Le confinement avec enfants (2) : les dommages collatéraux

Photo : Après trois semaines de confinement avec trois enfants. Les poubelles de verre ne sont pas encore passées. À partir de quoi vous pouvez deviner le bar perso au fond du local à poubelles dont je vous parlais dimanche dans ma newsletter

 

Je vous disais la semaine dernière que ce qui me manque le plus avec le confinement – puisque j’arrive encore à aller courir trois fois par semaine – c’est le temps pour soigner ma vie intérieure. De la vraie densité de temps pour réussir à penser avec clarté dans ma tête sans le bruit constant que font les enfants et qui brouille ton esprit comme un écran de télé recouvert de neige.

Sauf que là, en plus, ils tournent autour de toi, ça grésille, et tu ne peux pas aller tellement plus loin que deux minutes et demie de concentration sur une pensée simple (émincer un oignon et une grosse gousse d’ail, faire revenir, ajouter la pâte de curry et les graines de coriandre, remuer, et… et quoi ??).

Mickaël aussi, ça lui fait pareil. L’impression qu’ils ont réduit ton cerveau en bouillie.

 

Là par exemple, ce qui me ferait vraiment du bien, c’est un massage avec Alison. Mais on peut pas.

Les trucs qui nous feraient le plus de bien, à Papa Écureuil et à moi, consistent surtout à être LOIN DES ENFANTS. Ce qu’on ne peut pas.

Et vous non plus. Puisque les grilles de l’école demeurent fermées. Sourdes à ta muette supplique.

Et c’est la raison pour laquelle le confinement avec enfants augmente de manière exponentielle nos stratégies compensatoires, au premier rang desquelles notre consommation d’alcool.
Vin, rhum, vodka, bières, tout y passe. Ne parlons pas de cigarettes, chocolat, Lexomil Doliprane, séries Netflix. Et d’autres trucs qui s’échelonnent et se chevauchent sur des axes qui vont de licite à illicite, de raisonnable à complètement dingo.

Chez vous autres parents comme chez nous, ne me faites pas croire que vous arrivez à tenir sans rien ! Le Blond de Gad Elmaleh est un mythe, il n’existe pas en vrai. Ou pas en confinement.

 

Tu as acheté ces tablettes pour toi et ton mec, mais en fait tes garçons qui n’aiment que le chocolat noir se jettent dessus. Réfléchis bien où tu ranges le Doliprane (et le reste) du coup.

 

Mmmh.
Je fais mmmh beaucoup en ce moment. Quand le Marcass’ (6 ans) passe à l’attaque :
– Tu vois, je t’avais bien dit que mon crayon jaune il était trop petit !

Ça fait des mois qu’il me saoule avec son crayon jaune tous les jours dès 16h30 16h40 quand je le récupère à la sortie de l’école. Des mois. Des mois que je lui explique que non, je ne vais pas racheter une p… de boîte de crayons de couleur simplement parce que son crayon jaune est trop petit. Des mois qu’il insiste, tous les jours. Des mois que je résiste, tous les jours.

À coup de :
– T’as qu’à demander à ton copain Larry s’il veut échanger son crayon jaune avec ton crayon vert, tiens !

Ou :
– T’as qu’à demander à ta maîtresse, il doit bien lui rester un stock de crayons jaunes de l’année dernière…

Voire :
– Mais t’as qu’à le colorier en orange ton poussin pourri, c’est parce qu’il est parti en vacances, voilà, il est bronzé maintenant ! Ah c’est pas un poussin, c’est un soleil ? Eh ben dessine des nuages plutôt, tu diras à ta maîtresse que c’est l’hiver, y’a pas de soleil, il pleut.

 

Mais. Le dernier jour d’école avant le confinement, il est rentré à la maison avec tous ses cahiers, ses feutres et ses crayons qui habituellement restent dans sa case. Pour l’école à distance, m’a-t-il expliqué gravement. Et la première chose qu’il a faite, ce gros malade de psychopathe du crayon de couleur, c’est d’ouvrir sa boîte devant moi avec un air de triomphe.

– Alors ? Tu vois maintenant ce que je t’avais dit, hein ? Tu vois ? Tu vois ?

 

Achetées en même temps à la rentrée de septembre dernier. À gauche la boîte de crayons de couleur du Grand Lièvre, à droite celle du Marcass’.

 

J’ai vu. J’ai vu que le crayon orange et le crayon vert, ils sont tout petits aussi. On ne peut pas échanger avec Larry, ni faire un poussin bronzé. Pas plus qu’il n’y a de crayon gris pour dessiner les nuages et la pluie.

C’est à ce moment-là que j’ai lâché mon premier mmmh.

Les jours qui ont suivi, j’ai dû m’occuper du travail du Grand Lièvre (8 ans). Un autre monde.
Je lui demande :

Tu t’assois à table mais tu n’as pas de cahier et rien pour écrire, là ?
Ah si, attends je vais chercher ma trousse.

Une trousse que tu as pris soin de remplir avec tout ce qu’il faut dedans à la rentrée de septembre.
On est le 23 mars. Dans la trousse il reste un stylo bille et une gomme (qui ne sert à rien du coup).

Je ne trouve pas les mots, je ne comprends pas. Une voix douce et bienveillante dans ma tête (de quelle épreuve revient-elle ? je la croyais morte et enterrée) me chuchote : au moins, il reste la trousse… c’est mieux que quand il était au CP et qu’il ne restait plus rien du tout…
De mes yeux vides je regarde l’enfant. Qui me dit :

– Ben quoi ? Comme ça je perds pas de temps à chercher mon stylo, je le trouve tout de suite dans ma trousse !

 

Minimaliste versus plein. Pourquoi il y a deux bâtons de colle et un compas dans la trousse de CP du Marcass’, c’est encore une autre histoire…

 

Mmmh (c’était mon deuxième).
J’ai demandé à Papa Écureuil de me servir du vin, puisque cela fait partie de la longue liste de choses que je ne fais pas toute seule.

J’ai bu. Avant de parler, avant de dire quoi que ce soit, avant même de penser, j’ai bu.
Ensuite j’étais calme. L’idée m’est venue, si lumineuse, qu’il suffisait d’échanger les crayons de couleur des deux boîtes. Pssst, ni vu ni connu j’embrouille le Marcass’, et je n’entendrai plus JAMAIS parler de ce foutu crayon jaune !

C’est bien de ne pas avoir deux enfants pareils.

Parce que tu ne pourrais pas supporter deux enfants qui perdent tout, tout le temps. Et qui n’ont jamais, de leur vie entière, compris l’intérêt de colorier. Qui barrent d’un trait de couleur chaque case des coloriages magiques, voilà, 28 c’est un multiple de 7 donc c’est orange, tac, et même le trait il dépasse des lignes à respecter pour faire ressortir la figure du coloriage magique.

Mais tu ne pourrais pas supporter non plus deux enfants monomaniaques, qui taillent systématiquement leurs crayons avant de commencer à colorier et qui appuient dessus comme des gros tarés.

 

J’ai demandé à Lu s’il voulait bien, pour moi, faire un coloriage magique du cahier de Marcel. Il râle mais il est gentil, il s’exécute. À sa façon. Il te dit : « Ça s’voit que c’est Saturne, c’est même pas la peine de continuer ! ». Moi personnellement je ne vois que des traits mais bon. Je suis trop nette sans doute, je n’ai pas ouvert grand les portes de la perception…

 

Note bien que le premier enfant dont on parle, celui qui n’est PAS monomaniaque, celui qui ne colorie pas mais a accepté de faire, si l’on peut dire, le coloriage magique de la photo ci-dessus, celui qui, en vérité, est l’exact opposé de monomaniaque, celui-là n’est pas plus net dans sa tête. Il est à l’ouest. Des fois tu t’interroges, tu te dis :

Faut qu’il arrête de planer
Sur une autre planète.

 

Écoute l’histoire.

Hier, midi et demie. L’enfant tape dans son ballon contre le muret en pierre de la mini-terrasse où tu fumes (et tu bois) le soir quand ils sont enfin couchés. Au même moment, toi devant ton ordi tu essayes d’écrire les idées qui te sont venues le matin pendant que tu courais. Mais le bruit du ballon qui tape résonne jusqu’au fond de ton ventre, tu perds tes phrases, c’est ultra pénible.
Tu te lèves donc pour aller fermer la porte de la cuisine qui ouvre sur cette mini-terrasse vers le jardin. (C’est compliqué si vous n’êtes jamais venus chez nous, je fais de mon mieux.)

C’est alors que tu le vois. De dos. Tel qu’il vient de s’habiller pour aller jouer.

L’enfant a huit dents ans, il aura neuf ans dans trois semaines.
Tu ne sais pas quoi dire, c’est encore plus inquiétant que la trousse vide. Le jean est serré pourtant. Devant derrière tu vois qu’il bloque méchamment au niveau des hanches. Mais cela ne semble pas gêner l’enfant dans ses passements de jambes. Ou bien il ne fait pas le lien de cause à effet.

Après ça il va te parler de Typhon ou du fil d’Ariane. Tu crois qu’il a pris quelque chose. Quelque chose réservé aux adultes que tu n’aurais pas rangé et que tu aurais malencontreusement laissé traîner près du chocolat noir aux fruits de la passion qu’il adore.
Mais non, il t’assure qu’il n’a rien pris et tu ne sais pas ce qui est pire. Entre n’avoir rien pris et ne pas savoir s’habiller. À presque neuf ans.

 

Hier, le Grand Lièvre sur la mini-terrasse. « C’est les fabricants, y’z’ont qu’à faire des jeans qui sont pareil devant et derrière, comme ça y’aurait plus de problème ! ». Lulu t’es pas net…

 

Après cette true story toute fraîche d’hier que je vous raconte, vous repensez à l’autre enfant, le plus jeune, celui aux crayons parfaitement taillés qui, JAMAIS, n’aurait mis son pantalon à l’envers. Par comparaison, vous trouvez que monomaniaque, c’est exagéré pour dire appliqué.

Tssss. Tu n’as pas bien regardé la photo des boîtes de crayons de couleur.

Scrolle vers le haut avec ta souris et regarde encore. Je t’attends. Dis-moi si les crayons de couleur de la boîte de droite ne sont pas rangés EXACTEMENT dans le même ordre que celui suggéré par la photo modèle du fabricant de la boîte.
Tu flippes maintenant, hein ?
Toi aussi tu penses au film avec Julia Roberts, Les nuits avec mon ennemi ?

Vas-y, je te ressers un rhum. J’allais ouvrir une nouvelle bouteille de toute façon.
Dosé, sans glace.

 

C’est pas qu’on boit la journée hein. C’est depuis le changement d’heure, il fait jour même le soir.

 

*****

 

Et vous, au niveau des dommages collatéraux du confinement ?
Ça se passe, ou comme nous, vous avez violemment attaqué la cave ?