Mes cheveux & moi

Photo de décembre 2009 : Première expérience de crâne rasé (mais pas encore tout à fait rasé, c’était carrément en cours, d’ailleurs on voit plein de petits cheveux rasés collés sur mon front et mes oreilles !).

 

Un jour, à la fin de l’année 2009, je me suis rasé la tête.

Ça faisait des mois que j’y pensais, que j’en avais envie. Et que personne ne me soutenait.
Tout ce que j’entendais, c’est : mais pourquoi ?
Pourquoi tu veux faire un truc pareil ??

On me regardait comme si j’étais folle – pas que ce soit nouveau pour moi mais bon, ça rend pas les choses plus faciles pour autant.
Alors je répondais à côté, des trucs comme : Rokia Traoré, une beauté. Ou, sur le ton de l’humour : allez je me fais la coupe de ma p’tite poupée mon bébé !

[Note : Papa Écureuil et moi on ne fabrique pas les cheveux in utero. C’est comme ça. Et une fois sortis de la coquille, le duvet des canetons met looooongtemps à pousser…]

 
Un acte subversif ?

Mais je voyais bien que ça ne passait pas. En France, la femme rasée dérange. Rasée du crâne je veux dire, parce que pour le reste du corps, c’est l’inverse qui dérange. Le poil qu’on condamne.

Si tu es une femme, avoir un corps parfaitement lisse et épilé de partout est une injonction sociétale qui commence, je m’en rends compte avec la Petite Souris, dès l’école primaire.

« Je peux pas mettre une jupe sans les collants maman, sinon tout le monde va voir mes poils aux jambes. » (CE2)

J’ai des garçons aussi, même un Marcass’ bien velu qui a du poil aux orteils, et ils n’ont pas de problème pour aller à l’école en short.
À vrai dire, je pense qu’ils pourraient même y aller en slip.

Mais la femme c’est pas pareil.

Et en plus de l’injonction que j’appellerais « du poil », il y a une autre injonction qui enjoint que le crâne de la femme, non.

Il y a ce tabou de la maladie qui fait perdre ses cheveux.
L’humiliation des femmes tondues pour collaboration après la Seconde Guerre Mondiale.
Et quoi, Jeanne d’Arc même peut-être ! Ça se trouve…

Quelles que soient ses raisons, en 2009, ma coiffeuse de l’époque (qui n’était pas Gill avec son ouverture d’esprit 😉 ) a carrément refusé de me le faire.

« Vous n’êtes pas Sinead O’Connor ! Si encore vous étiez grande, ultra féminine, que vous étiez du genre à vous maquiller tous les jours, ou à porter des bijoux, des colliers ou des grosses boucles d’oreille par exemple, peut-être que je pourrais vous le faire. Mais là non, avec votre visage minuscule, les gens vont penser que vous êtes malade. Vous auriez juste l’air d’un petit oiseau tombé du nid. »

Ça s’appelle : l’injonction de l’injonction. Mâtinée de culpabilisation.
Si vous voulez vous raser le crâne, envers et contre tous les bons conseils que l’on vous a prodigués, alors au moins, tâchez d’être grande et belle et sophistiquée. Faites un effort. Sinon c’est même pas la peine. À cause de les gens. Les gens vont penser que.

Alors finalement, après que je l’ai tanné pendant des mois et des mois, c’est Papa Écureuil lui-même qui me l’a fait. À la tondeuse, dernier sabot. À contrecœur et non sans m’avoir fait jurer que ce serait la première et dernière fois.

 

Avec la Petite Souris, décembre 2009. Est-ce que j’ai « juste l’air d’un petit oiseau tombé du nid » ??

 

Mais ça me reprend…
Depuis que je sais qu’on va partir, c’est là, en moi, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que, quand je l’ai fait la première fois, c’était juste avant de partir au Cambodge (février 2010), et que là on repart. C’est peut-être, je ne sais pas moi, un signe de départ. Une façon de prendre la route.

Mais Papa Écureuil n’oublie pas une promesse qui lui a été faite.
Et maintenant c’est encore pire parce que la Petite Souris se ligue contre moi aussi, catastrophée, à répéter : « Mais pourquoi maman ? mais pourquoi ? s’il te plaît, je t’en supplie, ne fais pas ça ! »

Petite parenthèse ici.
Je suis dépitée de constater à quel point, depuis que les babi sont entrés à l’école, même maternelle, ils sont formatés dans leur pensée. Plafonnée, leur liberté. Étriquée, leur conception de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas (sinon quoi, la honte). Ne pas dépasser, ni avec les feutres, ni avec rien. Conformistes. Sous mon propre toit. Ça me rend dingue.
Même le Marcass’, à peine cinq ans, il me reproche de lui avoir envoyé des cœurs avec les mains pendant la chorale, à la fête de l’école, parce que la maîtresse leur avait dit de ne pas faire de signes aux parents quand on chante. Pfff.

Et donc la Petite Souris serre la main de son papa. Ils font bloc.

Mickaël m’a carrément dit : « Je te trouve moche quand tu es rasée. »
Pas : « Tu sais, je préfère quand tu as les cheveux longs ». Non.
« Je te trouve moche, et en plus t’avais promis. »

Du coup forcément ça m’interroge : pourquoi je veux me raser la tête, encore, alors que personne, même pas mon amoureux, ne me trouve belle rasée ?
Oui, pourquoi ?
Pourquoi de nouveau maintenant, alors qu’on s’apprête à partir pour un grand voyage ?

Je n’ai pas de réponse argumentée qui me vient. Juste, j’en ai envie.

Et puis merde, moi je me trouvais sexy, rasée. (Pas autant que Rokia, évidemment, mais c’est la chaleur de sa voix, aussi, qui fait ça. Et ses bras. Et son sourire. Et la couleur de sa peau, d’accord, j’avoue tout.)
D’ailleurs je n’étais pas la seule – à me trouver sexy. Mais c’était pas des hommes…
C’est comme ça que je me suis rendue compte que se raser le crâne, pour une femme, dans notre société, c’est aussi envoyer un message sur ses préférences sexuelles. Et ça, je ne l’avais pas du tout anticipé.

Parce que, aujourd’hui encore, une femme hétéro, DOIT avoir des cheveux. Même courts, d’accord, mais des cheveux.

Moi j’adorais toucher mon crâne nu. Je me sentais bien, plus légère. Quelque chose comme plus libre aussi…

 
Vers un dépouillement ?

En discutant, une de mes amies m’a fait remarquer que se raser la tête, comme le font les moines bouddhistes, c’est une façon de se délester du superflu. Simplifier sa vie, aller à l’essentiel.
Éliminer quelque chose qui nous cache, qui empêche de voir qui on est vraiment ou de se relier à soi-même. Comme, peut-être, perdre des kilos.
Ou, attention plus dur pour moi, désencombrer sa maison. Jeter des trucs. Le Marie Kondo style.

Cette recherche du dépouillement, ça m’a vraiment parlé, donc c’est peut-être une piste. Dans ma recherche, depuis une petite dizaine d’années, à essayer d’avancer vers là où je me sens moi-même.

Et cette quête d’authenticité nécessite à la fois de résister aux pressions sociétales qu’on nous impose (et aux plus sournoises, celles que l’on intègre totalement et que l’on s’impose à nous-mêmes…), et de se débarrasser des modèles de femmes stéréotypés qu’on nous tend et auxquels on est censées se conformer.

Mais je dis stop !

Parallèlement au crâne nu, ce courage de la résistance au modèle (sur)dominant se trouve aussi dans la décision d’arrêter de teindre ses cheveux blancs. C’est pourquoi, en attendant de me raser – ou pas – la tête, j’ai décidé de ne plus colorier mes cheveux blancs.
Ça fait dix mois maintenant, et pour l’instant je tiens.

La majorité des vingtenaires et des trentenaires qui me lisent ne se sentiront pas concernées, évidemment, c’est après que ça se corse… Et pour elles seulement car c’est typiquement une question que les hommes ne se posent pas, je crois, même après 40 ans. D’où le sujet du livre de Sophie Fontanel, Une apparition, car à l’inverse, pour une femme, décider en toute conscience de ne plus cacher ses cheveux blancs est un choix vraiment à contre-courant.
Et donc courageux.

 

[Note de Papa Écureuil : J’aimerais qu’on ne détourne pas l’attention par du blabla sur les cheveux blancs du fait qu’une promesse EST une promesse.]

 

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Et vous, vos cheveux, ça se passe ?

Avez-vous déjà eu envie de vous raser la tête ?
Ou bien, si vous avez dû le faire pour des raisons extérieures à vous, comment l’avez-vous vécu ?