Photo : Le chef d’œuvre au fusain du Marcass’ féru d’arts plastiques. Il est rentré de l’école avant-hier avec son dessin à la main et il a exigé qu’on l’accroche tout de suite dans le salon. « Maman, tu as vu la lune blanche en haut à droite ? »
Hier ça faisait trois semaines que je suis tombée dans l’escalier et que je me suis :
A- fêlé
B- cassé
C- subluxé
D- défoncé
… le coccyx.
Lis l’article La chute (ou relis-le et plains-moi une seconde fois, je vais aimer ça).
Choisis la réponse A, B, C ou D.
Tu as trop mal ? Tu te masses le coccyx quatre fois par jour avec des huiles essentielles de gaulthérie couchée et d’hélichryse italienne en alternance, et tu pensais que ça irait mieux de jour en jour ?
Mais c’est l’inverse qui se passe : une semaine après ta chute, tu as encore plus mal qu’avant. Tu griffes les mains de ta mère à chacun de tes mouvements, même allongée, même la nuit, la douleur te donne des hallucinations et te fait faire n’importe quoi à peine tu ouvres les yeux. Tout va de mal en pis, en plus c’est l’hiver et on ne t’aime pas assez (sûrement).
Tu sais quoi ? Arrête de couiner, coche toutes les réponses, et, au plus noir de ton désespoir, appelle ta sage-femme.
Les sages-femmes sont des fées
WTF ? Mais pourquoi ta sage-femme ?? me direz-vous.
Parce que. Je ne savais plus quoi faire. J’avais tellement mal, j’étais désespérée.
J’ai déjà écrit tout le bien que je pense de ma sage-femme ici, mais je voudrais la célébrer autant qu’elle le mérite, lui tresser des couronnes pour la remercier de tout ce qu’elle m’a apporté.
Je suis comme ça, quand j’aime, j’aime très fort. Je ne sais pas aimer un peu.
[Mais vous le savez déjà, que je suis comme ça, vous l’avez lu ici ou là. Ou là. Là, là et là. Enfin, you got it. Je SUIS comme ça.]
Ma sage-femme, maintenant je la tutoie mais j’ai eu du mal (et je ripe encore parfois). Elle a voulu me tutoyer bien avant moi et insisté pour le faire (c’est mon côté old fashioned 😉 ) devant l’évidence d’un lien entre nous qui dépasse la relation de patient à soignant. Plus serré, plus riche, plus complexe aussi.
Nicola (c’est son prénom) est un soleil sur mon chemin. Et de l’écrire, je pourrais pleurer tiens ! Elle m’a soutenue et redonné confiance tant de fois, pour les petites et les grandes choses, je lui suis tellement reconnaissante…
Quand je pense à elle, je me dis qu’elle est dans le TOP 5 des personnes pour qui j’ai éprouvé le plus de gratitude ces huit dernières années. Avec ma copine Adeline. Et trois autres à réfléchir encore.
Voilà pourquoi, du fond du fond de la douleur du coccyx de mon cul, j’ai appelé Nicola.
D’abord ma sage-femme m’a écoutée. Vraiment. Comme elle le fait toujours. Elle m’a dit :
– Oui Audrey, bien sûr que je peux te préparer une ordonnance pour une radio du bassin. Je te l’envoie par mail, tu l’auras dans l’heure.
Ensuite elle m’a conseillé :
– Mais tu sais, la radio ne va pas t’aider. Il faut que tu voies Carole en urgence !
– Ah ? C’est pas trop tôt tu crois ? Elle peut travailler même si j’ai hyper mal ?
– Mais oui, tout de suite ! C’est sa force d’être sage-femme ET ostéo, de pouvoir travailler en interne pour soulager la douleur immédiatement et remettre le coccyx à sa place.
Carole est une autre sage-femme. Ostéo. C’est elle que je voyais quand j’étais enceinte du Marcass’ et suivie à la Maison de naissance. En post-accouchement aussi. Elle travaille en externe comme tous les ostéos, mais aussi « en interne » donc.
Parenthèse interne
Quand ma sage-femme dit « en interne », quand je vous répète pudiquement après elle « en interne », il faut comprendre toucher rectal. Et quand je vous dis toucher rectal, il faut penser médical. On n’est pas en train d’explorer les mille et une merveilles de la sexualité, tu vois. Pas là. Là c’est autre chose. Tu y vas parce que tu as mal, pas parce que tu veux qu’on te fasse du bien. Enfin si, quelque part tu ne veux plus avoir mal, donc tu veux qu’on te fasse du bien, on pourrait penser indirectement que ça se rejoint, mais non en fait. ÇA N’A RIEN À VOIR !
Je suis sûre que si on demande aux sages-femmes et aux médecins qui pratiquent ce geste dans leur quotidien professionnel pour des raisons médicales ET dans leur vie privée à d’autres fins, ils diront qu’ils n’ont pas du tout l’impression de faire la même chose. Qu’ils n’y pensent même pas. Que c’est moi qui suis tordue d’avoir ce genre de pensée.
Bref.
Et donc, ma sage-femme m’a obtenu un rendez-vous en urgence le lendemain matin avec Carole Dubray que je n’avais pas vue depuis sept ans.
Carole m’a travaillée « en interne ». Doucement, respectueusement. Pendant une heure, elle a remis en place ce qui était choqué à l’intérieur et à l’extérieur.
Carole m’a réparée.
Ce qu’elle fait est prodigieux.
Carole est une fée.
Quand je me suis relevée de sa table d’ostéo, j’ai pu faire des mouvements que je ne faisais plus depuis trois semaines. J’ai pu éternuer, tousser, attacher mes lacets… tout ça grâce à un doigt (de fée ou de sorcière) ! C’est ouf.
J’ai confiance en mon ostéo (je vous en parlais ici), c’est pas la question. Mais il n’est pas sage-femme, il y a des gestes qu’il ne fait pas. Et d’ailleurs c’est bien comme ça hein, je sais pas pourquoi mais avec lui je préfère pas…
Parce que les sages-femmes c’est spécial.
Les sages-femmes sont extraordinaires – et certaines plus encore que d’autres.
Laurence, la première, a entendu mes angoisses et inlassablement m’a rassurée, sans jamais faillir, une grossesse après l’autre, cinq années durant. Je lui ai fait confiance, à elle et à personne d’autre, pour toutes mes échographies sans exception. Elle m’a réparée après qu’un connard de gynéco m’a dit, sans lever les yeux de son moniteur d’échographie, sans même prendre dix secondes pour me regarder en face :
– C’est normal que vous n’ayez plus de nausées, le fœtus est mort.
Juliette m’a accueillie pour mon premier accouchement. Elle m’a tenu la main, enveloppée, réconfortée. Puis Anne-Sophie m’a souri, comme si tout allait bien se passer, et elle a veillé toute la nuit jusqu’à la naissance de la Petite Souris.
Sara nous a guidés, Mickaël et moi, en haptonomie. Elle nous a appris à nous relier à notre bébé sans mots mais avec tant d’amour, par les gestes, le toucher, la force de la pensée.
Isabelle m’a montré, à chacun de mes pas à la Maison de naissance, qu’elle croyait en moi. Qu’elle n’avait absolument aucun doute sur le fait que j’étais capable, puissante, autonome. Suffisante. Elle a réparé l’estime de moi qui était blessée.
Carole est une fée, je vous l’ai dit, et Nicola aussi.
Nicola est MA sage-femme. Elle m’a enseigné les gestes simples de l’allaitement quand je débutais, quand j’avais peur, quand j’avais mal, et ensuite elle a été là pour moi tout le temps, depuis tout ce temps.
Pour un conseil, une crise, un bonheur, un chagrin.
Année après année, elle m’a fait prendre conscience que je pouvais me réparer moi-même.
Toutes sont des femmes incroyablement lumineuses, positives.
Toutes avec une joie de vivre et un humour en béton armé pour traverser les épreuves de la vie.
Toutes, elles m’ont aidée, soutenue. Chacune dans leur spécialité, à des moments différents de ma vie de femme, de mère, elles m’ont restaurée dans mes blessures. Inspirée.
Auprès de chacune d’elles, je me suis sentie comprise et acceptée dans mes choix, même quand ceux-ci n’étaient pas « dans la norme ».
(Quand tu arrives enceinte en maison de naissance super bab’, que tu portes encore ton bébé précédent de 18 mois en écharpe sur ton dos, mais tu balances direct que toi, tu veux pas allaiter… Un jour, si j’en ressens la nécessité, je vous raconterai mon cheminement vers l’allaitement. C’est un des grands travaux dont je suis le plus fière 🙂 ).
La chasse aux sorcières
Une info que j’ai découverte cette semaine et qui me révolte, c’est que les sages-femmes ne sont pas autorisées à pratiquer des dépassements d’honoraires. Les gynécos le peuvent (et, d’après ce qu’on me raconte, ils ne s’en privent pas), les ophtalmos, les dentistes, les kinés, tous, mais pas les sages-femmes ?
WTF ?! C’est quoi cette histoire ???
Ta sage-femme te garde une heure, elle t’écoute, te console, elle te prend dans ses bras quand tu pleures et te fournit les mouchoirs en papier, mais il n’est pas question qu’elle soit payée davantage. Elle le fait par bonté d’âme, c’est tout. (Ce qui est le cas évidemment, mais c’est pas une raison.)
Ta sage-femme, quels que soient les gestes qu’elle pratique sur toi, le temps qu’elle te consacre, c’est 25 € la consultation, point.
Pourquoi ? À quand remonte cette injustice ? Et pour quelle(s) raison(s) ?
Ça me rend d’autant plus dingue que justement cette semaine je suis revenue hystérique d’un rendez-vous chez un ophtalmo chez qui je n’irai plus jamais. Never ever.
Pour vous la faire courte – et moins hystérique, parce que c’est pas le propos ici – l’ophtalmo que je consultais auparavant pour les enfants a pris sa retraite. La semaine dernière j’ai donc emmené le Grand Lièvre chez un nouvel ophtalmo pour vérifier si sa vue s’était dégradée ou si au contraire elle s’était améliorée. Cet ophtalmo m’a facturée 80 € en me demandant de revenir avec l’enfant sept jours plus tard la pupille dilatée par un collyre à 10 € (non remboursé).
Je l’ai prévenu qu’alors je viendrais avec un autre de mes enfants qui n’a pas de problème de vue mais pour qui je souhaitais une visite de contrôle, fallait-il que je lui dilate la pupille au collyre à lui aussi ?
Non, m’a répondu l’ophtalmo.
Cette semaine j’y retourne donc avec mes deux garçons, dont l’un avait rendez-vous à 14h et l’autre à 14h05, avec le même homme.
Dix minutes, c’est effectivement le temps maximum que l’ophtalmo a passé avec les deux enfants, sans leur dire bonjour, en ne leur parlant que lorsque cela s’avérait impossible de faire autrement, avec un mépris qui m’a rendue folle de rage.
Il s’est adressé à moi avec la même supériorité arrogante. Je le lui ai fait remarquer devant les enfants parce que je ne veux pas qu’ils pensent que c’est normal qu’on leur parle de cette façon. Et puis c’était la deuxième visite sur ce ton, et après la première déjà j’étais chaude, je savais à ce moment-là que je ne passerais pas la troisième.
L’ophtalmo a bégayé, il a riposté en me soutenant que si, il avait dit bonjour aux enfants (mais non), et qu’en plus il avait beaucoup de patients donc pas de temps à perdre. Il m’a facturée 125 € les dix minutes et il a osé me demander de revenir dans sept jours avec mon autre enfant qui n’a pas de problème de vue en lui dilatant la pupille par le même collyre non remboursé à 10 €, « pour être sûr ». Mais sûr de quoi ? De me refacturer 80 € la semaine suivante ? Alors même que j’avais demandé si je devais dilater les pupilles des deux garçons pour la double consultation ?
Bon je m’arrête là, vous avez compris l’idée du dépassement d’honoraires sans limite et du mépris du patient que tu ne considères comme rien d’autre qu’un client avec une carte bleue, auquel tu n’es même pas obligé de dire bonjour (surtout s’il a moins de dix ans).
La question est : pourquoi les sages-femmes sont-elles si peu payées ?
Pourquoi n’ont-elles pas droit au dépassement d’honoraires ?
Pourquoi sont-elles si peu reconnues au niveau salarial mais également au niveau de leurs compétences ?
Pourquoi continue-t-on de dire aux femmes enceintes que seuls les gynécos sont en mesure de pratiquer l’échographie du second trimestre ?
Déjà l’année dernière, quand la direction du CHU de Pontoise a fermé la Maison de naissance, je n’ai pas compris. Pourquoi ? Alors que ça marche si bien, alors que les mères sont si heureuses d’être accompagnées par les deux sages-femmes qui s’y consacrent, pourquoi ?
Alors que la Maison de naissance reçoit le double de demandes que le nombre de femmes qu’elle peut accueillir, pourquoi au lieu d’agrandir, de donner plus de moyens, plus de personnel, pourquoi la décision est-elle prise de fermer ce lieu si nécessaire ?
Donc mon message pour vous aujourd’hui, ma pierre à moi, c’est de dire et redire, parce que visiblement ça ne se sait pas assez – à croire que cela doive rester caché – que :
Vous pouvez être suivie par une sage-femme libérale à chaque étape de votre vie.
Pas seulement pour la grossesse, l’accouchement, et après pfff terminé, la sage-femme retourne dans son antre. (À propos, saviez-vous que « antre » est masculin ? Qu’il me soit permis de remercier ici la prof de français de la Petite Souris, qui m’apprend, après tant d’années, la masculinité. UN antre.)
Non. Le savoir-faire de votre sage-femme est immense et déborde largement du cadre de la procréation. Son savoir-être idem – et il est manquant chez un grand nombre de gynécologues !
→ Le site professionnel de Nicola (dites que vous venez de ma part 😉 ) : http://sagefemme-95-nicoladesmonts.fr/
Je vous remets ici un dessin humoristique que j’avais déjà partagé avec vous il y a deux ans dans mon article sur La contraception & nous.
À partir de là, comment ne pas trouver révoltant que l’Ordre des sages-femmes ait été exclu des groupes de travail du Ségur de la Santé que le gouvernement avait annoncé avec tant d’orgueil l’été dernier ?
Pire qu’exclu peut-être, que l’Ordre des sages-femmes n’ait même pas été CONVIÉ aux tables de discussion, comme s’il ne représentait pas une profession digne d’être écoutée ?
Un tel mépris des pouvoirs publics, c’est comme celui de l’ophtalmo, ça me donne envie de mordre.
Et pourtant, si je devais recommencer ma vie professionnelle, je choisirais de devenir sage-femme.
Même si je ne suis pas sage, même si je n’ai jamais été sage, même si j’apprends seulement à devenir femme.
Je choisirais de devenir sage-femme pour rendre à celles qui n’en ont pas, ou pas assez, un peu de l’amour, de la confiance et de la bienveillance que ces femmes formidables m’ont donné.
Je voudrais moi aussi, avec douceur, leur montrer comme elles brillent quand elles ne sont plus capables de le voir.
Si j’avais eu à 20 ans la maturité que j’ai aujourd’hui, le recul, l’empathie, pouvoir tout entendre, vraiment TOUT sans jamais juger, les valeurs, la sensibilité qui sont miennes aujourd’hui, j’aurais choisi de devenir sage-femme.
(Bien sûr on peut me dire : il n’est pas trop tard, vas-y, forme-toi ! Mais quand même il est un peu tard…)
Parodie de Bref : je suis sage-femme.
(Oui il y a une faute à « Toilettes réservéEs au personnel ». Ok. Mais que ça ne vous empêche pas d’entendre la colère des sages-femmes et de partager cette vidéo !)
Merci à Nicola Desmonts-Kaliga, Carole Dubray, Isabelle Chevalier, Laurence Montanari, Sara Pailhès et Juliette Fleury.
Merci, merci.
Merci à toutes vos collègues sages-femmes (et tous aussi, mais y’en a pas beaucoup) de faire leur boulot avec autant de joie et d’amour en dépit du manque criant de reconnaissance.
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Et vous, êtes-vous suivie par une sage-femme ?
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