Photo : Rando un peu hardcore depuis Port-Vendres jusqu’au phare de Cap Béar (jeudi 4 novembre 2021).
Une signalisation très pertinente pour mes mois de novembre…
Lundi 8 novembre, début d’après-midi.
Je vais faire court aujourd’hui les amis. J’avais prévu mieux bien sûr, j’avais encore des tas d’idées super géniales, mais je suis salement malade depuis hier. Salement comme : au fond de mon lit à trembloter, crever de froid sous quatre épaisseurs et des grosses chaussettes, puis d’un coup crever de chaud, arracher très vite la couette, le gilet en laine, le petit pull en dessous, le marcel, me retrouver nue à 40 degrés et bredouiller des phrases incohérentes. Pas du tout en état d’écrire un article. Enfin là à l’instant où je vous parle, je suis droguée au summum du Doliprane donc j’ai la surpuissance d’aligner trois paragraphes, mais je sais par expérience que dans une heure ou deux maximum le charme sera retombé. Que je vais me traîner dans la maison les yeux à demi fermés comme si j’avais passé la nuit à éplucher des oignons avant de me ré-écrouler au fond de mon lit (trembloter, crever de froid sous quatre épaisseurs, etc., remets une pièce dans la machine). Je ne bougerai plus jusqu’à ce que ce soit de nouveau l’heure autorisée pour un comprimé de paracétamol. Je les gobe toutes les six heures avec avidité en même temps que j’adresse une prière silencieuse à mon foie, pardon, pardon, dès que je pourrai avaler autre chose qu’une capsule chimique, promis je te râperai du radis noir midi et soir, je mangerai des feuilles amères de pissenlit par la racine, tous les matins je boirai du jus de fenouil avec du citron, pardon.
Et merci pour ton taf.
Moi au mois de novembre, je trouve toujours un truc pour pas m’ennuyer. Des tempêtes, des rechutes…
C’est vrai, je me suis fait la réflexion (au fond de ton lit, t’as rien d’autre à gratter) que tout ce qu’il m’est arrivé de physiquement pénible ces dernières années, à part la dengue au Vietnam, c’est toujours apparu en novembre et en juin.
En novembre : ben là je suis salement malade, l’année dernière en 2020 c’était ma chute dans l’escalier (= coccyx fêlé déplacé), en novembre 2019 j’ai été tellement assommée que mon corps s’est tu, en 2018 c’était le début du voyage, une année entre parenthèses où tout est bien allé parce que novembre c’était l’été, mais avant, fausse couche à deux mois de grossesse en novembre 2017, fracture de la cheville gauche en novembre 2016…
Et puis juin : grosse angine pharyngite en 2021, chute grave d’une terrasse début juin 2017, double entorse cheville gauche fin juin de la même année, interruption de grossesse extra-utérine en 2016…
C’est curieux quand même. Je n’en tire aucune conclusion, je l’écris et je constate simplement. C’est curieux. En novembre, en juin, je tombe.
Je m’arrête là car je sens la fièvre qui me (re)mord. Je vous avais prévenu que je ferais court. Je n’ai même plus assez d’énergie pour préparer la mise en ligne, je vais devoir repousser à demain et je déteste repousser au lendemain. Comme un vieux poisson crevé au bord de la route.
Heureusement le dîner est prêt pour ce soir. Il ne reste plus que la salade à laver. Tu peux être super crevée ET une super épouse ET une super maman. Souvent d’ailleurs c’est pour ça.
Que t’es super crevée.
Mardi 9 novembre, matin.
Je me sens beaucoup mieux. Bon, je ne suis quand même pas allée courir ce matin, mais quarante-huit heures après ma première hallu fébrile, je peux déjà affirmer que ça n’a rien à voir, en angoisse et en intensité, avec mon angine +++ de juin dernier (newsletter 84 # 11 juillet 2021) !
Je ne suis pas sûre que ce que j’ai écrit hier entre deux pics de haute température ait du sens… et pourtant je continue de m’interroger sur le titre de mon article qui m’est venu quand j’étais encore rouge cramoisie, avec une enclume plantée derrière le front et la tête encastrée entre deux parpaings.
Tomber.
Bizarre ce verbe le plus souvent intransitif mais qui peut parfois être transitif, et même d’état. Tomber malade, tomber enceinte, tomber amoureuse.
Tomber c’est l’idée d’une rupture, d’un changement d’état, comme une cassure dans un chemin de vie, comme si plus rien après ne sera plus jamais pareil.
De fait, quand tu tombes enceinte, quand tu tombes amoureuse, le monde est changé.
Quand tu tombes malade aussi, peut-être que c’est pour ça qu’on utilise le même verbe. Tout à coup tu changes de niveau. C’est fou même comme la maladie ou l’accident te montre, en une fraction de seconde mais avec une clarté éblouissante, ce qui est. À la fois ce que tu ne peux plus faire au moment où tu te retrouves physiquement diminué(e), et aussi ce que tu n’oses pas faire le reste du temps, quand tu ne t’autorises pas à vivre ce que tu as envie de vivre à cause du poids de ton histoire, ton éducation, des convenances, et que sais-je encore.
La maladie te montre la souffrance inutile que tu crées toi-même. Alors que tu vas mourir.
On va tous mourir.
« Son désir avait vidé le monde. Elle était amoureuse. Impossible d’en disconvenir. […] Elle n’en éprouvait aucun remords. Elle ne parvenait pas à se dire que l’on doit, ou que l’on peut, passer à côté d’une passion. Une passion était comme une vie : il fallait qu’elle fût vécue. Car ils mourraient tous. Ils allaient tous mourir et cela viendrait plus vite qu’ils ne le croyaient. Qui les remercierait de n’avoir pas nourri l’élan et l’ardeur, la douceur et la convoitise ? Ils mourraient. » (p.71)
Personne. Personne ne nous remercie pour nos sacrifices. Les secrets sont emportés dans les tombes, les tourments s’effacent, on meurt et c’est tout.
Ce n’est pas un extrait de La Princesse de Clèves – quoique finalement, c’est toujours le même tremblement qui se répète again and again, comme dans une chanson d’Archive. Tiens prends 16 minutes, monte le son, ferme les yeux, et écoute ça, t’auras peut-être idée de ce qu’est la fièvre de tomber malade ET de tomber amoureuse :
https://www.youtube.com/watch?v=jPWNcfrZzBE
C’est pas La Princesse de Clèves, c’est un passage que j’ai lu cette nuit, pile cette nuit dis-toi, dans le roman La conversation amoureuse, d’Alice Ferney, que j’ai commencé à lire avant de tomber malade – note bien que si je me relève à nouveau la nuit pour lire et manger des tartines, c’est le signe manifeste que je vais mieux ! 😝
Je n’en suis qu’au début du livre parce que quand je vous ai dit hier « salement malade », ça veut dire que je suis incapable de lire. Incapable de presque tout.
C’est ça que je trouve tellement pourri dans le fait d’être malade : t’as du temps, tu pourrais faire plein de trucs, mais guess what ? TU PEUX PAS !
Ces deux derniers jours, je n’étais même pas en état d’écouter un podcast alors qu’il y a eu plein de nouveaux épisodes de mes podcasts préférés.
Personnellement, c’est ça qui me rend encore plus malade quand je suis malade. Ce temps perdu où tout ce que tu arrives à faire au max de tes capacités pendant les dix minutes où tu te tiens débout, c’est vider le lave-vaisselle (clin d’œil à Momo : on l’a eu, on est ensemble, on se rencontre bientôt !).
Mercredi 10 novembre, matin.
Je suis plutôt en forme ce matin, étonnamment. Bon j’ai pas une pêche de ouf non plus, mais ça va, et j’aurais l’impression de n’être qu’une sale égoïste si je ne vous disais pas que Mickaël aussi est malade. Qu’il est même tombé le premier. Samedi matin. Mais lui c’est pas pareil. Quand c’est lui qui est malade, on dirait tout le temps que c’est moins grave. (Alors qu’en vrai, de vrai, de la réalité vraie, là, présentement, il est plusse malade que moi. Genre le mec a accepté un arrêt de travail quoi, le truc qui n’arrive jamais ! Plusse mal que moi, plusse longtemps, mais il est vacciné alors chuuuut…).
Lui de tomber malade, ça ne change pas son chemin de vie. Il ne crie pas à l’injustice, à la fin du monde. Au loup. D’ailleurs il ne crie pas du tout. Il ne dit rien. Il ne pense pas à novembre ou juin, est-ce que tu crois que, et pourquoi on dit tomber, tomber malade encore d’accord, mais pourquoi tomber amoureux comme on tombe dans les pommes, pourquoi les pommes ?
Non. Quand il est malade, Mickaël ne dit rien et il ne pense rien non plus, pas même aux rideaux de ta grand-mère. Il se cale sur le canap’ avec une couverture et il reste comme ça, les yeux clos, amorphe dans son vieux peignoir bleu tout râpé. Il attend que ça passe. Au ralenti. Résigné.
C’est pour ça, j’aime mieux quand c’est lui qui est malade. Je peux m’occuper de lui, le nourrir, le soigner, et surtout : JE NE SUIS PAS MALADE. C’est beaucoup mieux. Et non ce n’est pas égoïste, s’il pouvait vous faire signe sous son vieux peignoir, lui-même il vous dirait :
– Non franchement, s’il y en a un de nous deux qui doit être malade, je préfère que ce soit moi. Au moins je l’entends pas gémir comme elle est mal…
J’entends souvent des femmes dire que les hommes sont « des petites natures » parce que quand ils sont malades, ils sont insupportables, ils se plaignent tout le temps, etc. Alors de deux choses l’une : soit je suis un mec avec des seins et il me faut l’admettre, soit il ne s’agit là encore que de stéréotypes de genres totalement faux qu’on fait perdurer pour je ne sais quelle raison. Je penche clairement pour cette deuxième proposition.
D’abord j’ai accouché trois fois et cela ne m’aide pas du tout à mieux supporter d’être malade. Je fais ce lien étrange parce que c’est l’argument le plus souvent avancé en faveur de l’endurance supérieure des femmes, comme quoi quand t’as accouché tu peux tout supporter. Ben non. Ça n’a juste rien à voir en fait. Tu m’expliques le rapport entre donner la vie et combattre la maladie ??
Ensuite il se trouve que je vis avec un petit garçon (de chromosome sexuel XY donc) extrêmement résistant à la douleur : c’est lui.
J’ai donc développé une autre hypothèse – qui permettrait d’entendre aussi que si tant de femmes semblent mieux supporter le mal, c’est peut-être parce qu’elles ont appris à vivre avec à travers l’expérience de leurs règles douloureuses et à se taire pour ne pas ennuyer les autres avec leurs histoires de bonnes femmes. Cette hypothèse sans aucun fondement scientifique, qui ne s’appuie que sur mes observations personnelles, avance que les gens, hommes et femmes confondus, qui sont sujets au rhume, nez qui coule, nez bouché, yeux qui larmoient et à toutes formes d’allergies diverses et variées, ces gens-là se montreraient, de manière générale, plus patients, plus philosophes face à la maladie. Plus discrets. À la Mickaël style.
Bon bah évidemment, ce n’est pas mon cas.
* Note du dimanche 14 novembre : nouvelles du covid *
(Newsletter 89 # 14 novembre 2021)
Le covid a ceci de particulier que tu crois que tu vas mieux (à ce moment de grande félicité où la fièvre et les maux de tête cessent enfin de pilonner ton cerveau), alors qu’en fait non. Mickaël et moi n’avons pas plus d’énergie que le blob que Lulu a oublié pendant toutes les vacances sous le radiateur sans l’humidifier. On s’arrache l’un et l’autre du lit quand on réalise qu’il est plus de 10h30 et que les enfants ont vraiment besoin de parents. Mais le vertige nous prend. Descendre puis remonter les escaliers nous laisse chancelants en haut des marches comme si on venait de courir le marathon avec un buffle mort sur les épaules.
Nous avons perdu le goût et l’odorat – double peine quand tu cuisines et que tu aimes un peu manger. Ca m’a tellement déprimée que j’en ai aussi perdu l’appétit, avec des nausées, de la tristesse dans mon cœur qui font que je n’aime plus rien du tout. Mickaël a faim, lui, mais il souffre de troubles de l’attention et de la concentration. Genre tu dois lui expliquer la recette des coxinhas en plusieurs fois. Vitesse 0,5. Ou bien il parle cinq minutes au téléphone avec ton pote Arnaud pour lui dire mais ouais ça va, t’inquiète, et quand il raccroche il lui faut deux heures sans bouger sur le canap’ pour récupérer. C’est chaud quoi. Et le mec compte reprendre le boulot demain…
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Et vous, vous tombez malade ou amoureux(se) ? Ou les deux ?