Là où j’ai peur, j’irai

Photo : Anne Sylvestre en 1965. Elle avait 30 ans.

 

HOMMAGE À ANNE SYLVESTRE

Le titre de cet article, « Là où j’ai peur, j’irai », est une citation d’Anne Sylvestre, tirée de son interview par le journal Le Monde en novembre 2018.

Anne Sylvestre est morte lundi.

Je sais que d’habitude, dans la bienséance et les clichés de langage du billet nécrologique, on lit plutôt : « une grande voix de la chanson française s’est éteinte ».
Ça sonne plus doux et plus poétique peut-être. Plus politiquement correct sans doute. Mais c’est faux ! D’abord il n’y a rien de doux ni de poétique dans la mort de quelqu’un qu’on aime. Ensuite la voix d’Anne Sylvestre ne s’éteint pas : elle chante encore pour nous, autant qu’on le souhaite, et c’est l’ultime doigt d’honneur de l’art de survivre à la mort.

Anne Sylvestre, c’est plus de 60 ans de carrière musicale ininterrompue et des centaines de chansons qui sont des bijoux d’écriture.

C’est aussi une femme entière dans ses choix et ses prises de position, farouchement engagée – même si je me souviens d’avoir lu qu’elle n’aimait pas qu’on la qualifie ainsi. Peut-être parce qu’elle ne voulait pas se faire le chantre de qui que ce soit, de quelle cause que ce soit.
Demeurer une femme libre, quoi qu’il lui en coûte, jusqu’au bout.
Et il lui en a coûté. Mais elle se tenait à ce qu’elle écrivait dans ses chansons :

Je veux me regarder sans honte et sans regrets
Sans honte et sans regrets.

 

Merci Madame Sylvestre. Pour la leçon, pour le courage.

 

 

Je ne vous cache pas qu’Anne Sylvestre est une intégriste de la langue française. Était, pardon. Bien pire que moi. Disons que moi je peux passer sur « je m’en rappelle », parce que je suis émue par une chanson (newsletter 71 # 6 décembre 2020).
Anne Sylvestre, émue ou pas émue, je ne pense pas qu’elle passe. Fuck. Qu’elle passait.

Je l’ai vue en replay dans une émission télé où elle parle de son horreur des fautes d’orthographe, où elle explique qu’elle est du genre à vouloir corriger les fautes sur les ardoises dans les restaurants… et je me suis tellement reconnue !
Mais elle dit aussi, et c’est cela qui m’a surprise, qu’il y a des fautes qu’elle tolère :

« Ça dépend de comment on aime la personne… Y’a des choses qu’on pardonne… »

C’est à 4’30 de la vidéo que je vous mets en lien ci-dessous même si François Busnel j’ai envie de le taper.

« Ça dépend de comment on aime la personne… Y’a des choses qu’on pardonne… »

C’est tellement vrai pour moi aussi, et c’est tellement honnête de le dire, de reconnaître qu’on n’a pas la même tolérance envers tous les « fauteurs et fauteuses » d’orthographe !
Si on aime très fort, on peut fermer les yeux très fort aussi, jusqu’à sentir qu’on a plusse d’amour dedans que d’irritation pour la faute. Comme « plusse ». Ce sont les fautes qui, par amour, m’empêchent de juger les autres sur leur maîtrise de la langue. Elles sont précieuses parce qu’elles m’aident à devenir une meilleure personne.
Pas une connasse.
Pas un dictateur. (Dictatrice ? On dit « dictatrice » ? Ça existe les dictatrices ? Ou non, c’est comme les violeuses ?)

 

Anne Sylvestre sur le plateau de l’émission « La Grande Librairie », au moment de la publication de son livre, Coquelicots (2018).

 

Les textes d’Anne Sylvestre sont des pépites d’humour et d’intelligence.
Heureusement qu’elle n’était presque jamais invitée sur les plateaux de télé finalement parce que, face à elle, les propos des journalistes tombent si creux et si convenus que c’en est navrant pour eux.
Sauf bien sûr à la radio chez Augustin. (Tu connais la meuf fan de Augustin ?!)

Écoutez Anne Sylvestre chez Augustin Trapenard dans un des tous premiers « Boomerang » il y a six ans :
https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-16-octobre-2014

 

De même, les mots d’Anne Sylvestre valent mieux que les miens. Je vous renvoie donc à la playlist que j’avais compilée il y a deux ans dans Mon top 20 Anne Sylvestre pour les grands.
Prenez-en soin. Écoutez-la et réécoutez-la. Ne l’oubliez pas.

« Quand on l’écoute, on s’assoit et on écoute vraiment. »

C’est pas moi, c’est la Grande Sophie qui le dit.

 

Quand Vincent Dedienne et la Grande Sophie parlent d’Anne Sylvestre, dans « Entrée libre » sur France 5, 2017.

 

Je veux terminer cet hommage en recopiant pour vous les paroles de Écrire pour ne pas mourir, qui reste ma chanson préférée d’Anne Sylvestre.

 

Que je sois née d’hier ou d’avant le déluge
J’ai souvent l’impression de tout recommencer
Que j’ai pris ma revanche ou bien trouvé refuge
Dans mes chansons, toujours, j’ai voulu exister
Que vous sachiez de moi ce que j’en veux bien dire
Que vous soyez fidèles ou bien simples passants
Et que nous en soyons justes au premier sourire
Sachez ce qui, pour moi, est le plus important
Oui le plus important.

Écrire pour ne pas mourir
Écrire, sagesse ou délire, écrire pour tenter de dire, dire
Tout ce qui m’a blessée, dire tout ce qui m’a sauvée
Écrire et me débarrasser
Écrire pour ne pas sombrer
Écrire, au lieu de tournoyer, écrire et ne jamais pleurer, rien que des larmes de stylo
Qui viennent se changer en mots pour me tenir le cœur au chaud.

Que je vive cent ans ou bien quelques décades
Je ne supporte pas de voir le temps passer
On arpente sa vie au pas de promenade
Et puis on s’aperçoit qu’il faudra se presser
Que vous soyez tranquilles ou pleins d’inquiétude
Ce que je vais vous dire, vous le comprendrez
En mettant bout à bout toutes nos solitudes
On pourrait se sentir un peu moins effrayés
Un peu moins effrayés.

Écrire pour ne pas mourir
Écrire, tendresse ou plaisir, écrire pour tenter de dire, dire
Tout ce que j’ai compris, dire l’amour et le mépris, écrire, me sauver de l’oubli
Écrire pour tout raconter
Écrire au lieu de regretter
Écrire et ne rien oublier
Et même inventer quelques rêves, de ceux qui empêchent qu’on crève
Quand l’écriture, un jour, s’achève.

Qu’on m’écoute en passant, d’une oreille distraite
Ou qu’on ait l’impression de trop me ressembler
Je voudrais que ces mots qui me sont une fête
On ne se dépêche pas d’aller les oublier
Et que vous soyez critiques ou pleins de bienveillance
Je ne recherche pas toujours ce qui vous plaît
Quand je soigne mes mots, c’est à moi que je pense
Je veux me regarder sans honte et sans regrets
Sans honte et sans regrets.

Écrire pour ne pas mourir
Écrire, grimacer, sourire, écrire et ne pas me dédire, dire
Ce que je n’ai su faire
Dire pour ne pas me défaire, écrire, habiller ma colère
Écrire pour être égoïste
Écrire ce qui me résiste
Écrire et ne pas vivre triste et me dissoudre dans les mots
Qu’ils soient ma joie et mon repos
Écrire et pas me foutre à l’eau
Et me dissoudre dans les mots
Qu’ils soient ma joie et mon repos
Écrire et pas me foutre à l’eau
Écrire pour ne pas mourir
Pour ne pas mourir.

 

Anne Sylvestre, Écrire pour ne pas mourir, album « Écrire pour ne pas mourir », 1985.

 

Encore plus d’Anne Sylvestre sur ce blog :

Dépression de saison
Des nouilles, des nouilles, des nouilles
My beloved monster & me
Mon top 20 Anne Sylvestre pour les grands
Qui est Maman Ourse ?

 

Et même inventer quelques rêves, de ceux qui empêchent qu’on crève
Quand l’écriture, un jour, s’achève…

 

*****

 

Et vous, Anne Sylvestre ça vous fait quoi ?
(À part les Fabulettes. Ça va les Fabulettes.)

 

 

Pour vous aider à publier votre commentaire (à condition qu’il ne dise pas « Anne Sylvestre C’EST les Fabulettes ! »), voici la marche à suivre :

1/. À la fin de chaque article, sous l’encadré qui vous dit « Participer à la discussion », cliquez sur le D blanc dans une bulle bleue (D pour Disqus).

2/. Une nouvelle fenêtre s’ouvre : cliquez sur « Besoin d’un compte ». Remplissez les trois rectangles avec votre nom, votre adresse mail et un mot de passe, cochez « je ne suis pas un robot » et les trois petites cases « I agree », cliquez sur « sign up » (ou « connexion », ça dépend des fois), et voilà !
La prochaine fois, vous n’aurez plus qu’à renseigner votre mail et votre mot de passe avant d’écrire votre commentaire sur Disqus, ce sera encore plus facile !