Photo : C’est arrivé près de chez moi (8 novembre 2025).
Dans ma newsletter de dimanche (La peau de rouget #148 – L’heure d’hiver (2 novembre 2025), je vous ai raconté ma difficulté à entrer en novembre. À partir du changement d’heure, quand j’entends qu’on « gagne » une heure parce qu’on va dormir une heure de plusse. Non mais quelle horreur, moi j’en veux pas de cette heure, enlevez-la-moi !!!
Ce passage à l’heure d’hiver quand s’éteint octobre, c’est la confirmation avant même le froid que l’automne est là et que, meuf, ça va être comme ça, que tu le veuilles ou pas. Et crois-moi que je mobilise toutes mes forces à NE PAS le vouloir, à détester l’automne pour le message triste et monotone qu’il trimballe, avec les feuilles qui glissent au sol, l’humidité dans l’air, la pluie contre le Velux, et mes enfants que j’entends depuis le fond de mon lit le matin tousser, renifler et grimacer dans l’escalier :
– J’ai mal à la gorge maman, qu’est-ce que je peux prendre ?

Rhâââ… mon cœur se serre et j’ai envie de me terrer sous la couette jusqu’à ce que réapparaissent les premiers bourgeons des toutes petites fleurs courageuses du printemps, force à elles.
Mon cœur se serre parce que je sais alors le tunnel qui s’en vient. Novembre, le ciel si lourd qu’il lui faut prendre appui sur les trottoirs gris, et puis trop vite les arbres nus, l’hiver la nuit comme en plein jour.
Je déteste novembre décembre janvier et le froid qui n’en finit pas en février.
On me dira : oui mais Noël, les illuminations et le chocolat chaud…
Hum.
Vous savez déjà ce que je pense de Noël.
Rien à foutre des illuminations, du chocolat chaud, des chaussettes en triple laine ou de la tartiflette. Et ne me parlez pas de douces veillées au coin du feu ! Moi J’AIME PAS les cheminées, tu comprends ?
Cheminées Philippe Cuisines en grandes lettres rouges.
Du douzième étage ouest de l’hôpital Bichat je les voyais bien, la nuit dans la vitre mouillée de pluie.
J’aime pas les cheminées, j’ai jamais aimé, et l’idée qu’un vieux barbu bedonnant pénètre chez moi par la cheminée la nuit pendant que je dors me glace les os. Déjà que j’aime pas dormir. Ouf que j’en ai pas, de cheminée. Peut-être le vieux pénètrera celle du voisin.

Cette année, au lieu de hurler à quel point je déteste novembre (même si, là, depuis que vous avez commencé à lire, j’ai un peu hurlé, pardon), cette année je m’exerce à desserrer mon cœur pour écouter ce qui s’y passe. Soulever les vieux pansements pour regarder en dessous c’est quoi mon problème – comme dirait mon mari qui n’a jamais de problème. Do you know le Blond ?
Au-delà du froid, de la pluie, et des jours qui raccourcissent dont je sais que certain·es d’entre vous se réjouissent parce qu’ils et elles vont enfin pouvoir « faire du cocooning », des biscuits de Noël à la cannelle et installer un petit coin « cosy » et décorations dans la maison, qu’est-ce qui ne va pas pour moi avec novembre et les mois tout claqués qui le suivent ?
→ Tu veux entendre les agents immobilier m’énerver quand ils parlent d’« espace coucouning » et de « petit coin cosy » ?
Relis Écoute-moi juillet 2025 !
C’est quoi mon problème avec l’heure trop tôt où tombe la nuit, les écharpes qui serrent trop fort dans la cave et les soirées trop longues comme si demain n’allait jamais revenir ?
Comment vous faites, vous, avec ça ?

En faisant ce travail de descendre en moi, je comprends des trucs intimes dont je n’ai pas envie de parler ici et d’autres trucs que je peux partager. Que j’ai même envie de partager ici, parce que ça m’aide et que vous me dites aussi que parfois, ça vous aide.
Je comprends que mon problème c’est la mort, et, avant la mort physiologique, l’absence de vie dans le corps en vie.
Autrement dit, l’ennui.
L’automne et l’hiver sont les saisons du ralentissement. Et moi j’aime pas ça – ralentir. J’aime pas les cheminées, j’aime pas ralentir. Ralentir c’est comme dormir et dormir c’est mourir.
Même si non, bien sûr que non, bien sûr qu’à l’instant où je vous écris ces mots me revient en boomerang cette affiche de santé publique de quand j’étais ado dont je vous ai déjà parlé dans un précédent article : Dormir, c’est vivre aussi.
→ Relire Le sommeil & moi : dormir c’est quoi ?
Et pourtant.
Pourtant il y a une part de moi qui, vraisemblablement, continue de croire que je vais mourir si elle me laisse dormir ou ralentir. Voilà pourquoi cette part hurle, s’agite et gesticule.
☠️ ALERTE ENNUI ☠️ ALERTE ENNUI ☠️ ALERTE ENNUI

Un vendredi soir ce mois-ci où la Petite Souris (16 ans) était sortie avec ses cops, le Grand Lièvre (14 ans) avec ses potes, et où j’ai refusé de jouer à un jeu avec lui, le Marcass’ (12 ans) m’a dit :
– Je suis qu’au début de ma vie et je m’ennuie tellement déjà ! Je m’ennuie, je m’ennuie, je m’ennuie maintenant et je m’ennuierai encore !
C’était dur. Des fois l’enfance c’est long.
Je ne me rappelle pas m’être ennuyée pendant mon enfance dans les moments où j’étais seule parce que, du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une vie intérieure peuplée. Mille pensées, milles idées, mille questions de pourquoi et comment, comment vous faites, vous, les autres ?
Et au pire du pire, j’avais toujours le secours d’un livre à lire parce que j’avais cette chance, dès que j’ai appris à lire, d’adorer lire. J’ai cette chance d’adorer lire. Donc je sais qu’il me restera toujours ça, les mots de Jules Renard dans la barre de droite de mon blog qui, lorsque vous cliquez dessus, vous ouvrent la page de mes lectures.
C’est rare que je m’ennuie dans ma vie d’adulte aussi – et tant mieux parce que l’ennui, c’est une des émotions les plus pénibles à traverser pour moi. Elle se hisse tranquille sur les marches de mon podium perso du pire avec Déception et Frustration. Hello, coucou, je vous ai vues, merci de ne pas vous éterniser ici.
En y réfléchissant, je me demande si ces trois émotions ne feraient pas partie du même spectre. Je ne suis pas spécialiste des émotions mais il me semble que ces trois-là ont quelques points communs. Peut-être ne sont-elles que des facettes de la même boule puante ?
→ Relire La déception & moi
Sachant cette histoire de podium, faire le choix de rester volontairement dans l’ennui n’est pas ce qui me vient en premier, voyez. D’autant plusse dans notre société où :
1/. Tout s’est tellement accéléré ces quinze dernières années qu’on ne considère plus comme normal d’avoir des temps « vides » ;
2/. S’ennuyer est très mal vu car c’est perçu comme le signe d’une vie inintéressante.
Je constate à l’inverse qu’il est très valorisé socialement de se montrer débordé·e et de n’avoir jamais le temps. Ce qui est débile parce qu’on peut être débordé·e ET s’ennuyer en même temps. On peut être débordé·e ET trouver que sa vie est inintéressante.

Personnellement, c’est souvent dans les moments de ralentissement que j’entends cette voix dans ma tête qui dit :
À quoi bon ? (ce que tu fais, tout ce que tu fais)
À quoi ça sert ?
T’as pas autre chose à faire ? (de plus important plus urgent plus productif)
Ou encore, plus précise :
Ton blog, là, pourquoi tu le fais ? Pourquoi ? Pour qui ? Qui le lit ?
T’as vraiment envie de continuer à écrire ici ?
À passer tout ce temps à écrire, et pour quoi au final ?
Cette voix qui critique sans cesse et qui remet tout en question. Monique. Sa mère.
Cette voix que tu n’entends jamais aussi fort que pendant ton SPM. (Et moi je suis en SPM full time maintenant, donc imagine.) L’angoisse.
Tu m’étonnes que t’as pas envie de ralentir si c’est pour entendre des trucs aussi flippants !
Pourtant, de manière totalement contre-intuitive, je remarque que la clé au débordement, à l’angoisse de ne pas réussir à en faire assez, ou pas assez bien, c’est souvent d’en faire moins. Ralentir, voire ne rien faire du tout. Laisser de la place au rien.
Retrouver le temps du corps humain, ce temps respectueux de nous qui n’est pas le temps lancé à toute vitesse de notre société – comme a dit Marc, un homme que j’ai rencontré début septembre dans le train à grande vitesse qui me ramenait de Perpignan à Paris.

J’apprends petit à petit à ralentir (de temps en temps).
J’apprends petit à petit (très petit à petit) à ne pas tirer de conclusions d’un moment d’ennui. Vivre l’ennui simplement pour ce qu’il est : un moment d’ennui, un moment normal de la vie, et ne pas en tirer de conclusions définitives atroces sur moi, ma valeur, et le sens de mon existence tout entière.
Ne pas tirer non plus de conclusions définitives sur les autres ou sur la nature de ma relation avec les autres, si je me suis ennuyée pendant le temps que j’ai passé en leur présence.
Ce n’est pas facile, je trouve.
Ce n’est pas facile de laisser l’ennui nous traverser sans sortir immédiatement son téléphone ou une cigarette, aller chercher une tablette de chocolat, un paquet de biscuits, un verre de rhum ou une série sur Netflix.
D’ailleurs je vous recommande vivement la série « Killing Eve », créée par Phoebe Waller-Bridge (« Fleabag »).
Les séries ou le chocolat ne sont pas un problème en soi ; le problème c’est la stratégie d’évitement. Pourquoi est-ce que ce moment d’ennui est si insupportable à vivre qu’on est prêt·e à absorber n’importe quelle distraction pour éviter de s’y confronter ?
Aujourd’hui j’ai envie d’apprendre à rester ancrée en moi quand je m’ennuie.
J’ai envie d’apprendre à me sentir en sécurité avec moi dans le repos et la déproductivité.
Dans le contexte de folle accélération du rythme de notre société, c’est presque un acte militant.



C’est ce que je me disais en lisant La pythie vous parle (éd. Rackam, 2024), l’essai sociologique sous forme de bande dessinée de Liv Strömquist, dont je vous ai parlé en juillet dernier.
→ Relire Lis-moi juillet 2025
« La peur d’être à la traîne dans divers contextes sociaux et d’être exclu des différents réseaux (à travers des compétences, des opinions, la mode, la langue) crée une pression énorme sur le rythme de vie individuel, pour se maintenir dans la course, pour éviter d’être mis sur la touche (et donc, de manquer des opportunités d’action). »
Ralentir est un acte militant de résistance à la violence du capitalisme.
Et puis, si vous ne le faites pas, vous allez vous faire mal à l’estomac. C’est mon ostéo acupuncteur qui me l’a dit.
– Le rapport au temps, c’est l’estomac.
Alors ralentissez. Faites doucement. Résistez.
*****
Et vous, l’ennui ça vous fait quoi ?







