La toute première semaine de confinement à la maison – souvenez-vous, c’était il y a des siècles – il y avait des règles strictes chez nous, notamment en termes de granola industriel trop sucré le matin et de jeux vidéo sur la Switch l’après-midi : c’était mercredi et week-end uniquement.
Je ne vous cache pas que tout ça c’est fini depuis longtemps. Depuis le soir du jeudi 26 mars précisément, quand j’ai éclaté le flacon en verre tout neuf de sirop d’érable que je venais juste de racheter et que je me suis fracassé le genou contre l’arête du pied de la table en essayant de le rattraper.
Je me suis fait super mal. J’ai même eu peur de ne pas pouvoir aller courir le lendemain matin. Pendant une fraction de seconde m’est apparue la vision de ce que serait mon confinement si je ne pouvais plus aller courir seule dehors trois fois par semaine. Un enfer.
La flaque organique de Maple Joe sur le carrelage de la cuisine a agi comme un révélateur. J’ai décidé de ne pas attendre le pire pour me rendre la vie meilleure.
Parce que :
1/. J’en ai marre de beurrer des tartines et des biscottes SANS LES CASSER pour tout le monde, le tout le monde en question apparaissant à la table du petit-déjeuner en réveil échelonné de 8h30 à 10h30.
2/. J’en peux plus de faire semblant que je kiffe jouer aux 7 familles ou à ta-mère-la-bonne-paye parce que les babi ne jouent QUE SI MOI JE JOUE. Et je hais ces jeux.
Alors depuis deux semaines, les Extra de Kellogg’s ça peut être n’importe quel matin où j’ai envie de partir courir et où les garçons ne sont encore pas réveillés, et les jeux vidéo c’est open bar tous les soirs !
Yalla en avant la pizza ! comme dirait Toufik-de-Direct-Pizza’s Ouali-de-Ouali-Pizza, dont on est super fan chez nous.
Piste audio : Ouali Pizza, album « Marcel le Père-Noël (et le petit livreur de pizza) », 2015.
Tu digères ça en deux trois jours, facile
Et tu peux faire ce que tu veux avec la boîte
Tu fais une étagère, une librairie, non une bibliothèque, bam
Sinon tu mets un tourne-disque dedans, et tu scratches !
Vous ne pouvez pas imaginer comme les écrans ont transformé mon tunnel du 18h-20h.
Ou peut-être que si, très bien même, vous êtes vous-même parents, vous savez.
Évidemment quand les garçons parlent de leurs jeux vidéo je ne comprends rien à ce qu’ils racontent mais, pendant ce temps-là, ils ne me demandent pas pour la énième fois ce qu’on va manger ce soir. Bien sûr ce n’est qu’un leurre, une question de minutes, je sais que la question va fuser dès qu’ils auront posé les manettes, mais une minute ça compte. Et deux et trois encore plusse.
Surtout qu’ils sont en vacances là, donc c’est encore pire pour moi : Mickaël est toujours en télétravail confiné mais il ne descend plus pour s’occuper de l’école !
Alors à la place, l’après-midi, ils regardent un film. Ou deux. C’est une technique de survie qui m’a été recommandée par la maîtresse d’un de mes enfants, doublée du prêt longue durée d’un sac à dos de randonnée rempli de DVD. Je dois à cette enseignante (qui est elle-même mère de trois enfants) du temps tranquille pour écrire. Je ne la trahirai pas même sous la torture. I swear.
« Harry Potter » c’est le top. Je mets un pouce. Ça dure longtemps et les enfants captent pas tout la première fois, donc ils veulent le revoir. Il y a huit épisodes de plus de deux heures chacun. Multiplie ça par le nombre de revoyures et ajoute autant de pouces.
Pendant ce temps-là, je peux faire une machine.
Nan j’déconne !
À cinq toute la journée en confinement, la maison se salit deux fois plus vite qu’en temps d’école mais je fais deux fois moins de ménage et la machine ne tourne plus qu’une seule fois par semaine. Va comprendre… I don’t give a shit.
Papa Écureuil accuse mon esprit de contradiction.
Les garçons remettent tous les jours le même jean qui est couvert de mousse verte aux genoux. Je sais que même en les frottant à la main avant lavage comme je le fais d’habitude, ça ne partira plus.
Et je m’en fous. Je m’en contrefous. J’ai abdiqué devant l’herbe…
En début de semaine, j’ai quand même lancé une machine parce que Papa Écureuil est venu me dire doucement, avec moult précautions :
– Mon amour, j’ai plus de chaussettes…
Et puis ça faisait trois jours que le Marcass’ (6 ans) se traînait en pyjama faute de slips propres dans son tiroir. Avant de m’y mettre (à frotter les genoux des jeans), j’ai demandé au Grand Lièvre (8 ans) :
– Et toi Lulu, il te reste des slips ?
– Bah non.
– ??… Tu fais comment alors ? Tu les mets devant derrière ?
– Bah non, j’en mets pas c’est tout.
Ah ouais. Je suis la première à ne pas porter de sous-vêtements. Je veux dire, c’est pas nouveau, et j’ai aucun problème avec ça. Mais quand même, on vit pas en robe et en pagne ici ; dans le jean serré, il faut mettre un slip (ou une culotte), les amis.
Bon du coup j’ai fait une machine. Tout le monde a des slips maintenant. (Et des chaussettes aussi, oui).
Parce que le confinement tout seul, c’est une chose. Pas facile déjà.
Mais le confinement avec enfants, c’est une autre dimension. Tu cherches à quel degré de difficulté t’en es, mais tu trouves pas parce que tu ne penses plus : tu as changé d’échelle.
Voire ton échelle est tombée et tu es coincé(e) dans le grenier. Avec eux.
Alors tu lâches les barreaux un par un, t’arrêtes de batailler pour tout, et tu finis par acheter des cordons-bleus industriels dégueu.
C’est sans doute une forme de démission, mais comme de toute façon à élever des enfants on vieillit et on se désillusionne, je ne suis pas sûre qu’un jean propre ou un cordon-bleu maison change grand-chose au final.
Je préfère me dire que je choisis mes combats et qu’on ne peut pas garder les enfants enfermés comme si on les retenait en otage. Comme si c’était vraiment la guerre et qu’ils doivent rester cachés dans une cave (mais on peut leur raconter que c’est arrivé par le passé et que ça arrive encore dans certains endroits du monde, il me semble que c’est le bon moment).
On ne peut pas leur répéter en permanence de se taire. De « la fermer », parce que si on se laisse aller, c’est sous cette forme que les mots viennent en vérité. Alors personnellement je me bouche les oreilles. Au sens propre, mes deux index fortement appuyés sur chaque… chaque… chaque quoi ? Pas lobe, mais vous savez le truc de peau et de cartilage qui permet de boucher le conduit auditif, je ne sais pas comment ça s’appelle.
S’il y a un(e) médecin parmi vous – je sais qu’il y en a – ou juste quelqu’un dont la prof de SVT n’a pas écrit sur son bulletin de seconde : « élève inconnue ».
Cette garce. Tout ça parce que le tout premier cours de l’année était sur la photosynthèse. Si encore ça avait été sur le corps humain, j’aurais peut-être été intéressée, j’aurais au moins appris le nom des différentes parties qui forment l’oreille, mais là non. La photosynthèse quoi !
J’ai cru mourir d’ennui. J’ai choisi de vivre et de ne plus jamais revenir. (Quand je vous disais, dans ma newsletter de dimanche, que la photosynthèse est un cauchemar scolaire !)
« Élève inconnue ». Putain. Les profs de SVT c’est vraiment les pires. À côté, les profs de maths on dirait presque des êtres humains.
Papa Écureuil a un bureau en haut dans notre chambre pour le télétravail. La porte fermée ça aide. Et quand ça ne suffit pas, il travaille au casque.
Moi quand ça ne suffit pas, quand je ne peux plus écrire avec mes index qui me bouchent les oreilles (reconnais que taper sur le clavier sans les mains c’est pas easy easy), je me casse.
Et puisque j’ai démissionné, avant de partir je dis oui pour tout.
Oui minette tu peux regarder Hunter X Hunter sur Netflix, oui les gars vous pouvez faire des jeux vidéo pendant que je ne suis pas là, oui je vous rapporterai un pain au chocolat, un chausson aux pommes et un croissant de la boulangerie, oui je reviens dans une heure (c’est ça, compte là-dessus, bois ton nigari).
Et tu sors. Tu fais rien de ouf, je veux dire tu vas pas tomber sur Idris Elba qui t’attend en bas de chez toi pour t’emmener à Rome en scoot. Non. En plus je dis Rome comme ça, pour rêver, mais en vrai c’est pas le moment, alors juste tu sors avec ton attestation de déplacement dérogatoire recopiée à la main sur une feuille de brouillon, quasi en règle.
Tu sors, il ne se passe strictement rien, et pourtant la joie te prend comme si tu étais sur le point de vivre un moment exceptionnel. De la liberté volée, arrachée.
Tu te sens grisée de marcher sur le trottoir, le vent sur ton visage, le silence dans la rue, tout est caresse. Tu passes toujours par l’école, histoire de vérifier si les grilles sont descellées. Juste un peu, si elles ont bougé. Au cas où.
Il n’y a rien de tel que la menace pour nous enivrer de l’habituel.
Quand tu rentres, tu es encore sous emprise. C’est pas toi, c’est le vent. Ta folle échappée. Le souffle enivrant de quelques cm3 de liberté en temps de confinement.
Tu continues de dire oui pour tout.
– Maman, pour mon anniv, tu pourras m’acheter un vernis à ongles rien qu’à moi comme Garance ? Mais avec un cadeau sucré quand même hein ! Le vernis c’est en plus, voilà. Et je veux une tarte aux poires et au chocolat comme gâteau.
Oui. Oui d’accord, Marce. Du vernis à ongles, des poires alors que ce ne sera plus la saison, un bâton de majorette, des places pour le concert de NTM, un masque de geisha, tout ce que tu veux. Mais fous-moi la paix. Juste, arrête de me parler s’il te plaît.
LAISSE-MOI TRANQUILLE.
*****
Et vous, au niveau du contrôle parental ?
Ça se passe, ou vous avez basculé dans le grenier ?
* Note post-publication *
On me dit que la toute petite partie de l’oreille dont je parle, celle que je préfère car elle me sert à ne plus entendre mes enfants quand j’appuie dessus, c’est le tragus. Béni soit-il.