Photo : Sur le Mékong à Luang Prabang, une photo prise par Papa Écureuil (Laos, mars 2019).
Est-ce ainsi que les hommes vivent… au Laos ?
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Les gens du Laos sont pudiques et secrets. Gentils, timides et simples.
J’ai aimé fort le Laos.
Le Laos est un pays pauvre. Quand nous sommes remontés, en bus, de Vientiane jusqu’à Luang Prabang en passant par Vang Vieng, Mickaël m’a dit : « J’ai l’impression que le Cambodge il y a neuf ans était plus développé que le Laos aujourd’hui. ».
C’est dire. Vu que déjà, le Cambodge.
Il y a les routes, mais il y a aussi l’éducation, l’alphabétisation, et la situation sanitaire du pays qui reste très précaire. Nous avons lu que le paludisme laotien est l’un des plus coriaces du monde (nous ne prenons pas de traitement préventif anti-palu).
Le mot d’ordre pour nous cinq était donc de ne pas tomber malade. Pas d’accident, pas de coupure, pas de chute, pas d’infection, rien du tout. Parce que, à l’exception de la Nouvelle-Zélande, dans tous les autres pays que nous avons traversés, nous avons expérimenté les hôpitaux.
Or les hôpitaux laotiens manquent clairement de moyens, d’équipements, de médicaments, et de professionnels formés. C’est-à-dire que s’il vous arrive un truc grave au Laos – et même un truc pas grave comme une otite qui s’infecte, d’après l’expérience d’un Laotien qui nous raconte un peu la vie ici – il est bon d’avoir les moyens de se payer un vol pour Bangkok.
Nous étions prévenus. Il nous restait un rendez-vous à l’hôpital pour un dernier vaccin antirabique assorti d’une dernière injection anti-tétanos pour moi. Nous avons choisi de prolonger notre séjour à Vientiane pour les faire au Centre Médical Français qui semblait correct. Ça s’est bien passé.
La vie, la rue
Une particularité du Laos, c’est que les rues du centre-ville, à Vientiane et à Luang Prabang au moins, sont souvent à sens unique. C’est très agréable. Même si, ici, les autos roulent dans le même sens que chez nous, donc t’es quand même moins en panique pour traverser la route parce que tu peux garder les mêmes réflexes de regarder d’abord à droite, puis à gauche, puis encore à droite, ou l’inverse, enfin je ne sais plus et c’est bien ça le problème. Après six mois de circulation inversée, puis re-comme chez nous, et re-inversée, et encore comme chez nous, je ne sais plus où regarder avant de traverser. Donc le sens unique c’est bien !
Il y a d’autres petites choses surprenantes. Par exemple, les flexibles de douche sont toujours trop courts.
Trop courts comme : si tu laisses pendre le pommeau de douche depuis là où le flexible est accroché, il ne touche pas par terre. Il pend comme, enfin il pend.
Et le fil électrique des bouilloires, quand il y en a à disposition dans les guesthouses, aussi. 3 cm. Allez, 4. Moins long que, ma main à plat, la distance entre mon pouce et mon auriculaire. Très pratique. Au moins tu peux pas la brancher à un endroit où un enfant, au hasard Lulu, par exemple, au hasard quoi, peut se prendre les pieds dedans.
Mais pour en revenir à la rue, au-delà des sens uniques de circulation, il y a quelques règles implicites à respecter. Des règles de pudeur et de secret, qui tournent globalement autour de l’idée qu’on ne fait pas de démonstration dans la rue. Mais moi je ne suis ni pudique ni secrète, j’aimerais bien mais non, alors j’ai besoin qu’on m’explicite.
D’abord, on s’habille décemment. Ça veut dire que les hommes ne se baladent pas torse-nu, ni les femmes en mini-short et petit-top-regarde-mon-nombril-comme-il-est-beau-(et-mon-ventre-plat-t’as-vu).
Mes deux robes en longueur de fil de bouilloire laotienne ne sont pas souhaitées non plus. Je ne les mets pas. À la place, je les donne à recoudre à une couturière qui est installée dans une petite échoppe de rue avec sa vieille machine à coudre à pédales. On donne notre linge sale à laver aussi. On a trouvé à 8 000 kips (= 0,80 €) le kilo.
Ensuite, on ne s’embrasse pas dans la rue. On ne se serre pas dans les bras, on ne se touche pas, même pas on se donne la main. C’est beaucoup plus dur que la question des habits pour moi. Souvent j’oublie. Mickaël non. Il respecte. Bon.
Aussi, on ne fume pas dans la rue. Enfin peut-être on pourrait, mais personne le fait alors moi non plus. Et, au Laos, ce n’est pas parce que les cigarettes coûtent un bras comme en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Ici, au contraire, ce sont les moins chères que j’ai trouvées depuis le début de notre voyage, encore moins cher qu’à Bali. Mais elles t’arrachent un poumon, et le cœur avec.
Un paquet de cigarettes au Laos, c’est 8 000 kips. Le prix d’un kilo de slips sales à laver.
Soit 0,80 € pour un paquet de Winston. C’est ce que j’ai acheté d’abord, en mémoire des Winston que je fumais au lycée avec ma chouette. Mais. C’est pas les mêmes. Ces Winston-là, à la première bouffée, t’es brûlée de la gorge, la deuxième t’as envie de vomir.
Je vais jusqu’au bout quand même, parce que je suis comme ça. À la fin de ma cigarette, j’ai mal à la tête. L’huile essentielle de menthe poivrée ne suffit pas à le dissiper, donc je prends un Doliprane. Comme ça je me bousille la gorge, les poumons, le cœur, la tête, ET le foie.
Au paquet suivant, j’ai voulu tenter une autre marque. Pas la moins chère à 5 000 kips, celle-là je ne veux même pas savoir de quoi elle est faite. Non, j’ai tenté les Marlboro. Alors que j’aime pas les Marlboro en France. Le paquet coûte entre 15 000 kips (= 1,50 €) à Vientiane et 20 000 kips (= 2 €) à Luang Prabang. Le goût et les effets sont moins pires qu’avec les Winston, mais quand même, tu te sens moins bien après que avant.
Le Laos est un bon pays pour arrêter tout.
Avant ou après les cigarettes, je vous parle toujours de la monnaie locale. Et ici comme en Indonésie, c’est vrai que les montants sont impressionnants parce qu’on n’est pas habitués à calculer en milliers. Voire en millions. Enfin pas trop de millions quand même parce que les distributeurs automatiques ne délivrent jamais plus de 2 millions de kips à la fois (soit 200 €), sur lesquels la banque laotienne se prélève une commission de 20 000 kips.
Ça va. Pour mémoire, 1 € = 10 000 kips.
C’est dingue d’avoir autant de zéros dans son porte-monnaie le porte-monnaie de la copine de papa, comme disent les babi. On dirait le Monopoly !
Des billets d’un montant délirant pour nous : 100 000 kips, c’est 10 € (je vérifie si vous suivez).
En même temps, le plus petit billet de 500 kips équivaut à 0,05 € et il est quasiment inutilisable. Sauf si tu trouves une bouteille d’eau à 4 500 kips au lieu de 5 000 kips d’habitude. Exceptionnellement ça peut arriver. Mais donc, comme il n’y a rien à 500 kips, eh ben il n’y a pas de pièces au Laos. On s’embête pas avec de la ferraille et des comptes ou des prix à moins de quatre chiffres.
Enfin une règle très importante, dans la rue et partout, c’est que : on ne s’énerve pas. On doit toujours garder son calme, quoi qu’il arrive, éviter de crier ou de parler trop fort.
Je veux respecter et tout, parce que j’aime les gens ici, mais quand même ça c’est dur. Surtout pour moi, comme je l’ai déjà expliqué ici.
Surtout avec des enfants. Quand tu perds patience, quand tu sens que tu bouillonnes (sans trop de fil, ou très près de la prise mouillée). Donc j’ai pas très bien réussi.
Mais j’ai jamais vu un homme ou une femme lao se mettre en colère, ni même hausser la voix contre un enfant ou un adulte.
C’est très reposant. Mais ça peut être un peu agaçant aussi. Parce qu’ils disent oui pour tout, oui oui, alors que des fois ils n’ont rien compris, comme tu ne prononces pas bien les tons dans leur langue. Par exemple, si tu commandes un riz gluant pour un de tes babi qui ne veut manger QUE ça, comme un moine. Tu dis sticky rice, tu dis Khao niaw, tu répètes plusieurs fois. On te dit oui oui. Mais jamais le sticky rice ou Khao niaw n’est venu jusqu’à la bouche de ton enfant. Qui geint. Qui braille. Qui fait que ça. Donc toi tu hausses la voix, tu perds ton calme, et voilà.
Les pratiques, les coutumes
Il y a plusse de bébés, plusse d’enfants au Laos qu’en Thaïlande. Probablement parce que c’est plus pauvre. Je ne porte pas de jugement hein, c’est juste une réalité statistique : la natalité est plus forte dans les pays pauvres. Parce que le taux de mortalité infantile est plus fort. Aussi.
Ici les bébés sont portés en écharpe. Dans l’idée c’est un peu comme ma deuxième écharpe après la Storchenwiege, le bb-tai de Babylonia, celle que j’ai le plus utilisée en portage parce qu’elle me permettait de porter facilement sur le dos. Mais la version lao est beaucoup plus basique, avec un tissu plus fin, pas élastique, et donc moins confortable.
Ici, les femmes portent plutôt sur la hanche, ce que j’ai toujours trouvé fatigant à la longue, et douloureux.
Après, c’est sûr, le poids d’un bébé lao n’est pas le même que le poids d’un bébé chez nous. Ici, les enfants savent marcher avant de peser trop lourd pour qu’on les porte en fait…
Les enfants font partie intégrante de la vie quotidienne des adultes. Le travail, la cuisine, les déplacements à pied ou à moto, tout. Ils n’ont pas d’espace à part pour eux comme chez nous.
Un samedi soir au boudumonde, à Luang Prabang, nous sommes allés à une fête au That Luang Night Bazar. C’est un espace où des stands se montent pour vendre à manger, des vêtements, tirer sur des ballons de baudruche… Il y a de la musique et un château gonflable avec des toboggans et un mini trampoline pour les enfants. C’est pas non plus une fête de folie, rapport au couvre-feu, mais les gens se retrouvent quand même et se réjouissent. Un samedi soir quoi.
Donc nous y sommes allés pour voir, nous balader, et, comme c’est un peu excentré du centre-ville touristique de Luang Prabang, nous étions les seuls Blancs à manger sur les mini-tables d’un petit boui-boui. Entourés de Laotiens qui partageaient un barbecue. Je n’en ai pas parlé dans mon article sur la cuisine laotienne parce que nous n’avons pas essayé le barbecue lao.
Nous avons choisi des noodle soups simples, très bonnes, à des prix laos : 7 000 kips (= 0,70 €) le plat ou 10 000 kips (= 1 €) en version large.
En ville, dans des petits restos de rue, c’est le triple. Dans les restos de touristes, il faut multiplier par dix. Au moins.
Extrait de conversation entre la Petite Souris et moi, à table, en attendant les plats.
– On est les seuls Blancs là… Moi je me sens mal, tout le monde nous regarde…
– Ben comme ça tu ressens ce que ça fait quand tu es étranger quelque part. Moi je préfère mille fois être ici à manger sur des petites tables au milieu des Laotiens que d’errer au marché de nuit des touristes entre les stands de tee-shirts et de bijoux.
– Bah au moins si tu voulais tu pourrais te trouver un bracelet ! Moi j’aime pas qu’on nous regarde comme ça. Je préfère quand il y a d’autres touristes quand même.
Mais le regard des gens sur nous n’était pas du tout hostile. Étonné seulement.
Et moi j’aime bien aussi qu’on laisse les enfants marcher pieds nus partout et tout le temps. Là il n’y a personne pour dire : mets tes chaussures, par terre c’est sale. Ou : mets tes chaussons, il fait froid dans la maison. Mais je suis de parti pris dans cette histoire rapport à ce que je marche pieds nus tout le temps, quand c’est sale et quand il fait froid aussi.
Après le repas, les garçons ont voulu aller jouer sur le château gonflable. (Ce truc mystérieux des enfants qui n’ont pas de problème à sauter sur un trampoline en sortant de table…)
On attendait sur des tabourets devant. C’était clairement pas le meilleur moment de la soirée pour nous.
À un moment, je vois un petit de l’âge du Marcass’ (5 ans) monter sur le trampoline en face du château gonflable avec une sucette dans la bouche. J’ouvre ma bouche à moi grand, mes yeux grands aussi, je cherche un parent, quelqu’un, mais non, il y a tant d’enfants et si peu d’adultes !
J’ai le réflexe primaire de me lever pour l’arrêter, et puis je me stoppe net, attends, c’est pas TON enfant. Je retourne m’asseoir sur mon tabouret en plastique, un nœud serré au fond du ventre. Je le regarde sauter avec sa sucette dans la bouche. Encore et encore. Le nœud me serre de plus en plus, je crois que je vais vomir. Alors je tourne le dos au trampoline. Pour ne plus le voir. Mais il continue à sauter dans ma tête, le bâton de la sucette planté au fond de la gorge.
Mickaël me dit : va faire un tour.
Je me lève, je fais quelques pas, et là je vois un autre enfant grimper sur le château gonflable avec à la main une brochette avec deux bouts de saucisse, et personne dit rien !!!
Je suis pas du genre à faire ma petite Blanche effarouchée pourtant. On mange dans des trucs bien crado des fois, on a dormi dans des auberges bien glauques aux draps sales et aux cafards sur les marches, j’ai même laissé mes enfants monter sur une moto sans casque. Mais la corde autour du cou pour reconnaître ceux qui ont payé les 5 000 kips d’entrée sur les toboggans gonflables, le pique à brochettes au milieu de dizaines d’enfants surexcités qui chahutent, le trampoline avec la sucette dans la bouche, nan mais les mecs ça va ou quoi ??
Si j’avais eu mes cigarettes j’aurais fumé. Je les aurais fumées deux par deux. Mais je ne les avais pas emmenées. Je fume pas dans la rue, comme j’ai dit. Pourtant, à Pakbeng dans le nord-ouest du pays (voir carte ici), je me suis fait interpeler. Alors que je ne fumais pas et que je marchais avec Mickaël (à qui je ne donnais pas la main, parce que je fais attention comme j’ai dit aussi).
Il faut que j’explique un truc ici.
Le Laos est l’un des grands producteurs d’opium du monde. Il est une des pointes de ce qu’on a appelé le Triangle d’Or et qui désigne les plaques tournantes de la production d’opium entre le Laos, la Thaïlande et la Birmanie.
Dans un pays aussi pauvre, on peut imaginer comme la culture du pavot constitue une importante source de revenus pour les paysans.
Enfin. Donc un type m’interpelle dans la rue, à Pakbeng, en me soufflant « opium opium ». Je secoue la tête, alors il essaye « haschich haschich ». Je souris mais je secoue à nouveau la tête.
Je ne touche pas à ça ici sinon Papa Écureuil me livre à la police. Sauf peut-être quelques têtes de marijuana, sans le vouloir et sans m’en rendre compte, parce qu’elles étaient cachées dans une soupe de poulet achetée dans la rue. Alors, peut-être. Mais pas volontairement.
– C’est dangereux, a dit Mickaël. Et interdit.
– Mais c’est quoi qui t’embête le plus ? Que ce soit dangereux ou interdit ?
– Arrête, j’ai rêvé de ça il y a deux jours ! On était en Indonésie, je crois. Les douaniers me prenaient à part avec mon sac. Ils me demandaient d’abord si c’était bien mon sac. Je disais oui oui. Après ils insistaient, comme en Nouvelle-Zélande, et m’interrogeaient plusieurs fois pour savoir si c’était bien moi qui avais fait mon sac. Je redisais oui oui, et après je les voyais fouiller et sortir de mon sac un petit sachet d’herbe… Je devenais fou ! Je ne savais pas si j’allais dire que oui c’était à moi, ou si j’allais te dénoncer comme pour tes amendes, ou si j’allais dire que c’était à Marce !
– À Marce ??
– Ouais bah c’était un rêve…
– Mais donc, dans ton rêve, t’étais sûr que c’était moi ? Tu te disais pas que quelqu’un, n’importe qui, avait pu glisser de la beuh dans ton sac ?
– Pfff ! N’importe quoi ! J’étais sûr à 100% que c’était toi ! Et j’étais fou de rage…
Donc voyez. L’opium, même pas en rêve. Enfin si justement, mais bon.
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Et vous, avez-vous des amis Laotiens ?
Est-ce que je vous donne envie d’aller au Laos avec ce que je vous raconte, ou je m’y prends mal ?