Mon père, ce héros

Photo : Des fois la paternité c’est dur. Tu kiffes pas. Tu dis rien mais tu kiffes pas (décembre 2011).

 

La semaine dernière, la Petite Souris (13 ans) a traversé une zone de turbulences liées à tout un tas de trucs compliqués qui ont à voir avec grandir, le collège, qui suis-je, qui veux-je être et que fais-je de l’opinion des autres sur moi. Alors que j’essayais de l’aider à sortir de la zone sans trop me turbuler moi-même dans mon propre passé, elle m’a dit :

– J’ai trop peur que papa s’énerve et se mette en colère contre moi, franchement y’a rien de pire ! Quand il est pas content et qu’il crie, pour moi y’a rien de pire que ça. À part si y’avait plusieurs pap’ en colère, par exemple trente pap’ en colère, sinon y’a rien de pire !

 

Le mois dernier, la Petite Souris (13 ans) prenait gentiment son goûter sain et équilibré dans la cuisine et elle m’a dit :

– T’as trop de chance maman ! Moi je sais pas comment je vais faire pour trouver quelqu’un d’aussi bien que papa… Est-ce que tu savais, quand tu l’as rencontré, qu’il allait être aussi bien ?

Bien sûr je le savais ! Je l’ai choisi exprès, parce que je voulais que tu aies le meilleur papa !
Nan j’déconne. J’ai PAS DU TOUT répondu ça. Ah si en fait… Parce que j’étais d’humeur moqueuse… Sauf que la Petite Souris était très sérieuse et elle m’a demandé :

– Mais comment t’as su ?

J’ai dit que c’était là mon plus grand talent de maman. Évidemment.
Et puis comme elle insistait pour avoir des détails, je lui ai rappelé qu’il y avait des règles simples, basiques, auxquelles on pouvait se fier, et que ces règles avaient été édictées par son plus jeune frère le mois d’avant, au moment de l’anniversaire du Pap’ en question.

En effet, le Marcass’ (9 ans), qui, comme vous l’avez appris dans Le tyran du câlin, aime poser des critères concrets pour définir les choses, a évalué la paternité en trois étapes.

1/. L’exercice de base pour devenir un pap’ : brûler les extrémités de la ceinture de judo pour empêcher les fils de sortir et d’aller faire leur laÿfe.

2/. L’exercice indispensable pour devenir un meilleur pap’ : recoudre un bouton (très utile sur les chemises pour aller travailler et sur les vieux pantalons de maman).

3/. L’exercice périlleux pour devenir un méga pap’ : découper l’ananas en spirale.

 

Ananas découpé en spirale par un méga pap’ pour ôter tous les « yeux ».

 

Mais attention. Y’a des pap’ qui passent pas l’examen ; donc ils peuvent être pap’ de nature, mais s’ils font pas les exercices, ils sont pas des vrais pap’. Ils restent en catégorie D, a déclaré le Grand Lièvre (11 ans) sous 39.6 de fièvre le soir même de l’anniversaire de son Pap’.

Le lendemain matin, je l’ai gardé à la maison. Lulu, pas son Pap’. C’était le vendredi 22 avril, et d’habitude le vendredi, je suis libre comme un petit oiseau. Je volète à droite à gauche, je vais boire un café là où mes ailes me mènent, je vis ma meilleure vie. Alors le vendredi 22 avril de cette année 2022, crois-moi que j’avais prévu d’autres plans GRAVE MIEUX pour la journée avec mon amie Marie !
Mais. L’enfant a 38.6 le matin au réveil.
La veille déjà, quand il est rentré de l’école, tu sentais à ses yeux brillants qu’il avait quelque chose, quelque chose qui n’allait pas (pas qu’il avait été ébloui par sa maîtresse). Mais l’enfant ne veut pas que tu prennes sa température parce qu’il veut aller à son entraînement de ping-pong. Toi, confiante, tu te dis : bon bah s’il est capable d’aller au ping-pong, c’est que ça va.
Ha ! La gueubla ! À quoi tu penses ? T’as la tête dans les arbres ou quoi ?
Tu sais plus qui est ton enfant ?

 

Après sa douche post-ping-pong ce jeudi 21 avril, l’enfant a 39.6. Ses yeux brillent toujours, on pourrait même dire qu’ils scintillent à la nuit tombée. C’est à ce moment-là qu’il classe son papa en catégorie A. Catégorie A, je réalise alors que je vis avec le mâle alpha. Les autres peuvent aller se rhabiller dans les vestiaires de la catégorie D, ces gros noobs.

– Bon anniversaire papa ! Les autres pap’, ils vont devoir bien réviser maintenant s’ils veulent passer le rattrapage…

Tu glisses à l’enfant que hey ! il sait quoi ? Demain, lui aussi il aura le temps de passer son rattrapage des fiches qu’il n’a toujours pas faites pour le rallye lecture parce que c’est clair qu’il ne va pas aller à l’école. Tu penses qu’il va sauter de joie à l’idée de passer la journée en pyjama à lire ses BD sur le canapé mais, contre toute attente, l’enfant te supplie :

– Mais mamaaan ! Demain c’est le dernier jour avant les vacances, le matin on va au cinéma et l’après-midi y’a le tournoi d’échecs ! Je veux aller à l’école !

 

Ce jour-là, il y a deux mois, la Petite Souris m’a appris comment faire une capture d’écran sur mon téléphone. Maintenant je sais !  🙂

 

Oui mais non. 39.6, mon gars. 39.6, tu vas PAS à l’école.
Pourtant je suis la mère qui, à moins d’un effondrement de terrain entre l’école et chez moi avec des failles d’une profondeur de 7 000 mètres à descendre en rappel puis remonter de l’autre côté, envoie ses enfants à l’école. Fatigués, enrhumés, couchés à 2 du mat’ : tu prends ton cartable et salut !
Mais 39.6, non. Personnellement, à 39.6, je suis au fond des failles de ma vie à 7 000 mètres de profondeur sans baudrier, j’ai une angine je crois que je vais crever, je délire, je pleure et je crie comme dans la salle de réveil après une coloscopie. Et là, tel que je le vois pendant que j’écris ces mots, l’enfant est tranquillement accroupi à la sri lankaise à jouer avec ses Lego et ses petites autos. Il est seul et parle néanmoins à haute voix, il n’arrête pas de parler même, il parle haut, il parle vite, il parle fort.

Et là il part en mode catapulte… puis en mode roucoulant… hé ! je vous lance la corde… ok j’y vais en triple conduite… cachez-vous en embuscade, envoyez les renforts… atteeeentiooon ! Rends-toi mec, tu es cerné… on est en position étoile…

(Monologue entendu et copié du direct sans décodeur ni filtre de transcription. Je rappelle que je n’ai pas de bureau-pièce. Que mon bureau-meuble se trouve à l’entrée du salon, là où l’enfant joue / lit / rêve / dit des phrases chelou que personne ne comprend.)

 

Le chat dans « Alice au pays des merveilles », de Lewis Carroll : « Je ne suis pas fou, ma réalité est juste différente de la vôtre. ».

 

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Et chez vous, est-ce que c’est la même personne qui brûle les extrémités de la ceinture de judo, recoud les boutons, découpe l’ananas en spirale, lit Gaston Lagaffe ?