Lombok, tu te moques !

Photo : Une plage au nord de Gili Air, face aux montagnes de Lombok qui accrochent la brume et les nuages (Gili Air, novembre 2018).

 

Nous avons décidé de quitter Bali et de partir une semaine sur Gili Air : une île minuscule à dix minutes de bateau de Lombok, où les véhicules motorisés à essence sont interdits. Les transports se font uniquement en charrette à bras ou à poney (appelée cidomo), à pied ou à vélo.
Un autre monde.

 

Une scène de tous les jours à Gili Air. On ne voit pas très bien sur la photo parce que j’étais un peu loin mais, accrochée à l’arrière-train du poney, juste sous sa queue, il y a une espèce de toile de jute tendue entre les deux roues de la charrette. Le crottin est recueilli dans la toile (utilisé, je suppose, pour le compost), et c’est ce qui explique qu’on ne marche jamais sur du crottin dans les rues de Gili (en plus qu’il n’y a pas de chien sur l’île !).

 

Nous avons loué une family room dans une guest-house. En réalité, c’est plus qu’une room, plus qu’un studio. On a une chambre séparée pour nous, avec un grand lit et même un bureau pour mon ordi. Pour écrire.
Et dans la grande pièce, en plus du lit king size pour les babi, il y a une table pour l’école, pour le travail de l’après-midi. Enfin, quand les pannes de secteur ne durent pas trop longtemps parce qu’il fait tellement mais tellement chaud, que sans la clim on peut pas travailler.

Le matin on va à la plage. Pour se baigner, faire du snorkeling, ramasser des coquillages. Rêver un peu. On déjeune tard, on se douche, puis on travaille. Tous les jours. Papa Écureuil avec les babi, moi toute seule. On ressort quand il fait moins chaud et on explore l’île à pied, on marche dans le sable, on cherche des biscuits au sésame.

C’est calme. On est bien. On mange des mangues qui tombent des manguiers. On pourrait vivre comme ça tout le temps – si ce n’est la guérilla des repas avec les p’tits culs.

Le soir on a juste à se demander dans quel warung on va dîner quand l’électricité sera revenue. Souvent on se demande pas longtemps, on sait. Pour 150 000 Rps à cinq. 9 €, allez. Let’s go to the Hello Lumbung Warung.

 

Vélos et scooter silencieux. J’ai été surprise que les petites filles soient voilées si tôt, bien avant la puberté. À droite, derrière la Petite Souris qui se demande pourquoi je me suis encore arrêtée pour prendre une photo de la rue alors qu’on part à la plage, ce sont des décombres et des arbres arrachés suite au séisme.

 

Les babi passent leur journée en slip ou en maillot de bain, à inventer des charades et rigoler des mêmes blagues autour de Lombok tu te moques et Gili Air tu manques pas d’air.

« Gili » veut dire île en sasak. Gili Air : l’île d’eau.
Le sasak c’est la langue maternelle à Lombok et sur les petites îles alentour comme Gili Air. Ça vient du nom des Sasaks, qui sont le groupe ethnique le plus important de Lombok.

Gili Air et Lombok sont très très différents de Bali.
La langue imposée, le bahasa indonesia, est pourtant commune mais les langues maternelles sont différentes, la nourriture, l’habillement, les gens sont différents. Je ne sais pas bien expliquer en quoi ni pourquoi. Peut-être parce que la religion n’est pas la même, la pénétration du tourisme non plus, ça change énormément de choses.

Je ne suis pas en train de dire que l’islam vaut mieux que l’hindouisme, juste j’ai préféré le contact des Sasaks que des Balinais.

Après, c’est vrai qu’on arrive dans un contexte particulier, post-traumatique, du séisme d’il y a trois mois. Ça joue, sûrement, sur le rapport des gens. Ou sur moi. Marcher au milieu des décombres, entre deux chantiers de reconstruction, pour aller à la plage. Les murs fissurés, quand ils ne sont pas complètement effondrés.

 

Sur le chemin de la plage, une cour dévastée comme on en a vu tant (Gili Air, novembre 2018).

 

Dans notre guest-house, les portes sont de travers avec un gros jour au-dessus, comme si elles avaient toutes dû être rabotées pour pouvoir s’ouvrir encore après le tremblement de terre. Il y a des clous dans le chambranle pour fermer.
À Lombok, où nous avons passé une journée, c’est carrément pire mais j’ai pas pris de photo des décombres. J’étais mal à l’aise, j’ai pas osé sortir mon appareil photo. Imaginer ces drames humains. La perte de ceux qu’on aime. Je suis pas reporter.
On réexplique aux babi ce qu’ils ont entendu rapidement à la radio en France il y a trois mois.

Et c’est pas du tout la même chose de lire ou d’apprendre : il vient d’y avoir un séisme à l’autre bout du monde, il y a plein de morts, que de marcher au milieu des décombres et des murs à reconstruire.

Gili Air, c’était 500 habitants. Avant. Maintenant c’est beaucoup moins.
Au moment où nous y sommes, nous apprenons que, suite au gros séisme d’août 2018 et aux nombreuses répliques qui ont suivi (quelque chose d’énorme, j’ai entendu parler de 200 à 300 répliques), la fréquentation touristique à Gili Air est à – 80% de ce qu’elle est d’habitude à la même période.
Donc les gens sont contents de nous voir. Une sorte de retour à la vie normale, je me dis. Papa Écureuil est plus pragmatique, il dit : « Ils ont besoin d’argent aussi, pour tout reconstruire. L’argent vient du tourisme. ». Ah oui, c’est vrai.

 

Les murs effondrés d’un grand hôtel de la rue principale de Gili Air après le séisme. Quelques jours après que j’ai pris cette photo, on a vu des ouvriers enlever les planches de bois et commencer à recimenter le mur en parpaings.

 

Depuis trois mois, on sent que les gens ont paré au plus pressé et bricolé ce qui pouvait encore être bricolé. Maintenant les gravats ont été à peu près enlevés et les gros travaux de reconstruction peuvent commencer.

 

Les gens sourient parce que la vie continue, et, comme la mosquée est juste à côté de chez nous et que nos journées sont ponctuées par les appels à la prière du muezzin, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’avec la religion (et les spiritualités) vient l’acceptation. Et, au-delà, la résignation, qui est un concept qui m’échappe totalement. Un de ceux qui m’échappent le plus en réalité. Alors que bon.

Je m’épuiserais moins si je cessais de me battre contre ce qui est plus fort que moi, ou ce qui ne dépend pas de moi. Au lieu de m’accrocher et de batailler encore.

Mais voilà du coup, l’acceptation, religieuse ou philosophique, ça me choque toujours. Pas au sens de je désapprouve, non, au contraire, je voudrais moi aussi, l’apaisement et la sagesse qui en découlent, MAIS ça me choque toujours au sens de ça m’est étranger, je n’arrive pas à saisir comment ça marche. C’est l’étranger pour moi. L’autre. La différence.

 

La mosquée juste à côté de chez nous que j’ai photographiée de plus loin, d’un autre chemin. On voit que le minaret a pris cher aussi avec le séisme… On ne le distingue pas bien sur la photo mais maintenant le minaret est entouré de barres de fer, je pense qu’ils vont essayer de le recentrer, je ne sais pas comment !

 

Donc voilà, peut-être que c’est un mélange de tout ça, la religion, la façon de voir la vie, l’humilité, un tourisme plus mesuré aussi, et le traumatisme du récent séisme bien sûr, qui rend l’expérience ici si différente de Bali. Je ne sais pas bien. Je doute de tout.

Ce dont je suis sûre, c’est que Gili Air est le plus authentique que j’ai vu de Bali. Le plus simple, le plus modeste, et de loin ce que j’ai préféré.
Le seul truc, c’est que c’est pas à Bali quoi…

 

Une peinture dans le tout premier warung dans lequel on s’est arrêtés en arrivant à Gili Air pour manger des martabaks (Gili Air, novembre 2018).

 

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Et vous, vous êtes-vous déjà retrouvé(e) dans un endroit qui venait de vivre une catastrophe naturelle, un drame ?