Photo : Troisième jour de pluie continue (novembre 2023).
Hop, autoportrait ce mois-ci (sans les mains, défi de l’autoportrait).
Mes cher·es abonné·es, vous souvenez-vous des mots de la poétesse Cécile Coulon que je vous citais dans la newsletter 123 # 1er octobre 2023 ?
« Le miroir m’a donné un aperçu de ce à quoi m’attendre si je n’arrête pas de boire, d’écrire et de fumer. » (dans le recueil Les Ronces, p.71)
Bon bah j’ai pas arrêté. Rien, aucun. Voilà.
Je rappelle le principe de l’exercice de Paye ta question : chaque mois je partage avec vous une question que vous emportez ensuite pour y réfléchir. À l’intérieur de vous-même, là où personne ne regarde. Là où personne ne sait ce que vous pensez quand vous ne le dites pas. Et puis la vérité. Celle qu’on suppose. Celle qu’on cache. Celle qu’on chuchote. Celle qui dérange. Celle qu’on élude. Ton autre chemin. Ton autre chemin.
Votre question du mois est :
Est-ce que interdire, c’est protéger ?
Ou bien est-ce que contraindre et interdire produisent toujours l’effet inverse ?
J’avais une réponse depuis longtemps, issue de ma propension à faire plutôt le contraire de ce qu’on attend de moi, mais elle a été violemment bousculée cet été. Donc j’ai dû la réinterroger, de mille nuances entre gris clair et gris foncé, en me demandant si on pouvait y répondre de la même façon pour les adultes et les enfants qui nous entourent.
Pensez à des situations concrètes de votre vie. Au travail, en amour, dans la loi.
Pensez à vos enfants, vos ados.
Est-ce que vous leur posez des interdits ?
Croyez-vous que les contraindre à, leur interdire de, permette de les protéger du pire ?
Dans mon article Les médecins & moi, je vous informais de la parution prochaine de « C’est quoi l’amour, maîtresse ? », une série documentaire réalisée par Lolita Rivé et hébergée dans le podcast « Le Cœur sur la table ». Entre-temps ça y est, les cinq épisodes sont parus. Ils retracent les séances d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle qu’une ancienne journaliste devenue instit’ propose à sa classe de CE1. C’est vraiment bien.
Vous allez dire : on prêche une convaincue !
Alors oui, évidemment que je milite déjà pour le développement de ces séances qui consistent à ouvrir des espaces de dialogue avec les enfants sur les sujets de société qui les entourent, partout, tout le temps, dont ils sont souvent victimes et qui restent pourtant tellement tabous. Mais ce podcast est allé me chercher plus loin que dans ma simple approbation. Ce podcast m’a amenée à changer des pratiques ancrées que je refusais jusque-là de modifier parce qu’elles étaient mon propre plaisir. Rien de sexuel hein, ne paniquez pas !
Mais voilà, un de mes plus grands kifs, c’est l’odeur dans le cou de Lucien (12 ans) quand il se lève le matin. C’est comme ça depuis qu’il est né. L’odeur de sa peau dans son cou, et toucher l’intérieur de sa main la nuit quand il dort. Je te jure que t’as jamais rien caressé de plus doux de ta vie. Même un pétale de pivoine, la fourrure d’un lapereau angora, le dessus d’un mochi au sésame noir. Tu comprends même pas comment c’est possible qu’une paume de main aussi moite et dégueu collante la journée puisse devenir aussi douce à la nuit tombée.
Pardon. Je m’égare. Donc le matin, quand le Grand Lièvre surgit dans la cuisine pour son petit-déjeuner, je l’attrape en mode t’as bien dormi mon lulu, et hop j’enfouis mon nez dans sa nuque, je le respire à pleins poumons et je lui fais des bisous dans le cou sans rien lui demander. #MauvaiseMère.
Ça le saoule, surtout maintenant que collège et sortilèges l’ont transformé en ado prépubère, l’enfant c’est plus le même. Maintenant à peine il se lève, il a rien fait, il est déjà saoulé. Et moi je le sais très bien qu’il n’a pas envie que je le câline comme un tout-p’tit, mais j’y vais quand même parce que j’en ai trop envie, j’y vais comme une grosse relou qui force, et même quand il exprime clairement son refus, arrête maman tu m’énerves, je ne le respecte pas. Je l’ignore et je continue de le respirer à fond jusqu’à ce qu’il soit vraiment vénère et qu’il gueule (bon début de journée) parce que : je ne peux pas m’en empêcher.
« Si ses propres parents n’entendent pas son non, comment est-ce qu’elle [la petite fille] peut savoir qu’il a de l’importance ? »
C’est dans l’épisode 3 du podcast : le consentement. Si vous devez n’en écouter qu’un, c’est celui-là. Il m’a claqué le beignet.
Je ne peux pas m’en empêcher.
Je ne peux pas m’en empêcher.
Bah si en fait, je PEUX !
Je PEUX tout à fait m’en empêcher.
Je PEUX tout à fait décider de respecter le refus de mon enfant que je l’embrasse dans le cou.
Et si moi je peux, toi aussi tu peux, il peut, elle peut, ensemble nous pouvons, vous pouvez, et surtout, eux aussi, ils PEUVENT.
Breaking news : les agresseurs sexuels PEUVENT très bien s’empêcher de forcer, de violer, comme on PEUT très bien, tous et toutes, nous empêcher de faire des choses à quelqu’un qui ne veut pas ces choses.
Le consentement, qu’est-ce que c’est ?
Comment exprimer à un·e adulte qu’on ne consent pas quand on est enfant et habitué·e à obéir ?
Peut-on apprendre aux enfants à dire NON, sachant que cela induit qu’ils et elles puissent aussi nous dire non à nous, parents, pour l’ensemble des choses qu’on leur demande de faire ?
Apprendre aux enfants à désobéir aux adultes puisque nos demandes ne sont que des demandes, pas des ordres auxquels ils et elles doivent obligatoirement se soumettre.
(Mes enfants ça va je crois… vu que je n’ai jamais exigé d’eux ou d’elle l’obéissance, la remise en cause et la contestation sont des outils qu’ils et elle maîtrisent parfaitement !!!)
À travers mon exemple du sniff de nuque au saut du lit – mais on va plutôt dire ici « du bisou dans le cou », ce sera moins weird – je vous ai donné un aperçu de ce qui m’a personnellement fait réfléchir et amenée à changer dans ma pratique éducative, mais l’ensemble du podcast est passionnant. C’est pourquoi, suite à une histoire de harcèlement survenue dans la classe d’un de mes enfants la semaine dernière, j’ai décidé de leur faire écouter l’intégralité de ce podcast.
Un épisode par jour, mes trois enfants de 10, 12 et 14 ans chacun·e allongé·e sur une couette, et moi assise par terre.
À la fin de l’écoute, selon le sujet des épisodes, on a pris quelques minutes pour en discuter, librement et sans forcer. Comme l’initiative venait de moi, mes enfants étaient peu motivé·es : deux minutes en moyenne, et attention, gros débat de huit minutes et demie pour l’épisode 3 !
Mais ça fait rien. Peut-être ils et elle n’ont pas envie d’en parler, encore moins avec moi, parce que tout ça c’est grave la gênance maman – c’est cringe comme je viens de l’apprendre – mais ça fait rien. Je sais qu’au moins, ils, elle, savent qu’il y a un espace pour ça si à un moment, ils, elle, en ont besoin.
Sur le même sujet de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, si vous êtes parent d’ado, ou bientôt parent d’ado, je vous recommande l’épisode 87 : « Dans la tête des ados », du podcast « Les couilles sur la table » dont j’ai déjà dit ici et surtout ici tout le bien que j’en pense.
On est à la saison 6 des « Couilles sur la table », et dans cet épisode 87, Victoire Tuaillon reçoit Didier Valentin, plus connu sous le nom de Dr. Kpote, pseudonyme sous lequel il anime depuis plus de 20 ans des groupes de paroles et ateliers d’éducation à la vie affective et sexuelle dans les collèges, les lycées et les formations professionnelles.
Ce que j’ai entendu est très intéressant, parfois déroutant et parfois révoltant.
Intéressant pour moi, qui suis maman d’une jeune fille de 14 ans bientôt 15, d’écouter comment les garçons de son âge abordent le genre et la sexualité aujourd’hui, en post-#MeToo. Ce qui a changé, ce qui n’a pas (du tout) changé.
Déroutant et parfois révoltant d’entrevoir sur quoi se base leur construction intime et sociale de la masculinité. Ce qu’ils ont déjà intégré des rapports de domination des hommes sur les femmes.
Ça m’a permis de réfléchir aussi, avant de me vénère mettre en colère contre les filles ultra maquillées qui font des bouches en cul-de-poule sur TikTok et postent 12 000 photos et vidéos de leur cul ultra moulé dans un mini-short, avant de juger qu’elles sont superficielles et n’ont rien dans la cervelle, d’envisager qu’elles ne font finalement que répondre à ce qui est attendu d’elles. À y répondre parfaitement.
Elles ne font que se conformer du mieux possible à leur rôle de femme pour espérer être aimée, plusse aimée, mieux aimée, au même titre que les mecs qui publient sur le même réseau une vidéo d’eux en train de faire une roue arrière sur leur TMAX. (C’est un scooter. J’ai cherché. Moi non plus je savais pas.)
J’ai ressenti de la compassion pour elles toutes et ça a remis ma colère à la place où elle est réellement utile, c’est-à-dire pour lutter contre les injonctions faites aux femmes ET aux hommes dans cette société du patriarcat où ce qu’on demande avant tout aux hommes c’est d’être virils (= puissants) et aux femmes d’être féminines (= jolies). Bien soignée comme dirait Lulu. Bah ouais, le minimum meuf, faut pas déconner !
Être jolie pour exister aux yeux d’un homme viril (un vrai).
Être sexy mais pas trop (salope) pour être validée en tant que femme. Considérée.
Et puis les propos sur l’homosexualité qui sortent de la bouche des ados aussi, ça fait froid dans le dos.
Avant de vous laisser à vos écoutes de podcasts, vous voulez une petite chanson qui, en peu de mots, dit tout comment c’est (la vie / l’avis d’une femme qui se tait) ?
D’façon si tu dis non
Moi j’entendrai un oui
Et si on arrêtait de serrer les dents (et les fesses), si on arrêtait de se taire et qu’on incarnait pleinement notre NON en apprenant à nos enfants à le dire ?
NON !
Suzane, SLT, album « Toï Toï », 2020.
Si vous avez manqué les questions précédentes :
Paye ta question #1
Paye ta question #2
Paye ta question #3
Paye ta question #4
Paye ta question #5
Paye ta question #6
Paye ta question #7
Paye ta question #8
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Et vous, si on vous contraint, si on vous interdit… vous faites quoi ?