Les toilettes de l’AS 24

Photo : Voilà. C’est un nouveau keep calm pour vous pour moi.

 

Il y en a qui font de grands projets, d’autres qui rêvent les yeux ouverts, d’amour et de poésie ; moi je suis revenue de Paris hier avec une idée fixe : nettoyer le lavabo de ma salle de bain. Oui parce que les enfants sont partis en vacances pour une semaine chez ma mère avec leurs cousins. (Si tu ne vois pas le rapport entre les deux événements, laisse-moi deviner que tu n’es pas un parent. Ou bien que tes enfants ne vivent plus chez toi depuis si longtemps que tu as fini par oublier. Le dôsse de la salle de bain.)
J’ai donc déposé hier midi trois enfants de 8, 10 et 12 ans qui ont séché le dernier jour d’école sur un quai de la Gare-de-Lyon, après qu’on a échappé à une grève de la RATP et qu’on s’est fait contrôler (les billets, pour le masque on ne nous a rien dit) dans notre train de banlieue – heureusement que j’avais acheté des tickets et qu’on était en règle, ce ne sont pas des enfants qui aiment le risque. Déjà qu’ils étaient en stress de poursuivre le trajet seuls ou presque…
Puis je suis rentrée chez moi dans ma maison vide, j’ai défait les draps de tous les lits, je les ai rassemblés en un immense tas par terre ET : j’ai entrepris de nettoyer le lavabo de ma salle de bain.

Évidemment y’a mieux, comme retour à ma vie de femme sans enfants, et je m’empresse de préciser que 1/. ce n’est pas mon kink de nettoyer le lavabo ; et 2/. je sais que vous pensez : ben dis donc c’est pas glamour et paillettes ! Mais c’est justement ce que je fais ici. Moi, sur ce blog. On me l’a dit il y a longtemps quand nous étions en voyage à côtoyer mille et une araignées : je ne fais pas rêver.

Je vous parle réalité. Et la réalité de ma vie aujourd’hui, chaque soir, chaque matin quand je me brosse les dents, c’est d’être téléportée dans les toilettes de l’AS 24. Bien sûr il manque l’odeur âcre, si caractéristique, d’urine et de sueur virile mêlée au gasoil des camions mais sinon, des traces blanches fossilisées dans le lavabo aux traces noires juste au-dessus dont tu préfères ne pas connaître l’origine, tout y est.

Sauf depuis hier 16h et pour au moins une semaine, je te jure, mon lavabo est tellement propre que si tu lui souris, tu peux compter tes caries. Le miroir moucheté au-dessus du lavabo aussi, je l’ai nettoyé. J’ai pu enfin revoir mon visage en entier, réaliser que le temps a passé depuis les dernières vacances et que j’ai vieilli.

 

Mon lavabo hier à 15h45.

 

Après j’entends bien que tout le monde n’est pas familier des toilettes de l’AS 24 (good for you). Tout le monde n’a pas d’enfants et tout le monde n’a pas PAS de femme de ménage (tu l’as, toi aussi, le doute permanent avec la double négation ?).
C’est là que vous, lucky guys, vous vous dites : mais on s’en fout de son lavabo, c’est quoi son délire avec l’AS 24 ?! Elle va pas nous pondre dix lignes sur son lavabo ! Ben si, pardon. Parce que c’est peut-être l’histoire de mon lavabo AS 24-style qui rend tellement glamour et paillettes de partir quatre jours dès demain loin dudit lavabo et SANS ENFANTS ! Pas plus tard que après le concert des Cowboys Fringants de ce soir, voyez…

Ça m’arrache les tripes de devoir présenter mon pass à l’entrée du concert mais, puisque j’ai eu le covid et que je suis donc en possession du Graal qui m’autorise quelques libertés de base pour encore quoi, deux semaines, je ne vais pas laisser un homme fût-il Président m’emmerder me voler mes cowboys. Déjà que. Je vous parle d’un concert qui a été reporté puis annulé quatre fois depuis qu’on nous a offert les places à Noël 2019. Paye ton Noël.

Je vous souhaite de bonnes vacances. Je ne sais pas comment ça se passe si vous partez au ski. Si vous devez porter un masque sur le nez et la bouche sous votre masque de ski sur les yeux (enjoy) ou si vous devez présenter un QR-code à chaque remontée mécanique. J’imagine que ça dépend des stations. De l’équipement 105 tp et de la couverture réseau. Du vent au sommet. Des étoiles qui brillent dans la neige et de la taille des flocons en suspension.

Sinon bah vous pouvez aussi rester chez vous. Je vous propose un petit concours de propreté de lavabo, sans enfants, café offert. Marie, Fred, Milie, si ça vous dit…

 

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* Édit du 20 février, 13h35 *

Oublie glamour et paillettes. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Ou, comme on dit au Niger : celui qui n’est pas encore descendu du sommet de la montagne ne doit pas rire d’un édenté. Ça n’a pas tout à fait le même sens mais bon, tu vois l’idée. Ne viens pas crâner glamour et paillettes avec tes quatre jours dès demain loin dudit lavabo, etc. Parce que tu vas te péter les dents.
Nous ne sommes pas partis. Je vous griffonne tout ça au crayon sur un bout de papier, courbée sur une chaise en métal de la salle d’attente des urgences.

– Ça pourrait être pire. Tu pourrais ne plus pouvoir écrire, dit Mickaël à côté de moi.

Il est cool. Je veux dire, nos quatre jours en amoureux tombés du sommet de la montagne, il pourrait être vénère. À la mer on devait aller. À l’amer le médicament que l’infirmière m’a donné.

J’ai la nuque complètement bloquée. Ça a commencé quand je me suis réveillée hier matin et ça n’a fait qu’empirer jusqu’à ce que je ne puisse plus du tout bouger la tête, là, maintenant. Je ne sais pas ce que ça dit sinon que mon corps n’est pas content. Il regarde droit devant et il veut pas faire un pas de côté. J’ai trop mal. J’attends qu’on me file un Lexodixmil. Un Lexovingtmil même, Lexoquarantemil je prends, n’importe quoi pour que ça s’arrête. La dernière fois que j’ai eu aussi mal, c’était au début que j’étais avec Mickaël, j’avais même pas d’enfants. Ça s’est terminé sous morphine.

 

 

 

* Édit du 20 février, 23h40 *

Eh bien ça se termine sous morphine aujourd’hui aussi… Quand ni le paracétamol, ni la codéine, ni les décontractants, ni même les anti-inflammatoires ne te soulagent, il reste la morphine. Et merci, merci qu’elle existe, grâce à elle je vais pouvoir reprendre ma tête et vous parler du concert des Cowboys Fringants ! Car dans l’état de pré-urgences dans lequel je me trouvais hier soir, j’y suis allée quand même. Et à entendre comme j’ai crié de douleur quand je me suis couchée en rentrant, ce n’était pas raisonnable mais je vous l’avais dit : personne ne va me voler mes cowboys, fût-il Président, fût-il mon cou. Qui s’en fout, qui nique tout.

Bien sûr je n’ai pas pu chanter à tue-tête, sauter, taper des mains et des pieds comme je l’aurais voulu, mais j’y étais. J’y étais pour entendre Karl Tremblay, le chanteur des Cowboys, reprendre Smells like teen spirit. C’était tellement inattendu ! Ça m’a fait du chaud à l’intérieur, vous pouvez pas savoir. L’espace de quelques minutes secondes, ça m’a portée et j’ai oublié mon cou (qui s’en fout, qui nique tout). J’ai serré la main de Mickaël à côté de moi et j’ai vu que lui aussi, ça lui faisait.
Écouter cette reprise de Nirvana par les Cowboys Fringants en début de concert hier soir, c’était se retrouver projetés des années en arrière, non dans les toilettes de l’AS 24 mais dans les couloirs du lycée, là où soufflait encore le vent de tous les possibles. Un hymne à la liberté. Pas forcément à la joie mais sûr à la liberté. Radicale, têtue, obstinée.

L’espace de quelques minutes secondes, je me suis rappelée. Qui j’étais.

Le concert s’est hissé haut dans cette énergie révoltée, avec des chansons de tous leurs albums dont un bon nombre de « La Grand-Messe », et j’étais contente parce que c’est mon album préféré. Celui par lequel j’ai découvert les Cowboys Fringants et qui est resté mon préféré au fil des années.

 

Clip vidéo : Les Cowboys Fringants, Ici-bas, album « Les Antipodes », 2019.

 

De leur avant-dernier album, « Les Antipodes » en 2019, ils ont chanté Ici-bas, une chanson que j’avais passé la journée à écouter en boucle. Mickaël a glissé dans mon oreille :

– Ça va, celle-là je crois qu’on la maîtrise bien maintenant !

C’est vrai que j’avais peut-être un peu abusé de la boucle mais c’est une chanson qui résonne vraiment en moi, qui m’aide. À poursuivre, à avancer. Je m’accroche les pieds… C’est une image qui me parle tellement, moi qui me sens flotter, déracinée, moi qui ai tant de mal à me rattacher parfois.

Tant que mes pieds marcheront
J’avancerai comme un con
Avec l’espoir dans chaque pas
Et ce jusqu’à mon dernier souffle

C’est ça, les Cowboys Fringants, de l’espoir dans les bottes !  🤩

Bien sûr ils ont terminé le concert au deuxième rappel par la chanson phare de leur album « Les Antipodes », L’Amérique pleure, dont j’ai déjà posté le clip vidéo sur ce blog dans l’article : Un coup de pelle dans la face.

Je ne peux pas écouter cette chanson sans penser à mes amis Édith & Gabriel qui ont quitté leur quotidien ordinaire, notre quotidien ordinaire, pour vivre en adéquation avec leurs valeurs. Un peu plusse en adéquation disons. Et vivre ces belles valeurs humaines auxquelles ils croient, qui les portent, les amène paradoxalement à se marginaliser et à marginaliser leurs enfants tellement nos sociétés sont devenues complètement fuckées.

C’est pour ça, je m’accroche les pieds. Je remplis ma tête d’étoiles. Et c’est avec une de mes chansons préférées parmi toutes, Les Étoiles Filantes, que les Cowboys ont conclu le premier rappel. J’ai vu une marée d’étoiles qui brillaient dans la nuit et d’avions en papier qui partaient au vent. C’était magnifique.

 

Piste audio : Les Cowboys Fringants, Les Étoiles Filantes, album « La Grand-Messe », 2004.

 

La même, dans le live d’hier soir. Une marée d’étoiles filantes et d’avions en papier…

 

Et au bout du chemin, dis-moi ce qui va rester…

 

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Et vous, des projets pour les vacances ? Des rêves, des étoiles un peu ?