L’école & moi

Photo : À Moorea, les babi ont eu l’idée de composer un alphabet en corail tous les trois ensemble. Ici c’est la fin, de S à Z, avec un cœur ajouté par la Petite Souris (Polynésie, janvier 2019).

 

En ce dernier jour d’école avant les vacances de février, pendant que les babi sont en train de travailler sur la table d’à côté avec Papa Écureuil, je réfléchis à mon rapport à l’école, aux devoirs. À pourquoi je laisse intégralement la charge de l’instruction en famille à Mickaël. Qui y trouve son compte maintenant, m’a-t-il dit, mais quand même.

Selon nos conditions matérielles qui sont aléatoires et d’un confort très variable en voyage, il m’arrive de travailler à la même table qu’eux. Mais, si j’ai le choix, je m’installe loin.
J’interviens juste pour dire : « Lu, tes lunettes ». Ou, quand j’ai du mal à me concentrer pour écrire parce que je suis trop près d’eux : « Vous parlez trop, je ne sais pas comment vous faites pour travailler dans ce bruit ». Mais du contenu je ne me mêle pas. Jamais.

 

Séance de travail à Bangkok dans notre guesthouse (avec la clim’ trop forte !). Il n’y avait qu’une table commune, donc toute la semaine dernière, j’ai travaillé au coude à coude avec les babi. Sur la photo, mon ordi est replié mais J’ALLAIS commencer. Dès que Lu aura mis ses lunettes.
De l’avenir

Je ne veux pas que l’école soit un problème entre mes babi et moi parce que je trouve que ça ne vaut pas le coup. Je ne veux pas me fâcher avec eux pour un p… de problème de maths.
Je ne fais pas de projection sur eux et elle, je ne les imagine pas médecin ou avocat, ou diplomate comme la mère de Romain Gary. Et, c’est encore jamais arrivé mais si l’idée venait à m’effleurer, penser justement à Romain Gary et à l’influence des ambitions de sa mère sur sa vie, ça te calme direct. Je préfère un enfant à la carrière moins brillante, voire pas de carrière du tout, qui ne finira pas par se suicider !

Du coup je n’ai aucune attente concernant leur avenir professionnel.

Peu m’importe qu’ils et elle poursuivent des études ou non, peu m’importe la voie classique ou d’apprentissage qu’ils emprunteront.
Je veux dire, je suis quand même bien placée pour savoir que les études ne sont pas déterminantes dans les choix de vie qu’on fait.
Moi j’ai un Bac+5, une maîtrise en information et en communication, puis un DESS Édition avec une spécialisation en littérature jeunesse, et finalement j’ai choisi d’être au foyer. J’aurais pu faire exactement la même chose si j’avais quitté l’école en 5e. So what ?

 

Sur la plage de Bordardoué à Belle-Ile-en-Mer, en août 2015. Ouais bah… le mois d’août n’est pas chaud partout sur la planète hein. Et c’était bien quand même !

 

Je ne suis pas en train de dire que l’école n’est pas importante. Ma mère est professeure des écoles quand même, je sais trop le travail qu’elle a fourni toute sa vie jusqu’à la retraite, et les élèves qu’elle a portés.
Je ne dis pas non plus qu’il ne faut pas s’occuper des enfants et les laisser apprendre tout seuls.

Je dis juste que, moi, je ne veux pas entrer en guerre avec mes enfants pour les pousser à faire des études alors que peut-être ça ne les rendra même pas heureux, et que, pour l’instant, sur le seul « petit » plan des devoirs le soir, je leur fais moins de mal en n’intervenant pas qu’en m’énervant.
Et c’est peut-être pas si grave du moment qu’on continue à se parler, à être aussi proches qu’on l’est là.

Après c’est sûr qu’il y a des métiers que je ne leur souhaite pas, des métiers qui me font flipper. Inséminateur de sperme de dinde. Ouvrier sur une chaîne dans un abattoir. Gardien de musée. Vigile ou vendeuse au MBK Center

Pareil pour leur vie personnelle, je ne projette rien.
Ni une vie de couple, avec un homme ou une femme, ni des enfants, n’importe, c’est leur choix. Moi mon objectif, c’est juste qu’ils se sentent bien dans leur corps, qu’ils aiment leur vie, et qu’on reste proches. Donc qu’est-ce que je m’en fous, après tout, qu’ils écrivent avec des fautes, du moment que je ne perds pas le lien avec eux, jamais jamais ?
C’est « juste » ça.

 

Les ponts suspendus de Redwood Walk dans la région de Rotorua en Nouvelle-Zélande (décembre 2018).
Du sens de l’effort

Je ne veux pas me fâcher avec eux pour un p… de problème de maths, et pourtant, chaque fois que j’ai dû les accompagner dans leur travail, je me suis fâchée avec eux pour un p… de problème de maths (ou un verbe mal conjugué). C’est là ma contradiction.

Parce que, au moment où je suis leur travail d’école, je veux qu’ils comprennent ce qu’ils font. Je ne peux pas les laisser écrire « quant les carotte son cuitent ».

Bon en vrai, ils n’ont jamais écrit ça mais je reprends là l’exemple des fautes d’orthographe (avec cette phrase authentique, lue sur un blog, dont j’ai déjà parlé ici).
Et je n’arrive pas à me détacher suffisamment pour que la passivité avec laquelle ils abordent parfois leurs devoirs ne m’irrite pas.

 

L’école à Tikehau. Sans clim’. Je travaillais sur une table à côté. On crevait de chaud…

 

C’est pour ça que je ne veux pas m’en occuper, de leurs devoirs.

Je ne suis pas bien avec l’agacement que ça fait naître en moi et alors je le fais mal, je ne les aide pas. Je ne sais pas comment m’y prendre, je ne comprends même pas ce qu’ils ne comprennent pas. Parce que j’ai jamais voulu enseigner. Et que je faisais mes devoirs toute seule moi, j’avais pas besoin que quelqu’un passe derrière pour vérifier ou me demander d’en faire plus.

L’agacement et l’incompréhension sont les premières explications qui me viennent, mais je devrais certainement creuser encore. Essayer de comprendre pourquoi ça m’énerve tellement quand j’ai l’impression qu’ils pensent que les choses vont tomber du ciel dans leur bouche ouverte. C’est plusse que ça m’énerve en réalité.
Ça me met en furie.

Rien dans la vie n’arrive comme ça, sans effort. Sans qu’on se mette dans un certain état d’esprit. Sans essayer.

 

La grotte qui abrite le temple bouddhiste de Tham Khao Luang, sur la route entre Bangkok et Hua Hin. Les racines de l’arbre se sont enroulées sur la roche.

 

Je ne suis pas la maman qui aime le monde de Disney, je crois que ça transparaît dans plusieurs pages de ce blog. Mais j’ai aimé Raiponce. C’est une autre de mes contradictions (j’en ai plein).
Je peux avancer l’excuse que je l’ai regardé avec la Petite Souris, le jour où je suis rentrée de la maternité avec le p’tit Lu dans les bras. Les hormones post-accouchement s’en donnaient à cœur joie à l’intérieur de moi, sûrement c’est pour ça, et donc j’ai aimé Raiponce. Surtout la fin quand Flynn Rider lui coupe les cheveux avec une lame et qu’ils deviennent tout bruns.
Et Flynn tout court, Flynn lui-même j’ai aimé. Je reconnais.

Et J’ADORE la musique du générique de fin. Si vous avez pas la pêche en ce moment, si vous avez besoin d’encouragements. Tentez votre chance.

 

 
Et de la persévérance

Bon là je sens que je vous ai perdus, vous ne voyez plus le rapport avec l’école…
Ce que je veux dire, c’est que si on ne désobéit jamais, si on fait toujours ce qui est attendu de nous et qu’on a toujours fait, on ne grandit jamais. Alors qu’au moment où Raiponce choisit de désobéir, elle sort du rail et c’est là que sa vie commence. Voyez le rapport ? C’est clair quand même !
Si on n’essaye pas, si on ne se confronte pas au risque de se tromper, on n’avance pas. Et si on abandonne au premier obstacle, si on rebrousse chemin à la première égratignure parce que quand même ça saigne, alors on ne construit rien.

On n’obtient rien de grand et de nourrissant sans persévérance dans l’effort.

C’est ce que je ne cesse de leur répéter. Aux babi.
Quand on arrive quelque part, on n’a pas transplané : il y a eu tout un chemin avant. Avant de pouvoir marcher aussi bien qu’ils marchent aujourd’hui, ils ont trébuché, ils sont tombés mille fois et se sont relevés mille fois aussi, sans jamais se dire : vas-y ça me saoule de tomber, j’arrête d’essayer, je vais rester à quatre pattes finalement, ça suffit pour me déplacer.
Mais non, ça ne suffit pas. Parce que quand on se met debout, on peut voir plus loin qu’à quatre pattes, et cette persévérance qui nous a occasionné tant de bleus aux genoux, c’est elle qui nous permet de relever la tête et de se sentir plus fort à l’intérieur de soi.

 

L’escalade est souvent présentée comme une métaphore de la persévérance. Je n’ai jamais fait d’escalade donc je ne sais pas si c’est un sport qui incite réellement à la persévérance, plus qu’au sang-froid, mais l’image de la montagne à gravir est évidemment très symbolique.

 

Le pire pour moi avec les babi, c’est quand je vois qu’ils n’ont pas envie de faire d’efforts et qu’ils se contentent d’un truc moyen parce qu’ils ont hâte d’aller jouer.
La pédiatre m’a dit un jour (pourquoi je lui parlais de ça, je ne sais pas) :
Mais comme nous tous ! C’est juste normal, c’est le signe qu’ils vont bien !

Mais non. Moi je ne comprends pas ça.

La flemme.
C’est un truc qui me rend dingue. Intolérante. Agressive.
Et je suis obligée de me méfier de moi-même parce que JE SAIS que je suis excessive. Depuis tout le temps, depuis que je suis toute petite. Ask my mother (qui nous rejoint ce soir en Thaïlande ♥).

Je n’ai pas les qualités de la Petite Souris, ni de Papa Écureuil.
J’en ai d’autres sûrement hein, mais il faut chercher un peu plus, voilà…

Et pour en revenir à eux, les babi, puisque ce sont eux qui sont normaux et moi pas, mieux vaut que je ne m’occupe pas de leurs devoirs.

 

On pourrait remplacer « les gens » par « les enfants », non ? Enfin je sais pas, c’est peut-être seulement les enfants d’aujourd’hui, moi je me rappelle pas avoir jamais cru que l’iceberg était posé là comme ça…

 

Parce qu’au fond, tout au fond de mon abandon de la responsabilité parentale des devoirs, il y a la crainte que j’aie, en m’en mêlant, de leur transmettre ce besoin empoisonné d’être le premier.
Juste pour : être le premier. Pour arriver là-haut, tout au bout de l’échelle, comme ces aigles noirs qui dominent le ciel.

Et ce que ce soit un drame le jour où on arrive deuxième. À l’école, au sport, partout.

Parce que c’est la vie petit, ce jour arrive.
Ce jour où tu n’es pas la première, où d’autres sont meilleurs que toi, et ça te fracasse.
Je ne veux pas qu’ils y laissent des morceaux entiers, et je sais que c’est ce qui arriverait à les pousser en avant comme je fais instinctivement, juste parce que je ne sais pas faire autrement. Toujours vers l’effort, à côté des plaisirs.
Je pourrais les dégoûter.

Piste audio : Jean-Jacques Goldman, Être le premier, album « Minoritaire », 1983.

 

La Petite Souris SAIT ce qui est bon pour elle. Et elle ne veut pas travailler avec moi.
Je me dis que c’est une preuve suffisante que je suis toxique pour elle dans le travail. Qu’il est préférable pour eux trois que je me tienne à l’écart.

Et, si c’était difficile au début de l’école, quand la Petite Souris est entrée au CP, de ne plus m’en occuper, de lâcher prise, je dois bien reconnaître que maintenant ça m’arrange. Et que je suis pleine de gratitude à Papa Écureuil d’endosser cette charge pour moi parce que l’école en voyage, c’est une autre dimension que les devoirs du soir après l’école…

 

Séance de travail avant-hier dans le train de Hua Hin à Surat Thani (Thaïlande, février 2019). J’avoue, moi j’étais assise derrière, en train d’écrire tranquille toute seule. J’entends vaguement les fractions mais je ne sais même pas sur quoi ils travaillent réellement.

 

*****

 

Et vous, ça vous parle ce que je raconte ?

Trouvez-vous aussi que vos enfants manquent parfois de persévérance ou qu’ils reculent un peu trop devant l’effort ?

Avez-vous remarqué que votre propre rapport à l’école vous saute au visage au moment de vous occuper des devoirs avec vos enfants ?