Give me my Alison back !*

Photo : J’ai beaucoup aimé faire cette photo au temple de Kofuku-ji, à Nara (juin 2018).
Au Japon, chacun est libre de sa religion et la tolérance est grande, du moment que la pratique se fait dans le respect des autres.

 

* Connaissez-vous la meilleure série de tous les temps, d’après Papa Écureuil ?
The Wire. J’en parle ici.
Voyez le Bunk qui vire une brosse (lire lexique franco-québécois ici) et qui braille :
– Jimmy ! Jimmy… Give me my Jimmy back !

Eh bien c’est ce que j’ai eu envie de crier après chaque massage en voyage :
Give me my Alison back !

∼∼∼∼∼

Les massages & moi

Épisode 1 : Les massages en France

 

J’ai commencé à écrire des bouts de trucs pour cet article il y a un an. L’idée était de dresser une sorte de tour du monde pas-tout-à-fait-du-monde des massages.
Parfois les choses prennent du temps et ne s’effacent pas pour autant…

Avertissement

Quand je critique un massage, je ne porte pas de jugement sur le pays, ni sur la culture des masseurs masseuses. Je parle toujours de mon expérience à moi, particulière, qui ne peut en aucun cas être généralisée à tous les massages (thaï, balinais, ayurvédique…).

Dans cette série de cinq épisodes, peut-être je vais beaucoup dire tu, contrairement à mon inclination naturelle – mais il paraît que je suis démodée, comme Christophe avec ses mots bleus. Et sa moustache, qui à moi me plaît tant en ces temps de dictature de la barbe.
Comme mon pote Frantz, qui l’ose.

Enfin. Je m’élance et puis je recule. Devant une phrase inutile. Donc je dis tu pour que vous vous mettiez plus facilement à ma place, mais c’est un tu qui veut dire je. Qui n’engage que moi. Si tu ne te reconnais pas dedans, c’est pas toi. Voilà, ce tu-là. Pas le tu de : on ne se connaît pas mais on est jeunes et on est cool donc on se tutoie. Non. Comme moi je ne suis plus trop jeune et pas du tout « cool », c’est pour ça, je ne tutoie pas.

Je vais aussi dire « la masseuse » ou « elle », voire « la fille », et la même chose tout au pluriel.
C’est parce que je n’ai jamais rencontré d’homme masseur, à l’exception notable de mon masseur ayurvédique en France. Une expérience parallèle, je vais vous raconter.

 

Divinité hindoue au temple Pura Taman Ayun, près d’Ubud (Bali, novembre 2018).
 
Le massage auquel rien ni personne ne m’avait préparée

Je ne suis pas une néophyte du massage. J’en ai connu de tous ordres – de ceux dont on parle : des thérapeutiques, des sportifs, des relaxants, des aromatiques, des-dits « esthétiques ». Et parmi cette diversité de pratiques, en France, j’ai eu aussi mon compte de massages pourris.
Quand tu te dis en dedans toi :
– Mais je paye pour ça ??

Ou pire, quand tu te demandes ce que tu fais là, les facétieuses circonstances de la vie qui t’ont amenée ici…

C’est ce sentiment que j’ai éprouvé lors de mon seul et unique massage proclamé « ayurvédique » en France. C’était il y a plus de dix ans je pense, parce que je ne me souviens pas que j’avais des enfants. Mais je me rappelle très bien que c’était un mercredi matin à dix heures, un massage qui devait durer deux heures, et puis après j’allais déjeuner et papoter avec Fred-ma-cops instit’. Un bon programme en perspective donc.
(C’est ça le mercredi, si tu as des cops instits avec des enfants trop petits encore pour morceler ton jour de congé en activités diverses et variées.)

Ce mercredi matin à dix heures pile (c’est pas comme si je savais arriver avec un peu d’avance), je me gare devant l’adresse indiquée, plutôt surprise de constater qu’il s’agit d’un pavillon dans une rue résidentielle de banlieue. Mais qu’importe puisqu’il est marqué sur la porte :
Membre de l’Association Ayurveda en France.

Je sonne, et un homme vient m’ouvrir le portillon.

Tout à l’heure j’ai dit « masseur ayurvédique » mais c’est inexact. Cet homme qui va pratiquer sur moi un massage Abhyanga est un « thérapeute corporel en soins ayurvédiques ».

Il m’accueille dans l’entrée de sa maison envahie d’objets et de statuettes ici et là, ça sent bizarre, il y a une espèce de comptoir où je dépose mon sac, mon manteau, puis l’homme me demande d’enlever mes chaussures et de le suivre. Je le suis donc. Nous montons un escalier, puis un autre, puis encore un autre, de plus en plus étroit, et enfin nous arrivons sur un palier, sombre, qui ressemble à un grenier. Il y a plusieurs petites portes. Il en pousse une et me fait entrer dans une pièce exiguë et délabrée, sous les toits, avec une table de massage en son centre.
C’est là.

D’habitude, quand tu fais un massage intégral, nue, on te donne un string jetable et une serviette épaisse ou une fouta dont tu peux te couvrir avant de commencer. C’est comme ça que ça se passe, d’habitude. Mais pas là. Là je suis complètement nue, j’ai froid, et j’attends.

Quand mon thérapeute corporel en soins ayurvédiques revient, au bout de super longtemps, il est torse-nu, la taille ceinte d’une minuscule serviette blanche qui ferme à peine. Autant dire presque nu. Je ne suis pas prude mais j’avoue : ça me fait un choc.
Parce que c’est jamais comme ça, d’habitude.
Sans musique, sans paroles, au bout du bout du toit d’une maison où personne ne sait que je suis, et dans une nudité pénible.

J’essaye de me rassurer, je me dis dans ma tête : mais non mais tout est normal, c’est toi, tu manques d’ouverture ! Je veux dire, faut arrêter de flipper tout le temps dès que quelque chose est différent, allez, ouvre tes chakras, le mec est spécialisé en karmas en plus, il a été formé par un Maître au Kérala donc ça va, calme-toi !

Je m’efforce de respirer calmement pendant qu’il enduit ses mains d’huile de sésame. Ensuite, il fait couler de l’huile chaude sur mon ventre mais je suis crispée, l’inverse de détendue.
Quand il est derrière ma tête et qu’il masse les côtés de mon corps, son torse est tellement près de ma bouche que j’ai peur de toucher sa peau avec mes lèvres. Je m’enfonce le plus que je peux dans la table, et ça dure ça dure ça dure… Je me sens prise au piège, j’ai des images du Joker dans le Batman (The Dark Knight) de Christopher Nolan qui me hantent…

Je pense mille fois à me lever d’un coup, crier ça suffit, je veux arrêter ! Mais je n’ose pas. C’est il y a dix ans, je n’ai pas encore tout mon aplomb…
Alors je détourne mon attention pour éloigner ce sentiment de weird. Je me concentre sur ma liste de choses à faire, quels potes je dois rappeler, et les fruits que je dois acheter au marché. Tout ce qu’il ne faut JAMAIS penser pendant un massage – mais un vrai, pas un chelou comme ici.

 

Heath Ledger dans le rôle du Joker, The Dark Knight, de Christopher Nolan (2008). Évidemment si vous n’avez vu Heath Ledger que dans Le Secret de Brokeback Mountain, de Ang Lee, il y a peu de chances pour que vous le reconnaissiez ici…

 

Quand enfin c’est fini et que tout mon corps est enduit d’huile de sésame de la racine de mes cheveux à l’ongle de mon petit orteil, le thérapeute corporel en soins ayurvédiques me dit :
– Vous pouvez prendre une douche à gauche au fond du couloir. Ne vous séchez pas les cheveux, laissez-les libres. Ensuite venez boire une tisane ayurvédique dans notre boudoir, nous discuterons de la mise en place d’une cure de Panchakarma.

Oui. Mmmh. Comment te dire ? J’ai l’impression qu’il s’est passé six heures, je voudrais rallumer mon portable tout de suite mais le mec a gardé mon sac en bas « pour ne pas charger les étages de mauvaises ondes ».
J’arrête pas de me répéter : Fred m’attend, elle doit se dire que je suis toujours en retard, qu’on ne peut pas compter sur moi, et c’est la tête pleine de ces pensées stressantes et pas du tout karmiques que je me précipite vers la douche.

La douche. Aaah. Si seulement c’était aujourd’hui, à l’aune de toute la crasse que j’ai pu voir en voyage, je ne me formaliserais peut-être pas. Quoique. Tu viens pour un massage, tu payes, c’est pas non plus déconnant ou/et petit-bourgeois de t’attendre à trouver une douche à peu près propre.
Mais là, on est loin de l’à peu près.
C’est dégueulasse !, comme dirait Édith.

Un carré de crasse à peine fermé par un rideau de douche que je déteste parce qu’il se colle sur ton corps nu, un mini savon en boule tout gluant avec un poil de cul, des cheveux qui bouchent la bonde, et même pas une serviette propre pour t’essuyer. Que des serviettes déjà pendues, qui puent.

Sans parler de l’eau qui coule en maigre filet à travers la pomme de douche la plus calcairisée que j’ai vue de ma vie.
À l’époque j’ai les cheveux très longs et le thérapeute corporel en soins ayurvédiques m’a massé tout le crâne à l’huile de sésame, donc je te laisse imaginer comment c’est compliqué à rincer.

Le niveau d’eau monte dans le carré de douche et arrive à mes chevilles. Si je ne fais pas quelque chose tout de suite, ça va déborder. Je ravale donc mon dégoût et ramasse avec mes doigts l’amas de cheveux sales et inconnus qui gêne l’évacuation de l’eau.
J’attends, glacée, que le niveau baisse, puis je rouvre le robinet pour simplement faire glisser les résidus de savon* qui restent sur mes cheveux. Ils sont encore pleins d’huile mais je renonce à les rincer ici et maintenant. Il faut choisir ses combats dans la vie.

* Si t’as cru qu’il y avait du shampooing à disposition…

 

Tu peux pas savoir le réconfort qui m’envahit quand je retrouve l’habitacle familier de mon auto. Je rallume mon portable. Il est 13h45. J’appelle Fred-ma-cops. Je lui dis j’arrive, je peux pas t’expliquer au téléphone…
Et après le récit à chaud, vibrant de tous les délicieux détails que j’oublie ici, je sais dans le fou rire de Fred que mon retard est totalement pardonné.
– Mais pourquoi c’est toujours à toi qu’il arrive des histoires pareilles ??

Parce que. Je sais pas. C’est comme ça. C’est comme demander à Lu dans les commentaires de son article :
– Mais pourquoi c’est toujours à toi qu’il arrive des aventures ?!

Ouais bah… Lulu et moi ça nous arrive, voilà.

 

Lu et moi à Kurokawa onsen au Japon (juin 2018). Il s’était fait piquer par une méduse au Cambodge.
 
Le vrai massage, celui qui te rapproche de toi-même

Au-delà de cette expérience dingo, fallait le vivre pour le croire, ou me l’entendre raconter en à peine différé comme Fred-ma-cops, j’ai testé différents types de massages.

Dans les chaînes d’instituts de beauté – parce que c’est comme ça que ça s’appelle – style Marionnaud ou Nocibé, les masseuses sont des esthéticiennes payées au SMIC, qui touchent une prime au pourcentage de produits qu’elles arrivent à te fourguer après le massage. Comme des commerciaux un peu.
Voilà pourquoi elles te parlent de crème anti-capitons quand tu as juste besoin d’être bercée.

Et dans les spas et les thalassos, on ne te vend rien derrière (tu payes déjà assez cher), mais les filles enchaînent les client(e)s jusqu’à six ou sept par jour !
Y’a d’autres métiers dans lesquels c’est comme ça, et ça va, je dis rien, mais quand on sait l’énergie que demande un vrai massage, on ne peut pas exiger de quelqu’un qu’il puisse encore donner de lui-même après le troisième massage de la journée.
(Je pense pareil pour les autres métiers.)

Je comprends que les filles soient saoulées et qu’elles pensent à autre chose en même temps qu’elles te massent. C’est leur job et des fois c’est chiant, je comprends tellement !

Moi aussi je serais saoulée, c’est sûr et certain. J’arriverais même pas à articuler le bonjour Madame machin + le grand sourire qui va avec, obligé. C’est pour ça, je suis pas masseuse.
J’aime pas assez les gens.

 

Attention, ce sont les vraies mains de la vraie Alison (la mienne, celle que je veux qu’on me rende dans le titre de cet article !). Regarde-les bien, elles voient des choses de ton corps que tu ignores encore…

 

Or, un vrai massage, c’est quand on va à la rencontre de l’autre pour apprendre sur soi.

On dirait que je vous recopie telle quelle une phrase issue d’un bouquin de développement personnel mais pas du tout. C’est ce que je pense moi, à la lumière de mon expérience. Et d’ailleurs, ce qui suit – comme ce qui précède, comme tout ce qu’il y a sur ce blog, note bien – ne vient que de moi.

Il me semble que, pour celui qui masse comme pour celui qui est massé, un lien se crée.
On ne touche pas un autre corps sans que ça fasse rien. Ou alors ça ne vaut pas la peine.

Ça ne veut pas dire que c’est un lien pérenne, on n’est pas obligés de faire l’amour tout de suite hein ! La plupart du temps, le lien se rompt au moment où le massage se termine. N’empêche qu’un vrai lien, puissant, a existé. Et pour que ce lien se crée, il faut du temps concret, matériel, mais aussi de la disponibilité de cœur et d’esprit.

Moi j’ai besoin qu’on soit complètement avec moi.

Je comprends que la masseuse de Nocibé n’ait pas envie et qu’elle soit préoccupée par sa liste de courses, par comment se débarrasser des poux, ou par le gâteau qu’il faut faire pour l’école.
Je comprends, ô combien, mais alors ça ne me va pas. Ce n’est pas pour moi.

Après, je sais que je suis excessive. Dans mes colères et les trucs qui m’énervent comme dans mes enthousiasmes et les trucs qui me réjouissent. Mais quand je suis sûre, je n’y reviens pas. Et là je vous le dis : n’y allez pas.

Ne vous mettez pas dans la file des suivants, même sans savon à la main.

Garde tes sous pour autre chose : achète un gros pot de purée de sésame noir, fais un cadeau à quelqu’un que tu aimes, ou, mieux, offre-toi un vrai massage. Plus cher probablement, peut-être moins souvent, mais un massage avec du lien et du sens, qui te fait du bien partout, longtemps.

Ça s’appelle, de manière un peu mystique peut-être : un massage énergétique. Et c’est ce que me fait Alison (celle du titre de cet article que vous ne compreniez pas jusque là…), même si elle ne l’appelle pas comme ça. Parce qu’elle est humble et qu’elle se met entièrement à l’écoute de ce que tu apportes, TOI. Ce que tu donnes.
Évidemment si tu gardes tes poings fermés et le corps verrouillé parce que tu es focalisé(e) sur tout ce qui ne te plaît pas chez toi et que tu ne veux surtout pas que les autres voient, tu ne peux pas espérer que la lumière jaillisse de ta poitrine et te porte. Comme le sexe en fait, hein, voilà.

Et comme le sexe aussi, je ne peux pas vous raconter à quel point un vrai massage avec Alison c’est bien. Parce que d’abord, ce qui se passe dans sa petite pièce, c’est super intime (alors que, contrairement aux apparences, mon massage ayurvédique ne l’était pas du tout).
Et en plus, si je commence à parler chamane et libération d’énergie, je vais perdre des lecteurs sérieux. Des scientifiques qui ne mangent pas de ce pain-là !

Alors je vous dis juste : quand tu te livres avec authenticité aux mains d’un masseur ou d’une masseuse qui sait recevoir et donner avec générosité, et même, amour, il se passe un truc, une alchimie mystérieuse, et il faut le vivre dans son corps avant de juger.

Tout le monde n’est pas prêt à ça, c’est sûr, mais le jour où tu décides d’écouter vraiment ce que ton corps essaye de te dire et que tu enfermes à double tour depuis tellement longtemps que tu ne sais même plus l’entendre, prends rendez-vous avec Alison.

Et, que vous y croyiez ou non, il est important de garder en tête pour les chapitres suivants que c’est forte de ce massage d’exception avec Alison, en France, que je me suis confrontée à d’autres cultures du massage au cours de notre voyage…

 

C’est elle ! Alison qui a accepté de poser pour moi dans sa petite pièce enchantée, parce que je ne pouvais pas clore ce premier chapitre sans elle.

 

À suivre…

 

Épisode 2 : Le massage ayurvédique au Sri Lanka
Épisode 3 : Le massage balinais à Bali (mais en fait Gili)
Épisode 4 : Le massage thaï en Thaïlande
Épisode 5 : Le massage lao au Laos

 

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Et vous, les massages vous aimez ? Vous en donnez ? Vous en recevez ?
Racontez !