Photo : Sur un des temples de la ville sainte d’Anuradhapura (Sri Lanka, octobre 2018).
J’aime cette photo. C’est rare que je ne sois pas derrière l’appareil…
Le grand départ
On a sauté. Plongé dans la réalisation concrète du projet qu’on avait rêvé à deux, il y a huit ans, quand on n’était même pas encore la famille qu’on est aujourd’hui.
Ça fait un drôle d’effet. Arriver brutalement en terre inconnue après tout ce temps passé à l’imaginer.
Ça crée des émotions contradictoires et toutes mélangées, parce que ce n’est pas seulement le Sri Lanka que l’on découvre. C’est aussi le début de notre grand voyage, avec ce que cela comporte de doutes et d’appréhension.
L’ailleurs est parfois hostile de prime abord. La chaleur étouffante. Les moustiques voraces.
Papa Écureuil a déjà passé sa première journée sans café. Moi non mais c’est parce que j’ai comme un problème de migraine sans caféine. Ça viendra…
Pour l’instant, dans un hôtel où j’ai trouvé une bouilloire et des sachets de thé de Ceylan, j’ai demandé si je pouvais avoir des sticks de café – Nescafé instantané en grains, comme on nous en apporte généralement le matin. En fait, ils m’ont donné du café moulu dans un petit pot.
Et je bois ça. Je mets de l’eau bouillante sur une grosse cuillère de café moulu, sans filtre, et je bois ça… Faut vraiment être en manque !
Mais ça va aller.
Et puis Mickaël compte et recompte les roupies dans son joli porte-monnaie fait main exprès pour lui par « la copine de papa » ( 😉 ), et ça ça prouve que pour lui on est vraiment partis !
Attention je ne critique pas hein, je suis trop contente de ne pas m’occuper du budget. Dois-je avouer que je n’ai même pas touché un billet depuis le début ?
De manière générale, papa Écureuil assure grave sur le voyage. Non seulement avec l’anglais, l’argent, les babi, les maillots, les k-ways et, plus que tout, le rangement et les bagages, tout ça je savais déjà, mais aussi dans des situations plus tricky pour lui, où il me surprend merveilleusement.
Genre négocier le prix d’une bouteille d’eau quand clairement on essaye de nous la vendre trois fois son prix. Ou quand il s’oppose à notre guide avec fermeté pour lui expliquer ce qu’on ne veut pas. Après, c’est pas pour ça que le guide en tient compte mais au moins il OSE le dire.
À propos de voyager avec un guide-chauffeur au Sri Lanka
Ouais alors moi aussi j’aime l’idée de découvrir un pays seuls à pied avec nos sacs sur le dos. Mais déjà on est cinq et on part onze mois, donc nos sacs sont lourds et j’ai mal au dos, c’est pas comme si j’avais que ma bite et mon couteau. D’ailleurs j’ai juste rien. De tout ça. Sad story of my life.
En plus, les chauffeurs de bus locaux conduisent comme des dingues. Aux bus s’ajoutent les camions surchargés, les tuk-tuk, les vélos, les scooters, ET les chiens errants qui traversent la route partout, à n’importe quel moment.
Mickaël a dit : « Je suis trop content de ne pas conduire ici ! ».
Et même moi, j’admets. Avec les huit points que je viens d’apprendre par mounette qui ouvre notre courrier officiel qu’il me reste sur mon permis. Ici c’est pas QUE une question de vitesse. Volant à droite, conduite à gauche. Ça encore on aura à s’y faire, plus tard, mais là y’a juste pas de règles claires de circulation.
Ensuite, de toute façon, pour visiter les temples et les sites historiques, tu as besoin d’un guide. Sinon tu passes juste à côté. Et puis faut pas se leurrer, si tu parles pas cinghalais, à part des sourires (et c’est bien déjà), tu n’échanges pas avec les gens.
À l’inverse, quand tu côtoies le même guide chaque jour pendant trois semaines d’affilée, du matin quand il est bien réveillé jusqu’au soir après quelques verres d’old arrack local, puis quand il t’accueille chez lui, dans sa famille, tu apprends des trucs sur comment les gens vivent. Sur sa façon de vivre à lui d’abord, et puis sur les us et coutumes de son pays.
Tu ne prends pas quelqu’un en photo dos au Bouddha. C’est interdit. Et beaucoup d’autres choses. Comment fonctionne l’école, quels sont les valeurs et les rituels importants, de quoi est faite la vie quotidienne des gens.
Et puis, et puis, quand tu as des enfants petits, pas habitués à la chaleur, qui menacent de s’évanouir si tu visites encore un seul temple, eh ben c’est un super confort de pouvoir laisser tes deux garçons de 5 et 7 ans avec le guide dans son auto climatisée, leurs crayons de couleur et leurs carnets de voyage, et de continuer à t’ouvrir à l’illumination du Bouddha avec ton mec qui assure grave et votre grande fille de 9 ans super courageuse.
En fait, le seul problème avec ton guide-chauffeur, c’est la musique qu’il écoute dans son auto.
L’alternance Bryan Adams / Britney Spears, en boucle.
Même l’odeur persistante de l’essence, c’est rien à côté. Tu peux t’habituer. Alors que Bryan Adams, jamais. Et vous savez quoi, même Britney. Oui, c’est moi qui dis ça ! Parce qu’on parle pas de la Britney des débuts là, you drive me crazy et baby one more time, à la grande époque de la choré dans le gymnase du collège, limite vintage. Non. Là j’en suis à un point où je pourrais limite supplier pour du Queen. Limite.
Papa Écureuil, dont tu t’aperçois qu’il a vraiment laissé son côté spoilsport à la maison et ne veut plus voir que du positif, te réconforte : « Franchement ça pourrait être pire. Il pourrait écouter du zouk… Ou le karaoké de variétés qu’on se tapait à fond les enceintes dans le bus de nuit au Cambodge ! ».
D’accord, bon.
Vas-y, remets-moi un petit coup de (Drop dead) Beautiful.
Ça sera toujours moins pire que Bryan Adams. Please forgive me, j’ai envie de le matraquer.
Enfin, j’aime tellement la route…
Là c’est pas moi qui conduis, mais j’adore quand on roule sans parler (et sans musique 😉 ).
Je suis dans ma tête. Je regarde par les vitres. J’écris ce que j’observe et ce que je ressens sur mon carnet de voyage. Je voudrais tout retenir.
Le Grand Lièvre qui s’endort contre moi, bercé par les cahots (c’est aussi pour ça que c’est mal écrit dans mon carnet, c’est pas facile…).
Je vois les vaches maigres au bord de la route. Les pistes de terre rouge qui s’enfoncent dans la forêt. Les singes en équilibre sur les fils électriques entremêlés.
Les trajets, la route, c’est ce que je préfère en fait. Depuis toujours.
Bien plus que les temples, les sites historiques, les musées, la mer.
Moi j’aime la route qui défile, sans cesse, quitter un ici pour aller à Yeure, les gens dans leur vie que je m’imagine.
Alors c’est sûr que dans une auto climatisée, c’est pas la façon la plus roots de voyager. Pas comme les deux Allemandes qu’on a croisées à vélo, à crever de chaud. Mais qui étaient jeunes et sans enfants.
Pas non plus comme Antoine R., dont j’ai parlé avec émotion ici. Qui est plus si jeune comme nous et avec enfants, lui. En tandem.
Oui, il y a une part de moi, la même que celle qui voudrait tellement être championne olympique de marathon, ou même championne d’autre chose, n’importe quoi, qui s’en veut de ne pas être plus roots. Mais là, en pleine mousson étouffante, avec mon corps dans l’état de fatigue dans lequel je l’ai mis, affaibli, probablement un peu trop abîmé, mon corps d’Occidentale qui manque d’entraînement, c’est le chemin qui est le mieux pour moi.
C’est pas facile de l’admettre, comme une fragilité, mais je fais avec ce que je suis. Et ça n’empêche pas les rencontres car il y a plein de moments où on est seuls sans guide.
Comme avec cette femme au bord du lac de Kandy avec qui j’ai pleuré et partagé son émotion.
Ou comme avec le cuisinier de l’hôtel ce matin qui m’a apporté une tête de banana flower (pendant que papa Écureuil s’occupait de packer les bagages dans la chambre…), parlé de ses bienfaits sur la flore intestinale, en particulier chez les femmes, et appris comment la cuisiner.
Alors je garde en tête cette citation de Saint-Augustin, proposée ici par un lecteur avisé : « Avance sur ta route, car elle n’existe que par ta marche. ».
*****
Voilà, ça c’était la séquence : comment ça se passe en vrai, derrière les récits héroïques de voyage, derrière les photos de magnifiques paysages…