessiner, surtout les animaux, prendre des bains chauds, couper des légumes avec un couteau pointu et faire de la pâtisserie avec moi.
Il est invité à des anniversaires mais il ne me parle de personne à l’école. Il me raconte juste en détails, tous les soirs, ce qu’il a mangé à la cantine, ce qui était bon et ce qui n’était pas du tout bon. Je lui demande :
– Mais tu as des copains sinon, à l’école ? Des enfants que tu aimes bien ?
– Non, ils m’intéressent pas. Je préfère jouer au foot, aux Légos ou à Pokémon avec Lulu.
2018. Marcel a cinq ans.
Marcel réclame beaucoup (de temps, d’attention, d’amour). Il aime passer des moments seul à cuisiner avec moi ou avec son papa, mais aussi seul à jouer dehors avec son grand frère, ou seul à dessiner sur le petit bureau avec sa grande sœur.
Il est très attentif et appliqué à ce qu’il fait, mais il peut entrer dans de grosses colères si son dessin n’est pas à la hauteur de ce qu’il en attendait ou si la pièce du puzzle ou du Lego ne s’emboîte pas comme il faudrait.
Vous connaissez tout ce qui l’énerve, vous lisez ses billets dans Le nasillement du Marcass’…
Aujourd’hui, en 2019.
Marcel grandit de manière incroyable depuis que nous sommes partis en voyage. Physiquement – mounette pleure qu’il « perd toutes ses rondeurs » – mais aussi intellectuellement, émotionnellement. Il découvre, il apprend, sur lui-même, sur le monde.
La vie d’aventure à cinq, toute la journée ensemble, et la nuit aussi, toujours dormir avec quelqu’un, semble lui convenir parfaitement. Je crois que c’est le seul de nous tous à ne pas souffrir du manque de moments seul(e). Avec Papa Écureuil aussi, à qui la solitude ne manque pas trop. Tant mieux, comme ça ils peuvent rester tous les deux, comme un Pap’ et son greffon !
* Note du 15 mai 2019 *
Ce soir à Hanoï, le Grand Lièvre propose une réponse à la question du Marcass’ à propos de comment font les graines des bébés pour entrer dans le ventre des mamans.
Ben c’est facile ! Il faut que les papas et les mamans soient allongés par terre face à face sur une ligne et ils collent le dessous de leurs pieds ensemble. Le pied droit de la maman contre le pied gauche du papa et le pied gauche de la maman contre le pied droit du papa, et ils poussent, ils poussent à fond. Surtout le papa, il doit pousser très très fort comme s’il voulait faire un énorme caca, comme ça les graines dans les boules du zizi, elles sont propulsées comme une fusée et elles passent à toute vitesse dans les jambes du papa et dans les pieds, et elles arrivent dans les pieds de la maman, et elles remontent jusqu’au ventre. Voilà !
La Petite Souris nous regarde alternativement Papa Écureuil et moi, en levant les yeux au ciel avec un sourire amusé et l’air entendu de la grande fille qui sait déjà tout de la vie…
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Et vous, avez-vous un enfant particulièrement sûr de lui ? (que vos autres enfants appellent possiblement « lui, le Roi » ?)
Un enfant qui ne semble pas avoir besoin de l’approbation des autres pour avancer dans la vie ?