Une affaire de mec

Photo : L’histoire de cette affiche de Rosie la riveteuse, créée pendant la Seconde Guerre Mondiale aux États-Unis, est passionnante. Voyez comme elle est reprise dans l’imagerie de Wonder Woman et dans celle du clip vidéo de Raise your glass, de P!nk, une chanson que j’ai intégrée à ma toute dernière playlist de running ici.

 

Depuis le début du mois, j’ai un nouveau téléphone. J’avais pas changé depuis dix ans. Presque.

J’ai horreur de ça. Je n’aime pas les nouveaux objets technologiques, et surtout, je déteste perdre mon temps à chercher dans des menus comment retrouver telle ou telle fonction que je maîtrisais parfaitement avant. Genre tu veux supprimer un contact de ton répertoire, donc tu laisses ton doigt appuyé sur le nom comme sur ton ancien téléphone mais en fait sur ton nouveau ça fait exactement l’inverse : ça APPELLE le numéro. What the fuck de téléphone de merde.

Et tous les autres trucs.

Galérer parce que tu n’arrives pas à placer le curseur entre deux lettres pour insérer une apostrophe. T’as envie de l’éclater contre le mur.
Friser la crise d’apoplexie parce que la sensibilité tactile de ton nouvel écran est telle que tu ne peux pas tenir ton portable de la main gauche et fumer dehors avec la main droite sans qu’il fasse n’importe quoi tout seul. Re- t’as envie de l’éclater contre le mur.
Choisir une sonnerie parmi un catalogue innombrable (fait).
Enregistrer une nouvelle annonce de répondeur (pas fait).
Acheter une coque qui protège de la chute et de l’éclatement contre le mur (pas fait et pourtant ça urge).

 

Ce n’est pas le mien. Mais ça pourrait, s’il continue de m’énerver.

 

J’ai tellement horreur de ça que c’est Mickaël qui a choisi et acheté ce nouveau téléphone, sans même me le montrer, puis qui l’a configuré. Pourtant il n’aime pas ça plus que moi, je pense. S’occuper du téléphone. Mais il sait que s’il ne le fait pas pour moi, je vais laisser le nouveau téléphone dans sa boîte jusqu’à ce que le gros mien se dégoupille dans ma main. Au moins il n’appelait pas un numéro en fourbe dans mon dos.

Alors, par amour, il le fait. Mickaël, le téléphone.

Ça m’interroge sur la propension que nous avons, dans un couple, à considérer que telle ou telle activité relève davantage des capacités de l’autre. Le plus souvent parce qu’on n’a pas envie de le faire. Pas l’habitude. Pas la zone de confort. Mais on dit que c’est parce que l’autre sait mieux.
Voire on dit (je dis ?) un truc tout pourri et totalement sexiste : que c’est « une affaire de mec ». Et ce n’est pas sans gêne que je le reconnais. Car what makes a man (Mr. Lebowski) ?

 

Strong men also cry…
Scène extraite de The Big Lebowski, des frères Coen, film auquel j’ai déjà fait maintes et maintes fois référence sur ce blog (c’est le principe du film-culte).

 

Chez moi, une affaire de mec, c’est :

  • changer une ampoule ;
  • accrocher un cadre, un miroir, n’importe quoi au mur ;
  • ouvrir le flacon de sirop d’érable déjà entamé (c’est là le problème) dont le bouchon est complètement collé au sucre ;
  • émincer une grande quantité d’oignons pour la pissaladière ;
  • nettoyer les champignons ;
  • lever les filets de poisson ;
  • couper l’énorme potimarron de 5,5 kg que je viens d’acheter à la ferme ;
  • déboucher le lavabo au vinaigre blanc et bicarbonate de soude ;
  • faire les bagages ;
  • emmener les enfants aux goûters d’anniversaire chez Royal Kids, Ta Mère Kids, et consorts Kids (chez nous y’a pas de corvée de match de foot le week-end mais j’imagine bien l’inscrire ici sous un autre tiret) ;
  • remettre la chaîne de mon vélo qui a déraillé ;
  • régler les bretelles de sacs à dos pour tout le monde ;
  • couper à ras les étiquettes qui grattent et aller chercher les cordons qui se sont enfuis dans les manches, à la taille, dans les capuches…
  • répondre au téléphone quand j’appelle dans la journée pour m’expliquer avec une patience infinie où est le tableau électrique et comment on remet le fusible parce que les plombs ont sauté dans la maison ;
  • sortir la poubelle de verre (et la jaune aussi, lundi jeudi) ;
  • vider le lave-vaisselle ;
  • préparer la soupe de mounette ;
  • éplucher les pommes de terre cuites (crues, c’est le travail du Marcass’) ;
  • décortiquer le crabe, les langoustines et autres fruits de mer ;
  • envoyer une photo de sa b*** (ah non pardon, ça on peut le faire aussi ! Y’a pas que les candidats aux élections qui. Enfin pas de ma b*** mais tu vois quoi. Sur mon ancien téléphone je sais.);
  • manipuler la viande ;
  • râper du parmesan ;
  • choisir une bouteille de vin qui va parfaitement avec le moment, et l’ouvrir, et me servir (j’avoue ou pas que je n’ai JAMAIS débouché une bouteille de vin de ma vie et que je ne me suis même JAMAIS servi un verre de vin moi toute seule ? C’est étrange parce qu’avec le rhum ou la vodka je sais très bien me servir…) ;
  • faire un feu, évidemment (quoique Mickaël ne fait pas de feu, il règle le thermostat de la chaudière à laquelle je ne touche pas – donc c’est quand même un peu un feu) ;
  • et bien sûr, configurer mon nouveau téléphone !!!

 

Bande-annonce du film Woman, d’Anastasia Mikova et Yann Arthus-Bertrand, qui sort en salles mercredi et que ma mère m’a envoyée il y a quelques jours.

 

Allez-y, couvrez-moi d’opprobre, je le mérite. Surtout pour : faire un feu.
Pardon Édith. Pardon pardon pardon !

Pourtant je suis féministe (je crois).

J’arrête pas de vous parler du podcast « La Poudre » : ici il y a longtemps, et puis , ou , et encore .
Je veille à ce que je vois, à ce que j’entends, je dis ce que je pense, et même, je transmets mes valeurs et mes croyances à mes enfants. En d’autres termes, je les endoctrine dans mes revendications féministes et j’en suis vilipendée par une lectrice dans les commentaires sous cet article sur Les femmes en noir.

D’ailleurs, si je ne milite pas au Femen, c’est uniquement parce que Mickaël n’aime pas l’idée que je sois seins nus dans la rue.

Ni sur la plage.
Ni en Joséphine Baker à la prochaine soirée à thème années 30 chez Arnaud & Maud.
C’est son côté je veux être un mec de 2020 ouvert et progressiste, je suis mesuré et pas jaloux mais j’ai un foutu gène italien de propriété qui crie au scandale quand un vêtement manque ou qu’il me paraît tellement insuffisamment couvrant que c’est comme s’il manquait parce que les seins de ma meuf sont À MOI RIEN QU’À MOI !

 

Sur un banc à Deauville, le week-end dernier (pas celui-là, celui d’avant).

 

Du coup, par amour moi aussi, je milite habillée. Mais ce n’est pas de la soumission au patriarcat, ah non, pas du tout ; dans son boulot Mickaël dirait : « c’est de la négo ».
Je porte du court et du décolleté quand ça me plaît, mais pas du nu. Ou alors en dessous.

– Nan mais j’adore ton nouveau combishort en jean. Vraiment, il te va bien. C’est juste que… enfin… quand même… il est beaucoup moulant… tu trouves pas que si tu sors dans la rue comme ça, on dirait que t’es en maillot de bain ?

Véridique. Je fais comme si je n’avais pas entendu. Je mettrai mon nouveau combishort quand il fera beau pour aller à la plage à l’école. Je penserai à emmener une serviette et de la crème solaire. C’est ça. Bois de l’eau.

 

Sur l’ardoise d’un resto, à Trouville, le même week-end que Joséphine Baker. Benoîte Groult est morte il y a quelques années. C’était un bonheur de l’entendre parler en entretien à la radio.

 

*****

 

Et chez vous, les questions d’égalité ça se passe comment ?