Photo : Il manque des livres de janvier sur ma pile car je les ai rendus à la bibliothèque avant d’avoir l’idée de cette photo. Mais le mois prochain je serai au point !
Ce mois-ci, mon blog a eu 7 ans.
Quand je relis les textes que j’écrivais pendant notre grand voyage de 2018/2019 en Asie et Pacifique (voir aussi la rubrique DÉCOUVRIR dans le menu du blog), je suis sidérée par la longueur, le travail sur le contenu et la fréquence de publication de mes articles. Je me demande comment (mais comment ??) je faisais pour écrire autant, tout en vivant le voyage.
Au fond je sais, bien sûr, comment je faisais : j’écrivais une grande partie de la nuit et pendant les temps d’école des enfants avec Mickaël. N’empêche qu’il y a toujours une part de moi, appelons-la Monique, qui se sert du passé pour juger ma créativité et ma productivité au présent contre moi. D’après elle, je serais aujourd’hui plus lente, moins concentrée, moins inspirée, moins percutante… Ok Monique, excuse-moi je vais passer dans un tunnel là, on se rappelle.
Connasse. J’écris moins parce que je fais autre chose, voilà. La vie ici c’est le quotidien, la supra-organisation et la logistique qui le sous-tendent, ses lourdeurs, ses répétitions, sa fatigue… et un gros travail sur moi aussi. Tout ça prend du temps, Monique. C’est pas comme au cinéma.
Et justement, avec ce temps qui passe si vite que je ne me suis pas rendu compte que j’étais déjà vieille dans les yeux de mes enfants (à cause de toi ça, Monique), j’ai peur d’oublier ce que je lis, ce que j’écoute, ce qui rend ma vie chaque jour si riche. Et donc, puisque de votre côté vous m’avez réclamé plusse de partages de livres, j’ai décidé de ne pas attendre la fin de l’année pour faire la liste de ce qui m’a enthousiasmée.
Au début j’ai pensé que je publierais un billet par mois sur un livre que j’ai aimé. Mais il y a des mois où ce qu’on lit ne nous transporte pas… ça arrive. Des mois de merde. Novembre par exemple. Mais qu’on l’enlève, ce mois de merde !
→ Aymeric Lompret, « Fuck November », chronique du jeudi 24 novembre 2022 sur France Inter.
https://www.dailymotion.com/video/x8fsu8m
Alors j’ai élargi le champ ; je me suis dit qu’un mois sans aucun enthousiasme pour rien, pas un livre, pas une bédé, pas un ciné, pas même un poème ou une chanson, ça n’existe pas. (Ou si, et ça s’appelle novembre la dépression.)
C’est pourquoi ce Lis-moi janvier 2025 sera suivi de près par un Écoute-moi janvier 2025, dans lequel je partagerai avec vous les meilleurs films, séries et podcasts que j’aurais écoutés ce mois-ci. Peut-être aussi une chanson ou une sortie : une pièce de théâtre, un spectacle, une conférence, un concert, une soirée poésie…
C’est le moment de me recommander tout ce qui fait briller vos yeux et enchante vos oreilles, tout ce qui élève votre quotidien de sa condition de quotidien.
Je me réjouis de ce que je vais découvrir grâce à vous en 2025 ! 🤩
Le livre
→ Fereydoun & Rochane Garajedagui, Cuisine familiale d’Iran : les carnets de recettes d’une famille perse, éd. Solar, 2024.
Ça fait bien depuis Ottolenghi part-time lover que je ne vous ai pas recommandé un livre de cuisine, non ?
(Ah non pardon, entre-temps il y a eu BMK. Ici.)
Le livre de cuisine dont je vous parle aujourd’hui est celui avec lequel j’ai passé le plus de temps ce mois-ci. Un très beau livre, paru à la fin de l’année dernière, que mon mari s’est empressé d’acheter en double exemplaire pour nous en offrir un à nous et un à sa sœur à Noël.
Un carnet de recettes iraniennes authentiques que son fort sympathique collègue Rochane Garajedagui a co-écrit avec son père sur la cuisine de sa mère. Sa mère à lui, Rochane. Rochane, le fort sympathique collègue de mon mari, à moi. Mais son père, à Rochane, dit que ce sont SES recettes, à lui, pas à sa femme (de lui). Cependant, bien sûr, tous les jours c’est sa femme qui cuisinait. Sa femme, la mère de Rochane – Rochane, le fort sympathique collègue de mon mari, à moi. J’espère que vous suivez.
Ce livre est donc un ouvrage familial, co-écrit, co-cuisiné, avec de vraies recettes éprouvées dedans. Je vous le dis parce que si vous le feuilletez, vous allez crier : whaaat ? 750 g d’herbes fraîches dans un plat ? mais ça s’peut pas !
Je le sais parce que la sœur de mon mari (à moi) et moi, nous aussi on a crié whaaat ?? Chacune depuis sa cuisine, le livre ouvert devant nous. Et pourtant si. Il n’y a pas d’erreur. There is no mistake.
Les herbes fraîches, c’est sans doute ce qui rend les cuisines d’ailleurs si parfumées.
Même si j’avoue que j’ai repoussé à plus tard ces recettes parce que je crains le jour (qui pourtant viendra, je me connais) où je vais débarquer coffre ouvert à la ferme et dire à la dame : je prends TOUTES vos bottes de persil, coriandre, ciboulette et menthe !
Déjà qu’ils et elles me prennent pour une dingue là-bas… 🙈
Le livre est construit en six parties, ET IL Y A UN INDEX DES PRODUITS !
Je vais pas vous mentir, moi s’il y a pas un index des produits, carrément j’achète pas le livre. Bon là c’est pas moi qui l’ai acheté, mais quand même. Mon mari me connaît bien bien bien. Imagine t’as du sirop de grenade au fond d’un placard chez toi que t’as acheté il y a deux ans pour une recette et que tu n’as plus jamais touché depuis parce que t’as oublié c’était quoi la recette. D’ailleurs t’as même oublié que t’avais un jour acheté du sirop de grenade. Bon bah là t’es content·e d’avoir un index des produits qui va te permettre de trouver direct quoi faire avec ton sirop périmé au lieu de le jeter. Non ?
Si, à l’inverse, t’as pas de sirop de grenade pour préparer le khoreche fessendjan et que tu sais pas où en acheter, t’as aussi un carnet d’adresses iraniennes à la fin du livre. Sinon moi j’ai demandé à mon mari qu’il demande à Rochane.
« La grenade, c’est ce qu’il y a de plus photogénique en cuisine ! »
Moi en café clandé mercredi dernier (22 janvier 2025).
Non parce que ce khoreche fessendjan, il FAUT le faire. Ah là là, ce ragoût de viande au jus de grenade et aux noix, c’était bon de ouf les ami·es ! D’autant plusse que ce n’est pas moi qui l’ai préparé, et, comme tout ce que l’on cuisine pour moi sans que j’aie à nettoyer, découper, mijoter, surveiller, stresser, c’est monté direct de dix points sur l’échelle du meilleur goût. À ce niveau-là, c’était presque un changement d’échelle dis-toi. La qualité du poulet fermier que j’avais acheté à la boucherie près de chez moi – alors que je supporte pas que le boucher m’appelle ma p’tite dame – l’onctuosité des noix mixées dans le sirop avec l’acidulé des graines de grenade, une merveille. J’ai adoré.
Souvent on ne connaît de la cuisine iranienne que le tahdig. Enfin moi c’est ce qui me venait à l’esprit en premier, avant ce mois de janvier. Ça, et le poulet aux prunes de l’arrière-grand-mère de Marjane Satrapi. Suivi peut-être de l’halva et autres petits gâteaux à l’eau de rose ou au safran fourrés à la pistache.
Alors c’est vrai que le riz occupe une place centrale dans la cuisine iranienne, mais justement, on le fait pas n’importe comment. Il y a des règles. There are rules.
Tahdig, littéralement, ça veut dire « le fond de la casserole ». Moi qui vous écris, j’ai fait pas mal d’essais de tahdig ces dernières années, la plupart avec jaune d’œuf, avec ou sans yaourt et une quantité variable de safran, mais à chaque fois, j’ai grave la pression. Faut pas qu’un de mes enfants me parle en même temps.
Attends attends attends, tu vois le linge enroulé bien serré autour du couvercle de la casserole de riz ? Tant qu’il a pas bougé, je veux pas entendre un « hey maman ». Même pas un « hey ». Si tu veux manger du riz ce soir, tu remballes ta langue, tu révises ta poésie tout·e seul·e dans ta tête, tu me parles surtout pas !
Car la préparation du riz à l’iranienne demande du temps, de la concentration et de l’an-ti-ci-pa-tion. Ça veut dire que tu commences à préparer le dîner pour le soir quand tes enfants sont en train de prendre leur goûter après l’école. Si tu prévois du chou pommé émincé poêlé et un tahdig à base de tah-tchin pour le déjeuner comme moi samedi dernier, là t’as intérêt à t’y mettre dès le matin. Et le matin-MATIN, pas tu te lèves à 11h parce que la veille t’as passé une super soirée à Paris et que tu t’es couchée tard dans la nuit et tu restes deux heures le matin dans le lit à raconter à ton mari.
Parce que sinon, ce qui se passe, eh ben c’est que le riz ne tahdig pas. Le riz ne tahdig pas parce qu’il n’a pas eu assez de temps au four ou à la casserole pour tahdiguer comme il se doit parce que tu le sors de sa cuisson à 13h30 MAX pour manger vite et partir à l’heure pour la compèt’ de ping-pong de l’ado. Voilà pourquoi sur ma photo qui suit, le riz ne présente pas du tout la jolie croûte dorée qui fait la renommée de la cuisine iranienne 😬
Dans ce livre, qui est construit en six parties comme j’ai dit, on trouve :
- Les entrées à partager : c’est tout ce qui est caviars d’aubergines and co.
- Les âches : soupes complètes, épaisses, non mixées.
- Les polos : plats à base de riz.
Avec la technique pour réussir un parfait tahdig 🤗
- Les khoreches : ragoûts de viande et de légumes, toujours servis avec du riz tchelo ou kateh
- Les autres plats traditionnels (sans riz !)
- Les pâtisseries et les desserts
J’ai mis des marque-pages dans chaque partie.
À chaque fois que je teste une recette, je me sens projetée dans Le goût de la cerise, le film de Kiarostami qui m’a bouleversée en 1997, ou dans Les graines du figuier sauvage, mon film du mois dont je vous parlerai dans quelques jours ( → c’est par ici).
Je me sens voyager sur les routes de montagne, entre la mer Caspienne et le Golfe Persique, et c’est comme relier mon assiette à là où je suis dans ma tête ce mois-ci.
Merci à Rochane pour le sirop de grenade, donc, et les baies d’épine-vinette. (Ce nom aussi ! Baies d’épine-vinette… fais-moi rêver 🤩)
Merci à Pierre-Marie pour le cadeau de l’infusion de graines de sarrasin (soba-cha) que vous apercevez près de la pile de livres sur la photo d’en-tête de cet article. Celles et ceux qui m’aiment savent comme j’aime le sarrasin… (et comme je déteste le thé 😝)
Merci à Srini pour le curcuma direct from Delhi (cf. première photo de plat, eche keneh) qui imprègne toute ma cuisine, et, aussi, pour la sauce magique du paneer makhani que j’ai préparé la semaine dernière avec du riz (du riz à l’indienne bien sûr, sans tahdig 😌).
Les collègues de mon mari sont formidables.
Merci à Monique.
Merci à Andrei pour le don des œufs de ses petites poules courageuses de l’hiver.
Où il apparaît que nous sommes nourri·es par la générosité de nos ami·es.
La bulle d’évasion
→ Isabel Del Real, Plouhéran, À vélo de la Bretagne à l’Iran, éd. Delcourt, 2024
Voilà pourquoi aussi, ce mois-ci, l’Iran : j’ai aimé ce road-movie graphique en noir et blanc.
Le récit illustré de cette jeune femme, seule, à vélo de la Bretagne à l’Iran, m’a rappelé la bande dessinée d’une autre femme, partie seule aussi mais en moto jusqu’au Japon, que j’ai lue en 2023. C’était Back to Japan, de Clémentine Fourcade. (Heureusement que je consigne toutes les couvertures des livres que je lis dans la barre de droite de mon blog « Ce que je lis », car je ne me souvenais plus du nom ! 😬)
Partie en plein confinement de Plouër-sur-Rance, en Bretagne, Isabel Del Real traverse les mêmes zones géographiques que Clémentine Fourcade en Europe de l’Est : les Balkans, la Slovénie, les pays de l’ex-Yougoslavie, la Turquie… Et son expérience de l’hospitalité et de la grande générosité des habitant·es est similaire.
Pendant que je lisais ce récit de voyage à vélo, plein de choses me sont venues.
L’une de ces choses est de prendre la mesure de comment la bande dessinée fait partie de ma vie aujourd’hui, ce que j’y trouve d’enseignements, de récits féministes, de luttes, de chemins vers l’autre autant que de quête de soi, alors que j’ai passé les vingt premières années de ma vie à clamer que je n’aimais pas la bédé. Comme s’il n’y avait qu’UNE bédé… putain j’ai envie de me taper.
En lisant Plouhéran j’ai pris conscience que, même si aujourd’hui j’ai toujours une bédé en cours de lecture en plusse de mon livre du moment, ça n’a pas toujours été comme ça justement. Non, non, non. Et Plouhéran, par l’Iran, par son noir et blanc, m’a ramenée à Persepolis car Persepolis, de Marjane Satrapi, c’est la première bédé que j’ai aimée de toute ma vie.
À l’âge de 23 ans.
La toute première bédé qui m’a happée, que j’ai eu du plaisir à lire. Parce que le dessin ne prend pas toute la place (noir et blanc, lignes simples, pas de détails) et que, probablement, cela m’a permis de lire la bédé comme un récit autobiographique en donnant la primauté au texte, sans trop regarder les images. Pardon, c’était mes débuts.
C’était les premiers pas en bédé de l’intello que j’étais à l’époque, qui a découvert Marjane Satrapi par quelques planches de Persepolis reproduites à la fin d’un Télérama pendant l’été 2001. Sinon je n’y serais peut-être jamais venue ; j’aurais raté Joann Sfar, Guy Delisle, Catel & Bocquet, Pénélope Bagieu, Lou Lubie, Karim Friha et Zerocalcare, je serais passée à côté d’Aya, de Corto Maltese, Blankets, les Pilules bleues, Coming in, et tant et tant de mes plus grandes émotions littéraires de ces dernières années.
Rien que pour ça, merci Télérama.
J’ai découvert la bédé comme une intello, soit. C’est mieux que de ne pas découvrir du tout.
Après j’ai lu tout Marjane Satrapi. Elle a été ma porte d’entrée au monde merveilleux de la bédé indé. Celle qui fait que je peux découvrir Plouhéran aujourd’hui, et rererere-relire Persepolis et Poulet aux prunes dans la foulée.
Je suis impressionnée par les gens qui partent seul·es, loin, longtemps. Ce qu’ils et elles se disent, comment ils et elles vivent, à quoi ils et elles pensent dans leurs jours de solitude.
Isabel Del Real ne raconte pas beaucoup ses émotions mais on sait bien, on sent, que le voyage intérieur est profond. En même temps, partir seule, dans ces conditions extrêmes de cols de montagne à gravir sous la neige, forcément qu’il est profond. À vélo s’te plaît, jusqu’à Téhéran. Quand tu es une femme, de surcroît. Nan mais QUI fait ça ?
Je suis impressionnée et j’ai envie de crier Femme, Vie, Liberté ! en résistance à l’obscurantisme. Pour le grand pays qu’était la Perse avant la dictature religieuse des ayatollahs (Khomeini de 1979 à 1989, puis Khamenei depuis 1989). Avant le Chah, avant tout ça.
J’ai envie de cuisiner des polos et des khoreches qui célèbrent la joie au lieu de l’anéantir.
Et puis, même si bien sûr, « Rome c’est le meilleur endroit du monde » (p.40) et que « on ne devrait jamais partir d’Italie » (p.52), quand même, célébrer les voyages dans toutes les parties du monde. Pour la curiosité qui devient humilité, pour apprendre.
Célébrer les choses familières qui me sont revenues de mon voyage à moi, un an sur la route, en famille, dans des pays lointains et inconnus.
Regarder les étoiles la nuit.
Fumer seule dehors la nuit en regardant les étoiles.
Écouter les bruits de la nuit, après que j’ai terminé d’écrire un article pour le blog, et m’étonner qu’il y ait tant d’étoiles dans les ciels d’ailleurs, tant d’étoiles qui brillent.
Lire Plouhéran a fait resurgir pour moi comme je me sentais bien en voyage dans ces moments-là, et comme j’aimais entendre, à 4h30 du matin, à Gili Air, à Yogyakarta, l’appel du muezzin à la prière. Au début ça me réveillait en sursaut, après ça me rassurait que j’étais bien là où j’étais. Allahu Akbar.
Enfin ce qui m’a tellement parlé, c’est la peur de rentrer.
La peur de se perdre en rentrant et d’avoir fait tout ça « pour rien ».
La peur de rentrer et que la vie reprenne comme avant. La vie d’avant qu’on se sente vivant·e, la vie d’avant alors qu’on n’est plus avant parce que maintenant on veut être toujours vivant·e.
La peur de ne pas réussir à raconter malgré les centaines d’articles de voyage.
Ça va Monique ? On t’entend plus !
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Et vous, qu’avez-vous lu en janvier ?