En confinement : du privilège

Photo : La Petite Souris, le Grand Lièvre et le Marcass’ en confinement dans le jardin. Ils font du troc de bâtons, de cailloux et de coquillages de notre voyage. Je ne sais pas s’ils sont heureux, je l’espère, mais je sais qu’ils sont privilégiés, ça c’est sûr (mars 2020).

 

Il faut que je fasse une mise au point – comme Jakie.

Hier matin, quand je suis partie courir, je suis tombée sur une ancienne instit’ de l’école des babi. Je la connais peu – elle est partie à la retraite justement l’année où la Petite Souris aurait pu se trouver dans sa classe de CE1 – mais des quelques fois où nous nous sommes retrouvées à discuter toutes les deux, je l’apprécie beaucoup.
Il en va de ces affinités comme des inimitiés immédiates que l’on ressent dans les rapports humains : elles ne s’expliquent pas vraiment.

Donc hier matin je tombe sur elle par hasard, au tout début de ma course, je m’arrête, et nous avons bien parlé pendant une demi-heure, chacune d’un côté du pont qui surplombe le fleuve, avec les autos qui passaient assourdissantes entre nous. Ce n’était pas très confortable, parfois on ratait des mots et j’avais envie de traverser pour me rapprocher d’elle, mais je n’ai pas osé.

En ces temps confinés, j’ai peur que les gens aient peur. Je me sens comme une lépreuse.
À la ferme avant-hier, les gens se tenaient à au moins trois mètres les uns des autres, c’était dingue. (J’ai fait la queue 1h10 dans la cour sinon. Pour un gros plein de légumes frais. D’ailleurs la saison du cresson est bel et bien terminée, je préfère vous en informer.)

 

Avant-hier, à la ferme où j’achète les légumes. La queue faisait tout le tour de la cour, en cercle. C’est moi ou les gens pensent que 1 mètre = 3 mètres ?

 

Tout ça pour dire que parler une demi-heure hier avec cette personne que j’apprécie, même en criant au-dessus du bruit des moteurs depuis l’autre côté du pont, a porté ma journée.

J’ai entendu l’église toute proche sonner la demie, et bien sûr je n’étais plus du tout dans les temps pour ma séance de running si on se tient au maximum de l’heure de sortie autorisée.
Je ne me suis pas tenue. En pleine conscience je me suis dit que si je me faisais arrêter par des flics besogneux, je paierais mes 135 € sans (presque) barguigner. Because it was worth it.

Je me souviens avoir pensé clairement – et c’est le cas de le dire car je crois que son prénom est Claire – que cette demi-heure valait bien une amende.

Parce qu’elle m’a fait réfléchir un peu plus largement que le confinement de ces derniers temps qui atteint aussi les esprits. Tout en courant, j’ai eu envie de vous dire noir sur blanc que je suis une privilégiée, et la culpabilité qui m’assaille parfois et me fait tout remettre en cause.

 

Cette image m’a été envoyée par ma mère qui me connaît bien…

 

Sur ce blog, je fais de l’humour un peu noir, je jure que le confinement avec trois enfants c’est pire que tout et que mon souhait le plus cher est de voir la grille de l’école s’ouvrir à nouveau. Mais bien sûr que c’est du second degré et que parfois je doute d’avoir encore le droit d’écrire ce que j’écris.

Car oui, Mickaël et moi sommes des privilégiés.
Le bleu de notre ciel est plus bleu que celui de beaucoup d’autres, comme vous l’entendrez dans la chanson que je vous propose en fin d’article.
Ni nous, ni nos proches ne sont en état grave, atteints du coronavirus.
Nous ne zippons pas des hommes et des femmes dans des sacs en plastique comme s’ils n’étaient que de vagues mannequins de démonstration alors que l’instant d’avant leur cœur battait encore et on leur tenait la main. Sans masque et sans gants de protection parce qu’il n’y en a plus assez. Non, ça c’est ma petite sœur qui le fait. Ma meilleure amie.

C’est pas leur job, le zip, ça ne devrait pas l’être, surtout pas dans ces conditions insupportables de manque de moyens et de risques accrus, mais elles le font. Parce qu’elles n’ont pas le choix, parce qu’il faut bien que quelqu’un le fasse, et que ce quelqu’un c’est elles. Pas nous.

Voilà pourquoi je dis que nous sommes privilégiés. Au regard des drames qui se déroulent en ce moment même et des syndromes post-traumatiques qui s’ensuivront, nous sommes largement privilégiés. Dans ce contexte, écrire des articles qui racontent les hauts et les bas de ce qu’on pourrait appeler ma petite vie semble bien dérisoire. Vaniteux et vain. Indécent peut-être, irrespectueux ?

Devrait-on au moins avoir la décence de se taire quand on est privilégiés et qu’on le sait ?
Est-ce que cela aiderait les malades ? Les soignants ?

 

A-t-on le droit de faire circuler ce genre de blagues ? Moi ça me fait rire mais est-ce qu’il faudrait s’en empêcher ? Est-ce que c’est insultant pour les malades du coronavirus, les soignants qui tous les jours voient des gens mourir ?

 

Et pourtant, je ne vais pas faire semblant de savoir ce que vivent ceux qui dévouent leur vie à sauver des vies. Je ne le sais pas. J’écoute ces personnes proches de moi qui le font, mais je ne le sais pas de l’intérieur. Je ne sais pas ce qu’on se dit quand on se couche après avoir vu tant de morts, ni quand on se lève et qu’on sait qu’on en verra tant encore.

Tout ce que je sais moi, tout ce que je connais et dont je peux parler avec sincérité, c’est ma vie quotidienne confinée dont je pense que, peut-être, elle ressemble à la vôtre.

Si vous êtes assez privilégiés vous aussi pour ne pas être confrontés directement au covid-19.
Assez privilégiés pour avoir des enfants qui vont bien, qui ont faim, et dont vous pouvez vous plaindre de vivre en confinement avec eux.

 

 

Alors j’ai décidé de continuer à écrire sincèrement ici, sur le même ton que jusqu’à présent, parce que c’est tout ce que je peux faire. Parler de moi, de nous, avec humour et légèreté quand je suis inspirée, en espérant que ça vous parle à vous.
Je vais continuer à dire que oui, trois enfants en confinement, c’est tendu. Parce que vous savez quoi ? C’EST tendu. Et de l’autre côté de l’écran, vous saurez décrypter, vous, que c’est tendu toutes proportions gardées.

Car vous êtes sur mon blog, là où je raconte « ma petite vie », parce que moi ça m’aide. À comprendre, à prendre de la distance, me moquer de moi-même, à grandir.

Sachant combien, même géants, tout petits nous sommes.

Après tout, on n’est pas obligés de lire si on n’a pas le cœur à apprendre que la saison du cresson est terminée…

 

Je partage avec vous ce duo de Pomme et Pierre Lapointe qui m’a accompagnée ces derniers jours où l’on ne récolte pas toujours les rêves que l’on sème.
Mais dès la semaine prochaine, on refait des blagues, d’accord ? Même du lourd bien potache, big bisou et tout !

 

Pierre Lapointe a invité Pomme à chanter avec lui sa chanson, Tel un seul homme (tirée de son tout premier album, 2004) au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts de Montréal, en juin 2018.

 

Pour David qui m’a fait découvrir Pierre Lapointe il y a très trèèès longtemps.

Pour Garance qui ne se lasse pas d’écouter Pomme des journées entières et attend avec impatience la fin du confinement pour que je l’emmène au concert comme je le lui ai promis.

Et pour Édith, bien sûr.

 

*****

 

Bon évidemment, cet article, de même que l’avant-dernier, n’était pas « prévu ». Mais les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu en ce moment, n’est-ce pas ?
Je veux dire, à part les enfants qui continuent de réclamer à manger quatre fois par jour…