Photo : La Petite Souris à Tikehau le mois dernier (Polynésie Française, janvier 2019)
Aujourd’hui, la Petite Souris a dix ans.
Nous fêterons son anniversaire avec son cousin Noa, qui a deux mois de moins qu’elle et avec qui elle est très très complice, et sa cousine Lilie. Et mounette. À Krabi, en Thaïlande.
Garance est celle qui a fait de moi une maman. Quand je ne savais rien. Quand je m’étonnais qu’on me laisse m’occuper seule de ce bébé sans que personne ne vienne surveiller, si je faisais bien ou pas bien, si je prenais soin.
Et je ne pouvais pas rêver meilleure petite fille.
Souvent, je me dis que je ne la mérite pas. Sa patience, sa douceur, son respect des règles, sa raison et sa sagesse, qui m’impressionnent tellement. Probablement parce que je ne sais pas ça.
Et puis toutes les autres grandes qualités qui la caractérisent. Sa sensibilité, son empathie, sa finesse d’analyse et sa compréhension subtile et instinctive des rapports humains, des non-dits. La façon dont elle sait exprimer à haute voix les émotions complexes et parfois contradictoires qui la traversent.
Cette merveilleuse personne qu’elle devient.
Si je le dis moi, on croit que ce n’est pas objectif, parce que je suis sa maman. Que l’amour maternel, sûrement, trouble ma perception. Mais je ne suis pas la maman de Romain Gary. Je sais reconnaître les qualités et les défauts de mes enfants – qui en aucun cas ne me reviennent.
Et Jeanne de l’école, qui est la référente de l’accueil périscolaire, est venue me voir avant notre départ en voyage :
« Je voulais vous dire, Garance, c’est une belle personne ».
Voilà. Garance est : une belle personne.
Un cadeau pour ceux qui la côtoient. Une chance, immense, pour ceux qui vivent avec elle.
Profondément honnête, même quand il s’agit d’avouer qu’elle a fait une erreur ou qu’elle est responsable d’une bêtise. Sa façon de demander pardon quand, de temps en temps, il arrive qu’elle s’énerve et qu’elle me parle mal. Jamais je ne l’ai entendue mentir ou dissimuler une vérité. Parce que son sens de la justice l’emporte sur tout, même quand celle-ci lui est défavorable.
La Petite Souris en un mot : EMPATHIE.
ΞΞΞΞΞ Et petit tour en photos ΞΞΞΞΞ
26 février 2009. Garance est née.
Piste audio : Bob Dylan, Hurricane, album « Desire », 1976.
J’ai senti les premières contractions arriver sur Hurricane de Bob Dylan, et maintenant je repense à ce moment-là à chaque fois que j’écoute la chanson.
On a toutes, et même tous, un souvenir précis des quelques heures avant d’accoucher, non ?
Sauf pour le Marcass’ où c’était plus une affaire de minutes que d’heures et où j’ai pas eu le temps de penser grand-chose à part : il vient. Genre là, MAINTENANT, et je vais accoucher dans mon auto toute seule ! Mais c’est plutôt rare…
2010. Garance a un an.
… et pas encore de cheveux ! Je suis dingue de son grain de beauté sur la nuque qui est apparu très tôt, quand elle avait deux ou trois mois, et qui est magnifique. Je sais qu’un jour on ne le verra plus, noyé sous une épaisse masse de cheveux…
Je porte Garance en écharpe depuis qu’elle est née. Pour me déplacer partout mais aussi à la maison, à chaque fois qu’elle pleure. Sur le ventre les trois premiers mois, puis sur le dos, ce qui est quand même moins pénible et beaucoup plus pratique quand tu cuisines (et moins dangereux 😉 ).
À 18 mois, je ne la porte plus sur le dos que pour sortir, quand elle fatigue de marcher, parce que c’est le moment où je suis de nouveau enceinte (et elle devient lourde).
Garance est un bébé facile, comme on dirait pour parler d’un bébé tranquille et observateur qui comprend beaucoup de choses. Évidemment je n’ai pas d’autre enfant, je peux prendre le temps de lui expliquer tout !
2011. Garance a deux ans.
Toujours ce magnifique grain de beauté, toujours pas de cheveux, mais déjà un petit frère qui est né et sur lequel elle veille avec beaucoup d’amour et de douceur, et une grande patience. Très vite, c’est elle qui l’apaise quand il pleure et lui chante des chansons pour le rassurer. Ça restera. Ce « t’inquiète pas mon Lu coquin ». Aujourd’hui les mots ont changé mais c’est là toujours.
Vous allez penser que je ne la prends en photo que de dos, alors je mets le côté face aussi… 🙂
2012. Garance a trois ans.
Trois ans qu’elle attend maintenant et ses cheveux ne poussent pas encore vraiment, à son grand désespoir. Chaque jour je lui chante que c’est sa chance, le cadeau de sa naissance, sa façon d’apprendre la patience…
En septembre 2012, elle entre en maternelle et ne reste à l’école que le matin. Je vais la chercher tous les jours à midi, avec Lu en écharpe sur le dos, c’est un des nombreux avantages que je sois à la maison. Garance n’aime pas l’école. Tout se passe bien, elle a des copines et tout, mais elle n’aime pas l’école. Elle me dit qu’elle a hâte de rentrer à la maison « pour voir mon Lu » et qu’elle ne voudrait pas que je retravaille.
2013. Garance a quatre ans.
Et bientôt un deuxième petit frère à naître. Elle a hâte qu’il arrive pour s’occuper de lui et elle lui parle à travers mon ventre. Tout en répétant à Lu qu’elle ne va jamais cesser de l’aimer.
Elle aimerait beaucoup se faire percer les oreilles, mais je trouve qu’elle est trop jeune pour un acte sur son corps qui n’est pas vraiment réversible (ouais des fois j’ai des principes un peu rigides…). Je lui dis : dans un an, si ton envie est toujours là, c’est qu’elle est solide, c’est que tu le veux vraiment, alors d’accord on le fera.
En attendant cette coquetterie, c’est la grande période des robes à volants et des jupes qui tournent. Plus c’est shiny and glossy, meilleur c’est ! Tout est bon pour qu’on ne la prenne plus pour un garçon…
2014. Garance a cinq ans.
Elle n’a pas oublié le cadeau promis pour ses cinq ans. Se faire percer les oreilles. Et ses toutes premières boucles d’oreilles en or en forme de petits cœurs offertes par Marie, sa marraine.
Les boucles d’oreilles, les colliers dès le matin, les robes, aident à patienter, un peu, que les cheveux poussent comme ceux de toutes les autres filles de la classe…
C’est une période très difficile avec Lu, qui me demande beaucoup de temps et encore plus d’énergie, et Garance s’occupe de Marcel avec soin. Elle joue avec lui sans faiblir, elle le câline, s’enthousiasme de ses menus progrès. Je lui dis : « Laisse-le minette, c’est pas ton rôle, fais ce que tu as envie de faire. ». Mais elle répond : « Mais c’est ce que je fais, je suis bien, là. Moi j’aime tout le temps m’occuper des bébés tu sais ! ».
2015. Garance a six ans.
En septembre 2015, elle entre au CP. C’est la grande école, ça change beaucoup de choses…
D’abord elle s’inquiète pour Lu, « qui reste tout seul en maternelle ».
Et puis elle perçoit de nouveaux rapports de force dans la cour de récréation, violents.
« Maman, il y a une fille méchante à l’école. Elle entraîne les autres enfants et tout le monde se moquent de X parce qu’elle est pas comme nous et qu’elle est sale. Moi je me moque pas mais je dis rien, et je me sens mal quand même de dire rien. »
Alors on parle, beaucoup, et de plus en plus.
Comme chaque année, Mickaël et moi ré-interrogeons notre choix que je reste « au foyer ». Et Garance ne cache pas son opinion sur ce sujet (ni sur aucun autre d’ailleurs) : « Je voudrais pas que tu retravailles maman. On est bien comme ça. Je veux pas qu’on aille à la garderie le soir et qu’on n’ait plus de temps pour jouer à la maison et qu’on mange que des pizzas surgelées. »
[Note : Je retranscris les paroles de Garance telles quelles. Bien sûr il y a plein de couples dont les deux conjoints travaillent et dont les enfants ne mangent pas que des pizzas surgelées !]
2016. Garance a sept ans.
Ses cheveux ont poussé, enfin, et cette nouvelle féminité a signé la mise à mort de la jupe. Jusqu’à ce jour elle n’a pas ressuscité. (La jupe et la robe aussi bien sûr, voyez l’idée.) Short l’été, jean mille fois rapiécé par mounette l’hiver, et point.
On dit « sept ans l’âge de raison ». Je ne sais pas ce que ça veut dire vraiment, encore moins pour une petite fille comme Garance qui a toujours été si raisonnable (ce truc de dingue qui fait que je ne la mérite pas 😉 ). Mais en grandissant elle approfondit sa réflexion. Avec parfois des remarques déconcertantes comme :
« Est-ce que tu pourras acheter une cup pour moi quand j’aurai mes règles ? Parce que tu vois, ce que je comprends pas, c’est pourquoi les magasins continuent de vendre des couches pour les règles. S’ils arrêtaient d’en vendre et que plus personne pouvait en acheter, toutes les femmes seraient obligées d’utiliser une cup, et il y aurait moins de pollution, non ? »
Là, quand papa Écureuil entend ça, soit il dit : « daz coo », avec sa moue spéciale que je ne peux pas vous faire. Soit il dit : « Garance, sept ans »…
2017. Garance a huit ans.
Elle est très sensible aux problèmes de pollution et d’environnement. Elle aime les fleurs, les plantes, la nature, depuis toute petite, et elle est très choquée quand elle voit quelqu’un jeter une bouteille d’eau en plastique vide par la vitre de son auto. (Dans notre rue, ça s’est passé. On rentrait de l’école. Une auto stationnée. Garance a jeté un regard noir au passager qui venait de commettre le délit, et, sans le quitter des yeux, elle est allée ramasser la bouteille en plastique pour aller la jeter ostensiblement dans la poubelle JUSTE À CÔTÉ.)
Il y a deux ans, je ne sais plus comment mais début 2017 donc, Garance découvre l’élevage en batterie. Bon bah elle n’a plus jamais mangé un œuf depuis sans demander d’abord si « c’est un œuf de batterie ? », comme elle dit. Elle n’a plus touché au poulet de la cantine non plus. Ni aux nuggets du MacDo.
Je soutiens son mouvement hein, mais je ne vous cache pas qu’en voyage c’est difficile…
On essaye de lui faire comprendre que, si c’est seulement occasionnel, parce que papa Écureuil cherche toujours son burger de Marshall au Burger King de l’aéroport, c’est peut-être pas si grave.
N’empêche, ici en Thaïlande quand on mange dans la rue, elle préfère commander une noodle soup avec vegetables mais SANS chicken. Au cas où. S’il y a des poulets en batterie ici aussi.
[Et sûrement il y en a, parce qu’il y a des McDo et des KFC. Mais peut-être le poulet arrive congelé en barquettes en direct des gigantesques hangars américains, je ne sais pas. Je ne veux pas creuser.]
2018. Garance a neuf ans.
Et il me semble qu’elle a grandi cette année plus que toutes les autres. Je ne parle même pas de l’expérience du voyage, depuis qu’on est partis, mais avant déjà, toute cette première moitié de 2018 dans la préparation au départ… Et ce temps qui passe si vite me serre parfois. Vous lisez ses billets dans Le chicotement de la Petite Souris, vous savez comment elle est.
Je regarde cette photo d’elle que j’ai prise au mois de juin dans notre jardin, et j’ai l’impression qu’elle a 13 ans déjà et pas 9 !
Aujourd’hui, en 2019.
Il y a quinze jours, j’ai reçu un mail d’une amie qui me fait partager ses sentiments de maman et qui ressent, en lisant les articles de Garance, qu’elle est « une grande ». Grande au sens de : ses préoccupations sont difficiles, elle n’est pas insouciante comme une petite fille.
Ça me remet en question immédiatement, je doute et je culpabilise : peut-être que je ne mets pas assez de filtres avec mes enfants, peut-être que je leur parle trop ? Peut-être que Garance n’a pas assez d’enfance « insouciante » ?
Je partage mes questionnements avec papa Écureuil qui n’a pas du tout la même perception du mail et qui me répond que Garance EST comme ça.
Elle est curieuse, elle te pose des questions et tu es à l’écoute. Elle demanderait pas si elle ne se sentait pas capable d’entendre la réponse.
Et Garance entend tout ce qu’on dit (c’était petit notre appartement Airbnb à Sydney…), et elle me dit : « Nan mais maman, moi J’ADORE quand tu me parles, j’ai de la chance que tu me parles ! J’ai pas du tout peur de ce que tu me dis, c’est pas à cause de ce que tu me dis que je vais moins aimer la vie ! ».
Ouf alors. Parce que moi je me souviens très bien quand j’étais une petite fille et je crois n’avoir jamais été « insouciante ». Mais ça ne m’empêche pas d’aimer la vie non plus… 🙂
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Et vous, parlez-vous sans tabous avec vos enfants ?