Connasse

Illustration de Margaux Motin. J’aime bien le livre d’art sur Basquiat sur la petite table, ça me rappelle des souvenirs… et l’album « Caca boudin » de Stephanie Blake !

 

Cet article n’était pas prévu. Je vous aurais bien laissés plus longtemps avec la poésie de Reggiani. Personnellement j’ai besoin de poésie dans ma vie et particulièrement aujourd’hui après ce que je vais vous raconter, comme ça, au débotté, pour vous prévenir qu’il est possible qu’une photo de ma face soufflante et transpirante circule sur Internet avec la mention CONNASSE marquée dessus.
Si si.

 Connasse ! Sale connasse ! Je vais te dénoncer moi, je vais porter plainte contre toi !

C’est sur ces mots charmants que je suis rentrée chez moi ce matin après ma course.
(Là je pense que le mec ne me draguait pas, Carole. Vraiment. Ou quelque chose m’échappe – ce qui est encore possible, n’oublions pas que le pire est toujours à venir…)

 

Quand j’ai raconté ma mésaventure à Papa Écureuil, il m’a dit :
– Eh mais tu tiens le deuxième round de ton article de jeudi dernier !

Et sous la douche je me suis dit : oui, c’est ça, je vais écrire pour m’aider à être moins triste.

 

 
Le contexte

On est le jeudi de l’Ascension. C’est le premier jour férié depuis le déconfinement, il fait beau et exceptionnellement chaud comme en plein été, les berges de l’Oise sont blindées de monde.

Au moment où se produit l’incident, il est presque midi.
L’incident c’est : en courant je double un couple de promeneurs, juste après une barrière qui oblige les vélos à s’arrêter pour la contourner. C’est un détail mais ça compte un peu parce que, à cause de ça, la circulation n’est pas fluide. Plus dense peut-être.

– Déjà vous avez pas de masque, mais en plus vous courez, vous soufflez, et vous passez à ÇA de moi !

En insistant sur le ÇA, l’homme montre ses mains à distance l’une de l’autre je dirais de la taille de ma règle que tous mes enfants squattent régulièrement dans le premier tiroir de mon bureau. Elle mesure 30 cm.

Alors oui, je ne porte pas de masque, et oui je suis peut-être passée, en courant, à moins d’un mètre de lui parce qu’il y a tellement de monde que c’est impossible de tenir cette distance avec tous les gens qui sont là. T’es déjà hyper concentrée à éviter les chiens, les cyclistes, les enfants en patinette ou en tricycle…
Mais 30 cm, faut pas exagérer. C’est ce que je lui réponds, précédé d’un excusez-moi mais. Pas 30 cm.

Mais les maths ne font que de la figuration dans le théâtre qui se joue ici.
→ Si ça vous dit d’en profiter pour écouter ou réécouter un vieil épisode de Change ma vie qui s’appelle « Les maths et le théâtre », c’est l’épisode 24 ici.

Le type est furibond derrière son masque. Il me menace de son doigt pointé sur moi.

Il enchaîne que je lui manque de respect, que je ne fais pas ce qu’il faut, que je passe à ÇA de lui (+ geste de la règle), à ÇA (re-règle), et je n’ai pas de masque, je n’ai pas de masque, je n’ai pas de masque (trois fois), et je passe à ÇA de lui (re-re-règle) !

Je ne suis pas quelqu’un que l’on peut décemment qualifier de calme et paisible. Si je me sens agressée, je monte assez vite en pression. Pas comme ma cocotte-minute dont le joint est défaillant et qui ne va bientôt plus monter du tout.
Mon joint à moi n’est pas défaillant. Il est même ultra puissant.
Les-enfants-qui-empruntent-ma-règle-alors-que-je-leur-en-ai-acheté-une-chacun-à-la-rentrée-ça-m’énerve-surtout-quand-ils-ne-la-remettent-pas-à-sa-place appellent ça : le poisson-globe.

 

C’est le diodon, un poisson recouvert de piquants qui se gonfle en boule lorsqu’il se sent en danger. « Chez les diodons, le poison est surtout très concentré dans la pointe des piquants, notamment chez les femelles en période de reproduction. » (Wikipédia).

 

Et c’était pas le bon jour pour un prédateur… J’étais sur le point de rétorquer quelque chose de sensé qui ressemblait à :

– Mais monsieur si vous avez si peur, RESTEZ CHEZ VOUS ! Ou sortez à neuf heures du matin quand il n’y a personne sur les chemins, pas à midi au maximum de la fréquentation !

Mais la lassitude a tiré la première, comme chez Marc Lavoine. M’a touchée, c’est foutu. Une violente fatigue, d’un coup m’a abattue. À quoi bon ? j’ai pensé.
C’est hyper rare ce « à quoi bon » chez moi, mais parfois, sans crier gare il est là, et ce n’est jamais bon signe – un poisson-globe qui se dégonfle sans avoir rentré ses épines.

Dans mon article que, suivant Papa Écureuil, on va dire du premier round, j’ai écrit que la colère avale la peur (toute crue). Maintenant je vois que le dégoût est plus fort que la colère et je ne trouve pas que ce soit une bonne nouvelle.

 

 
L’injure

J’ai repris ma course. Mais l’homme ne s’est pas arrêté là. Il a continué à m’invectiver tandis que je m’éloignais, et c’est à ce moment-là qu’il a hurlé :

– Connasse ! Sale connasse ! Je vais te dénoncer moi, je vais porter plainte contre toi !

Il a vraiment hurlé parce que j’étais déjà presque au bout du chemin et je l’ai entendu par-dessus ma musique. Quand il a dit « connasse », je me suis immobilisée net. J’ai retiré mes écouteurs un à un, puis j’ai fait volte-face et je suis revenue sur mes pas jusqu’à arriver à sa hauteur.

– Quoi ? Vous m’avez dit quoi ?

(Notez le subtil glissement du vous au tu chez le monsieur à partir de « connasse ». Ça compte comme un moins dans la colonne du tutoiement, non ?)

 

En vrai c’est pas moi petite là (même si j’avoue qu’il y avait pas mal de ça… et d’ailleurs ça pourrait aussi être le Marcass’ ! ). Je suis tombée sur cette photo Internet chez la bien-nommée Madame Connasse.

 

L’homme répète :

– Connasse ! Je t’ai dit connasse, sale connasse !

Je m’approche encore, je suis à un mètre à présent, et il devient carrément hystérique. Il agite son téléphone portable dans tous les sens :

– Je vais te prendre en photo moi ! Je vais te dénoncer, tu vas voir ! Je vais porter plainte au commissariat avec ta photo, ils vont te retrouver et tu vas payer !

Je dis d’accord, allez-y. Portez plainte. Et je reste bien en face pour qu’il prenne sa photo. Alors sa femme essaye de s’interposer et de lui enlever son portable, mais il est vraiment grand et fort, et elle petite. Elle essaye de lui arracher des mains mais il le tient plus haut, hors de sa portée, il gesticule dans ma direction :

– Je vais te dénoncer ! Je vais te dénoncer !

Et elle :

– Arrête ! Mais arrête j’te dis !

Je ne crois pas qu’elle ait sérieusement voulu prendre ma défense. Elle semblait surtout avoir peur qu’on en vienne aux mains. N’empêche, je la remercie. La pauvre.
Lui a continué à répéter connasse, connasse je vais te dénoncer, comme un mantra, et sa femme arrête mais arrête j’te dis, en automate derrière lui.

Je les ai regardés un moment, et puis j’ai lâché l’affaire. Je suis partie sans me battre.
Faut dire aussi, je n’ai plus 27 ans.

Le type a encore ajouté :

– Si j’attrape la grève, tu vas payer connasse !

Mais je ne me suis plus retournée. Je n’ai pas eu la répartie que j’aurais dû.
J’aurais dû m’approcher encore plus près et lui cracher au nez ma nicotine de coureuse qui s’essouffle le prendre dans mes bras et lui faire un câlin. Comme ça c’est sur son gros ventre que j’aurais vomi mon dégoût du monde. Avec le vomi en période de pandémie, le commissariat aurait pu prendre sa plainte au sérieux. Et j’aurais expliqué :

– Les gens me rendent malade. Aidez-moi.

 

Mais non. Je suis juste partie comme ça, avec mon malaise en moi, et c’était moche.

Je n’ose même pas imaginer les insultes que tu devais essuyer si tu étais séropositif au début des années 90.
(Le rapport c’est que pendant que j’écris à mon bureau, le Marcass’ écoute toujours Raggasonic à fond les manettes, il entend parler du sida, qu’il est passé par il est passé par là, une chose est sûre c’est qu’il rentre dans mes oreilles, et c’est fou comme tu es perméable quand tu écris.)

 

Jean-Michel Basquiat, Untitled Skull (1982). Cette toile est probablement l’une des plus connues de Basquiat mais c’est aussi l’une de mes préférées. Comme quoi des fois ça n’empêche pas…

 

*****

 

En voyant les titres des articles reliés à celui-ci, je remarque qu’il y a peut-être beaucoup de gros mots sur ce blog. Ce à quoi Papa Écureuil répond :
– En même temps t’en dis beaucoup, donc c’est pas une surprise !

Voilà… Pardon pour ça…

 

 

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