Mon poing levé

 

Je n’écris généralement pas d’article politique sur ce blog, et la principale raison en est que je ne me sens pas légitime de le faire sans présenter d’argumentaire réfléchi et ultra documenté.
C’est pourquoi je garde mes opinions politiques et engagements pour ma vie privée. À peu près.

Mais il est des fois où on ne peut pas ne pas réagir. Où moi en tout cas, légitime ou pas, je ne peux pas. Je ne peux pas continuer à écrire les hauts et les bas de ma vie sans dire que je suis profondément choquée de ce qui se passe aux États-Unis, de ce qui émerge en ce moment mais qui est là depuis bien avant, depuis tellement de temps.
Et choquée n’est pas suffisant pour exprimer ce que je ressens. Dans moi c’est un mélange de rage et de nausée, je suis en colère et fatiguée, fatiguée, fatiguée d’espérer et fatiguée de croire…

Ça vous dit quelque chose ?

La liste est bien trop longue de tout ce qui m’écœure
Depuis l’horreur banale du moindre fait divers
Il n’y a plus assez de place dans mon cœur
Pour loger la révolte, le dégoût, la colère

Renaud, Fatigué, album « Mistral gagnant », 1985.

 

Je n’ai pas encore raconté à mes enfants l’histoire de George Floyd, ni des autres tragédies que le meurtre de cet homme a fait resurgir : Ahmaud Arbery, Eric Garner, et tant d’autres inconnus.
Mais je vais le faire, vu que j’ai comme un doute que ça se fasse à l’école entre deux lavages de mains au gel hydroalcoolique. Attention je ne critique pas, loin s’en faut : j’aime l’école publique, et naïvement j’y crois encore malgré que j’en aie * – vieux restes tenaces de mon éducation militante dans cette école de la République, laïque et gratuite pour tous.

Mais l’école d’aujourd’hui n’ose pas, ou plus.

L’infirmière scolaire intervient pour montrer aux enfants les gestes barrières contre le coronavirus. Et c’est bien, sincèrement je trouve que c’est bien. Elle était déjà venue avant, en CE2, pour expliquer les sucres rapides et pourquoi et comment il faut se brosser les dents.
Je trouvais ça bien aussi ; son discours de professionnelle a eu plus de poids que le mien et il a révolutionné l’hygiène dentaire du Grand Lièvre (qui passe son temps depuis à me demander pour chaque aliment si « c’est des sucres rapides ? »).

 Mais qui viendra demain parler aux enfants des violences racistes, sexuelles, religieuses, des injustices intolérables qui se produisent là, devant eux, et du poing qu’ils devront apprendre à lever pour dire non au putain de monde dans lequel on vit ?

Personne, putain de putain. Personne ne viendra.
Le silence tombera comme une seconde mise à mort.

Et pourtant, n’est-ce pas à l’école qu’il faudrait commencer ? À l’école qu’il faudrait défendre et protéger la mixité sociale, culturelle, à l’école qu’il faudrait bâtir la fraternité et la sororité qui sont le socle sur lequel devrait pouvoir s’appuyer l’égalité entre tous les hommes et toutes les femmes, quelles que soient leur couleur de peau, leur sexualité, leur ethnie, leur religion ?

Elle n’a pas d’autre tort que d’avoir une autre tête.

Mes enfants écoutent Casey, à fond. Le Marcass’ surtout adore. Il a 7 ans, c’est un début. Je sème les graines de la prise de conscience et du questionnement entre leurs deux oreilles blanches privilégiées.

Casey, Libérez la bête, album « Libérez la bête », 2010.

 

Ce matin, en rentrant de mon jogging en forêt comme une Blanche qui court tranquille déconfinée sans plus se soucier de ses papiers, j’ai entendu en replay sur France Inter la lettre d’intérieur de Virginie Despentes de ce jeudi 4 juin 2020. Lu par Augustin Trapenard que j’adore que j’adore, son texte m’a saisie là où j’en étais. Bien que je ne comprenne pas qu’elle omette de mentionner Christiane Taubira parmi les ministres noirs en France. Comment ignorer l’intelligence de cette femme, ses prises de position courageuses, et cette phrase incroyable à l’Assemblée Nationale ?

 « Je vous obsède avec une constance qui appelle quand même l’admiration ! »

* Edit du 18 novembre 2020 *
Lire l’article qui parle de Christiane Taubira et Maya Angelou ici : I’ll rise.

 

Néanmoins, en dépit de ses manques, le texte de Virginie Despentes interroge et fait réfléchir.
Il s’appelle : Lettre adressée à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème.
Pour l’écouter, c’est ici :
https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-04-juin-2020

 

 

Moi j’ai honte de ma peau, et pourtant, ce mot de « honte », je l’utilise peu et jamais à la légère. J’explique pourquoi ici.

Mais aujourd’hui c’est vraiment de la honte que je ressens de partager la couleur de peau de ces gens dont l’humanité s’est dissoute je ne sais pas où ni quand ni comment. Je voudrais m’encharbonner, noircir mon poing et le lever haut et fort pour laver cette honte de ma blanchitude. Je voudrais hurler :

Moi je vous vois, je vous entends, et je ne veux pas être complice de vos tortionnaires parce que j’aurai gardé ma bouche et mes yeux fermés !

Alors je lève mon poing trop blanc et je crie quand même mon indignation, ma colère – et ma honte. Tant pis si d’aucuns pensent que je n’ai pas de légitimité pour le faire parce que c’est trop facile d’être à ma place. Oui je suis blanche dans un pays blanc, oui ça ne fait pas plus de quatre ans, allez cinq maximum, que je prends conscience de la notion d’intersectionnalité, et oui ma place est facile. Oui c’est vrai.
Mais c’est pas une raison pour me taire.

Il n’y a jamais de raison de se taire face au crime, au viol, à la torture, au harcèlement. Jamais de raison de se taire face à l’injustice.

La légitimité mon cul je l’arrache à la hauteur de mon authenticité. Des quelques valeurs auxquelles je veux croire encore.

 

 

Si vous aussi vous êtes révolté(e) et que la légitimité mon cul vous ne savez pas par où commencer, je relaye ici tels quels les conseils de podcasts de Clotilde Dusoulier que je tiens en haute estime :

 

    • Melting pot, de Mélanie Hong, qui parle de la construction identitaire des Français multiculturels ;
    • Kiffe ta race, de Rokhaya Diallo et Grace Ly, qui explore les questions raciales sur le mode de la conversation et du vécu ;
    • Extimité, de Douce Dibondo et Anthony Vincent, qui donne la parole aux personnes minorisées ;
    • Sans Blanc de Rien, de Fionna, Estelle et Katia, un podcast fictionnel sur le racisme et la blanchité en Belgique ;
    • Après la première page, de Maly Diallo, un club de lecture audio pour parler de livres d’autrices afrodescendantes ;
    • The Banana Split Project, de Viviane Salin, qui fait parler des Français d’origine asiatique, revenus vivre en Asie ;
    • Les enfants du bruit et de l’odeur, de Ulriche et Prisca, qui parle de l’éducation des enfants quand on est racisé.

 

Podcast Kiffe ta race, par Rokhaya Diallo et Grace Ly.

 

 

* Ce « malgré que j’en aie » est pour ton anniversaire Monsieur Tro, vu qu’on est le 4 juin au moment où j’écris cet article. Je te le dédicace, à la face déconfite de tous les malgré que, ceux qui croivent, ceux qui voyent, ceux qui veulent te faire montrer et j’en passe…
Je vous aime comme même tiens, du moment que vous n’écrasez pas votre genou sur la gorge de quelqu’un !

 

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