Le confinement avec enfants (1) : la question du temps

Photo : Du temps d’avant le confinement. Du temps de quand on pouvait laisser les enfants à mounette pour un grand week-end. Du temps de quand on avait du temps… (Trouville, février 2020).

 

Confinement doit être le mot le plus partagé du moment.

Pas que le mot, ne manque pas de préciser Papa Écureuil avec sa clairvoyance et sa pertinence coutumières : nous sommes actuellement un tiers de la population mondiale à vivre ensemble l’expérience du confinement.

C’est plutôt intense ce partage pour une expérience qu’on est censés vivre seuls, non ?

Alors puisque je suis là et vous aussi, j’apporte ma pierre à l’édifice. On peut se parler, réduire au moins virtuellement la distance de sécurité qui nous est imposée… et tendre la main de la solitude !
À J+16, le temps est venu de vous raconter un peu comment nous vivons la situation chez nous, et je choisis de commencer par la question du temps justement.

Depuis le début du confinement, Mickaël et moi entendons des interrogations qui nous sont totalement étrangères comme : que faire de tout ce temps ?
Ce temps retrouvé.

– « Tout ce temps » ? Mais adoptez des enfants, les gens !!!

C’était le cri du cœur de Papa Écureuil.
On ne fait pas la moitié de ce que l’on voudrait.
On a encore moins de temps pour nous qu’en zone libre.
Enfin, le temps pour nous deux on le prend, on l’arrache, mais je veux dire le temps personnel pour chacun. C’est celui-là qui disparaît dans le confinement avec enfants.
Le temps pour ta vie intérieure.

Le temps pour soigner les différentes parts de toi, les nourrir, le temps pour aligner ton esprit sur le moment qui vient, qui est là déjà, mais pas toi. Pas vraiment.

Je manque d’espace et de lumière dans ma tête.

Mickaël manque de transitions, de ce qu’il appelle ses « sas de décompression » – entre le réveil et le boulot, entre le boulot et la maison, la maison et les enfants, entre l’école à distance des enfants et re-le boulot, entre le boulot et moi. Tous ces micro « sas de décompression » qui étaient auparavant assurés par les trajets à pied, les transports en commun, tout ce qui matérialisait encore le passage d’un segment de temps à un autre.

 

Donc c’est normal que nous avec trois, on ait un ressenti de 21, non ? C’est mathématique !

 

Depuis deux semaines, j’écoute attentivement autour de moi et je lis avec autant sinon plus d’attention tous les messages que je reçois.
Je remarque qu’avec le confinement, il y a deux types de gens : ceux à qui l’enfermement offre un regain de temps, et ceux, dont je fais partie, qui en ont encore moins qu’avant (déjà que). Cette seconde catégorie étant manifestement déterminée par la réponse affirmative à la question : vis-tu avec plusieurs enfants de moins de douze ans ?
Et très nettement aggravée par la variable : vis-tu avec plusieurs enfants de moins de douze ans qui, TOUS, mangent comme des plus de douze ans ?

Ce qui me place là. Comme nombre d’entre vous.

Avec trop de repas par jour, qui font que de revenir sans cesse alors que t’as l’impression d’être sortie de table il y a une heure, et dont il ne reste jamais rien.

En plus, les moins de douze ans qui vivent avec toi, ils mangent vite. Ils engloutissent leur assiette, puis ils se resservent dans la tienne que tu as à peine entamée parce que tu t’es relevé(e) quatorze fois depuis le début du repas.
Mais on va rester forts, hein. Maigres, la faim au ventre, mais forts. Ou bien pas maigre, parce que tu compenses la nuit ce que tu n’arrives pas à manger la journée. Puisque tu ne dors pas. But still. Forts.

 

Voilà. Mais bon, de toute façon, je ne sais pas comment on s’entraîne pour un marathon dans la limite d’une heure de sortie running autorisée par jour. Et je ne sais pas non plus ce que veut dire : « je me suis parti une micro-brasserie en ligne », alors…

 

Tout de suite, Mickaël et moi on s’est dit : ok, c’est dur, c’était pas dans les plans, mais on va assurer. Après tout, on a de l’avance sur les autres familles parce que nous, on l’a déjà fait en voyage, vivre tous les cinq 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.

Mais guess what, en voyage c’était pas pareil. En voyage on pouvait sortir, explorer de nouveaux horizons, rencontrer d’autres gens, et surtout : on pouvait SORTIR LES ENFANTS !
Les lâcher comme on dit lâcher les chiens, les aérer, les oxygéner, les laisser courir et hurler, se défouler comme leur petit corps le réclame, goûter peau nue à la pluie et au soleil.

Mais pas là. Non, pas là.

J’apprends qu’il y en a qui font gym tonic avec leurs enfants à la maison. Pour garder la forme, toutouyoutoute, et pas prendre de poids (ha !).

Bon ben pas nous. Clairement pas. Mais ça me fait quand même plaisir de rappeler ici à votre bon souvenir l’indicatif inoubliable de l’émission dominicale phare de mon enfance…

(Ne me dites pas que l’indicatif n’est qu’une histoire de conjugaison pour vous ? Ou vous mettez trop de zèle dans l’école à distance de vos enfants, ou vous ne suivez rien sur ce blog ma parole ! Peut-être même que les deux vont de pair… Je vous ai déjà causé indicatif ici, dans mon article sur Nina Simone, car la voix de Nina Simone transcende l’indicatif de « La Poudre ». Ça y est ? La mémoire vous revient ?)

 

Piste audio : Véronique & Davina, Gym Tonic, 1982.
C’est hyper long, vous n’êtes pas obligé(e) de vous infliger la totalité ! Personnellement j’ai tenu vingt-neuf secondes… juste le temps de l’indicatif quoi !  😉

 

Mais j’étais sur le point de vous parler sérieusement là. À propos de qui on est, qui on veut être, quelle mère, quelle épouse, quelle maîtresse (en ces temps troublés, prenez-le comme vous voulez), et ce qu’on s’autorise – ou pas – à faire. Ce qu’on refuse d’accepter aussi.
Après vous savez comment c’est : on devient ce qu’on choisit de croire.

Or il me semble que moins on arrive à se libérer d’espace et de lumière dans sa tête, plus le choix de ce qu’on peut être se restreint. On se cantonne à ce qu’on sait qu’on fait bien. Et c’est cool, je veux dire c’est ok, on n’est pas obligés de toujours chercher plus loin.
N’empêche, c’est déjà une limite qu’on se met. On reproduit, on n’est pas en train de grandir.

De manière fluide et très naturelle, Mickaël et moi reprenons chacun les rôles que nous jouions pendant notre année de voyage dans le monde.

Dès la première semaine de confinement, j’ai demandé aux babi de se remettre à écrire un article chacun pour le blog.

J’étais motivée pour quatre pour les coacher, écouter et analyser avec eux ce qu’ils ressentent, et les pousser à mettre des mots sur ce qu’ils vivent en ce moment. Et ma quadruple motivation était bien le minimum nécessaire parce que leur réaction unanime à tous les trois quand je leur ai demandé de se relever les manches, prendre une pelle et creuser à l’intérieur d’eux-mêmes a été l’antonyme de enthousiaste !
(Maintenant que vous faites tous l’école à la maison, y’a pas que la conjugaison, y’a le vocabulaire aussi et vous êtes au taquet sur antonymes / homonymes, on est bons !  😉 ).

 

C’est à peu près la tête que les babi ont tirée à la perspective de devoir se remettre à écrire un article pour le blog. Le jour de cette photo, c’était une autre mauvaise nouvelle. Tôt le matin de notre départ pour Gili Air, Papa Écureuil et moi venions d’annoncer qu’il n’y aurait pas de petit-déj ce jour-là et qu’il n’était évidemment pas question d’entendre des ingrats se plaindre de quoi que ce soit… (Bali, novembre 2018).

 

De son côté, Papa Écureuil a aménagé son temps de télétravail pour reprendre en main l’école sur la route. Et je lui voue une gratitude infinie.

– Marce, tu fais ta lecture là ?
– Non mais c’est bon ! J’l’ai d’jà faite, ouaich !
– Très bien, donc tu peux la lire à haute voix devant moi s’il te plaît ?
– Vas-y mais j’lai d’jà faite j’te dis !

(Le Marcass’ a six ans hein. Pas treize. Rapport à vivre avec des moins de douze ans, tout ça.)

Bon, c’est le temps que l’on se rôde. Que les babi se re-rôdent au statut de maître d’école du Pap’(chou). Mais on va y arriver. On y est presque déjà. Parce qu’on choisit de penser qu’on est des parents qui assurent grave, malgré tous les petits trucs qu’on foire en chemin, et on finit toujours par devenir ce qu’on choisit de croire (si si, vraiment).

Alors en souriant devant l’insolence (et devant tous ces petits trucs qu’on foire en chemin, c’est ce que je trouve le plus dur), on gagne des points paradis comme dirait mon pote David.
On demande calmement :

– D’accord Marcel, est-ce que tu parles à ta maîtresse sur ce ton ?

Et je sais (de source sûre JE SAIS) que : non. Il ne parle pas à sa maîtresse sur ce ton. Jamais il n’oserait.

 

Le Marcass’ tire la langue PARCE QUE sa maîtresse de CP/CE2 demande expressément aux CP un autoportrait à la langue tirée. Donc il obtempère. Avec les crayons de couleur qu’il vient d’utiliser bien alignés devant lui. Et nous envoyons la photo par mail à la maîtresse pour le blog de l’école (mars 2020).

 

 

* Note du 1er avril 2020 *

Suite à mon avant-dernière newsletter (newsletter n°54 # 8 mars 2020) et à mon article long et difficile sur la déception, j’ai reçu un nombre incroyable de messages personnels. Je n’avais pas pensé à le préciser à la fin de l’article en question mais c’est vrai que, pour ceux que le regard public sur le blog embarrasse, je suis quelqu’un qui réponds aux mails perso. Je n’ai pas encore réussi à répondre à tous parce que ça me prend du temps, mais je promets que ça va venir.
Et je vais ajouter une note à la fin de mon article du 4 mars 2020.
Merci à vous.

L’observation que je me suis faite, c’est que la plupart des longs mails que j’ai reçus (parfois très très looongs…) viennent paradoxalement de gens qui appartiennent à la seconde catégorie. Vous savez, celle des gens qui vivent avec plusieurs enfants de moins de douze ans (en option, pour rappel : qui, TOUS, mangent comme des plus de douze ans). C’est la magie de la parentalité qui, en même temps qu’elle te tape vingt ans sur le museau, te transforme en superhéros. Bravo !

 

Ma superhéroïne à moi. Quand l’agent administratif qui décline ta profession à la cérémonie de ton mariage annonce officiellement à l’assemblée réunie : « justicière masquée ». Ou quand tu n’as jamais eu d’autre nom que F. pour Fantômette dans le répertoire téléphonique de ton mari…

 

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Et vous, au niveau du temps pour vous confiné(e) avec vos enfants 24/24 ?
Ça se passe, ou vous êtes au fond du trou (comme dirait Fred-ma-cops) ?