Faire la bringue

Photo : Une soirée ordinaire à la pension Colette, sur l’atoll de Tikehau dans les Tuamotu (Polynésie, janvier 2019).

 

Est-ce ainsi que les hommes vivent… en Polynésie ?

ΞΞΞΞΞ

 

La première chose qui m’a frappée en arrivant à Tahiti, c’est le tutoiement immédiat.
D’habitude je déteste ça. Je sais, je suis pas cool. Mais j’ai jamais dit que j’étais cool ! Je suis à l’ancienne. Il y a des gens de mon âge que je continue de vouvoyer. Après plusieurs années. Après même une certaine, oserais-je ?, proximité. Voilà. Bon.
Mais ici ça va. L’ambiance paréo, tongs et colliers de fleurs autour du cou sûrement. Ça colle moins à Paris, près du métro Rome (je vous téléphone).

Ici tout le monde te tutoie : les stewards et hôtesses de l’air, les douaniers de la bio-sécurité (une vaste blague, la bio-sécurité à Tahiti, après ce qu’on a vécu à l’aéroport de Christchurch !), les serveurs, et même le mec qui prend tes bagages pour les mettre sur un chariot et les apporter dans ta chambre à l’hôtel de luxe de Papeete ! Ouais bah… Je ne dis pas qu’il faut revenir à la courtoisie selon Carson dans Downton Abbey, mais quand le mec m’a dit : « Tiens, pose ton sac sur le caddie » comme si j’étais sa copine, eh bah quand même ça m’a choquée…

L’apparence

À Tahiti, il y a d’abord cette image que je croyais un peu cliché de la fleur de tiaré à l’oreille. Mais non, ce n’est pas que du folklore. La fleur de tiaré, d’hibiscus ou de tipanier qu’on porte derrière l’oreille fait partie de la vie en vrai. Et ce, même si on est habillé « à l’européenne ». J’entends par là, pas en paréo ni en robe à fleurs (ni en chemise de Magnum).

Sans surprise, le paréo est davantage porté dans les îles qu’à Papeete, et j’en ai vu des vraiment beaux. Avec des façons de le nouer qui me rendent hyper envieuse vu que moi je fais tenir ça à l’arrache comme un pagne et le nœud se défait tout le temps (mais je le sens se défaire, donc je sais le rattraper avant de me retrouver nue).

 

À propos de la fleur, j’ai appris tardivement que le côté de l’oreille sur laquelle on la place a une signification. Là c’était le tout premier jour dans un parc de Papeete…

 

Selon une tradition populaire, si on porte la fleur à gauche, du côté du cœur, cela signifie qu’on est sentimentalement déjà « pris(e) », et donc pas disponible pour une nouvelle rencontre. Au contraire, si on porte la fleur à droite…

Les jours de fête ou de cérémonie, la fleur quotidienne à l’oreille ne suffit pas. On tresse ensemble des fleurs pour les porter en couronne de tête ou/et en collier assortis à sa tenue vestimentaire. Pour les femmes comme pour les hommes.

Il y a aussi cette coutume qui invite à passer un collier de fleurs au cou des personnes qui arrivent dans une île, et un collier de coquillages au cou de celles qui repartent.

À l’aéroport de Papeete, c’est complètement la folie les fleurs ! Quand on sort de l’avion, on voit des gens partout qui attendent avec des colliers de fleurs sur l’avant-bras, prêts à dégainer.
Et puis, quand on a quitté Tahaa, l’adorable cuisinière de notre pension à qui j’ai posé plein de questions sur la cuisine polynésienne et les différentes façons de préparer les plats traditionnels, nous a donné un collier de coquillages à chacun pour nous souhaiter bonne chance dans la suite de notre voyage.

 

Arrivée à l’aéroport de Tikehau. Avec les colliers de coquillages reçus au départ de Tahaa et les colliers de fleurs toutes fraîches reçus à Tikehau.

 

Les robes traditionnelles, qu’on appelle purotu (on dit aussi « missionnaire », devinez pourquoi), sont encore portées. Elles sont toujours longues, et soit sexy soit très sages selon qu’elles sont ajustées ou amples, et plus ou moins décolletées.

Les couturières sont nombreuses en Polynésie où elles confectionnent ces robes sur mesure, notamment pour les jours de fête, les costumes de danse, et le tifaifai.

Le tifaifai (patchwork local) est un tissu traditionnel de motifs réalisés à la main, très coloré, dont on enveloppe traditionnellement les jeunes mariés. Il est aussi utilisé pour décorer l’intérieur des maisons : sur les murs, par terre, comme couvre-lit…

J’ai entendu que c’est très à la mode pour les Occidentaux qui peuvent se le permettre de venir se marier à Tahiti ou dans les îles. Un peu comme à Las Vegas j’imagine, ou bien comme les Chinois que j’ai vus se marier à Florence dans un décorum qui m’a semblé totalement factice mais bon…

 

Ici ce n’est pas un tifaifai mais un simple tissu de décoration accroché au mur, comme ça se fait beaucoup dans les maisons polynésiennes. Ce sont les différentes couleurs de la fleur d’hibiscus. Au Mali, on fait du jus de bissap avec cette fleur mais pas là…

 

Enfin, l’élégance d’une femme ici ne se conçoit pas sans ses perles noires de Tahiti. Les perles elles-mêmes bien sûr, en collier ou en boucles d’oreille, mais aussi toutes sortes de bijoux en nacre provenant de l’intérieur des huîtres perlières, qui sont le plus souvent gravés ou sculptés.

La vie rangée de la semaine…

Les Polynésiens se lèvent tôt, un peu après 5h du matin avec le soleil, et se couchent tôt aussi – avec le soleil oui. La vie en ville et dans les îles est calée sur ces horaires. C’est comme ça qu’on a raté le grand marché de Papeete qui apparemment est génial à observer. Mais il faut y être à 5h du matin car à 8h les marchands remballent et c’est fini, allez salut !

Les supermarchés ouvrent à 6h du matin et ferment vers 17h-18h. Les banques et autres magasins ferment plus tôt, 15h30-16h max.

La journée de travail termine tôt : les bus, même sur Papeete la capitale, s’arrêtent entre 16h et 18h grand maximum. Le samedi je crois qu’il n’y a des bus que le matin, et le dimanche pas de transports en commun du tout !

 

L’atoll de Tikehau est appelé « l’île au sable rose ». Là c’est sur la plage, au pied de notre bungalow, ce matin à 6h. Si j’avais été à Papeete, je serais allée au marché pendant que tout le monde dormait, mais à Tikehau, il n’y a que les bernard-l’hermite au bord de l’eau…

 

Le dimanche c’est la messe. Au temple Paofai de Papeete et dans les autres temples (protestants, adventistes…). Avec chapeaux et tout le tralala, comme disait ma grand-mère. D’ailleurs à propos de grand-mère, Mickaël a dit : « Ici la messe, c’est comme dans The Wire la grand-mère d’Omar Little ! » (évidemment, si vous ne regardez pas The Wire, vous ne connaissez pas la trêve du dimanche chez les dealers à l’ancienne qui ont des vrais principes, eux…)

Les chapeaux de la messe sont toujours tressés en feuilles de pandanus, à la main.

Le tressage en feuilles de pandanus, savoir-faire ancestral, se perpétue de génération en génération car l’idée de transmission et le lien à la communauté sont des valeurs importantes en Polynésie.
Au quotidien, outre les chapeaux, on voit des paniers tressés en feuilles de pandanus, des nattes, et puis surtout les toits des bungalows et des fare.

 

Sur la plage de Tikehau. Les pandanus, ce sont les deux arbres que vous voyez à gauche des cocotiers, ceux dont les racines sont apparentes sur le sable, un peu comme dans une mangrove. Évidemment, papa Écureuil a demandé si je sais combien il faut d’anus de pandas pour faire un toit…

 

Les mêmes pandanus en plus gros plan pour mieux voir les feuilles. Il y a un gros fruit vert dedans qui ressemble à un ananas mais apparemment il ne se mange pas, je ne sais pas pourquoi. Les Paumotu sont rudes, je ne peux pas non plus TOUT demander…
… et la bringue du week-end !

Le week-end à Tahiti, tout le monde fait la fête. Du vendredi 16h jusqu’au dimanche matin (la messe). Ici c’est TRÈS important et on dit faire la bringue.

La bringue consiste à s’ambiancer ensemble, manger (beaucoup), boire des bières (beaucoup beaucoup), jouer de la musique au ukulélé et danser – parfois aussi, sous l’effet de l’alcool, se battre, pour mieux se réconcilier le dimanche matin (à-la-wait-for-it-messe).

J’aime pas la bière, comme vous le savez, mais j’aurais aimé faire la bringue moi aussi parce que j’adore le ukulélé. Le ukulélé, c’est Marilyn Monroe dans Some like it hot. Une merveille de film. Dans mon top 5 ever. Chanceux(se) que vous êtes si vous ne l’avez pas encore vu.
Marilyn en talons hauts dans une robe moulante trop serrée se dépêcher pour monter dans le train. Marilyn plisser les yeux parce qu’elle est trop myope mais ne veut pas mettre de lunettes. Mille Marilyn, et tellement plus que l’image de sex-symbol à laquelle elle est constamment réduite. Moi si je suis triste, je la regarde jouer dans un film, je l’écoute chanter « My heart belongs to Daddy » (so I simply couldn’t be bad), et tout de suite ça va mieux !

 

Marilyn au ukulélé dans Some like it hot (peut-être le meilleur feel-good movie au monde).

 

Au début de la vidéo, on voit Tony Curtis et Jack Lemmon (travestis en femmes), extraordinaires !

 

Bon mais pour en revenir à la Polynésie – parce que quand je suis partie sur Marilyn, je ne peux plus m’arrêter – le ukulélé, c’est aussi IZ avec Over the rainbow (B.O. du voyage, n°20).

Je n’ai pas fait de recherches sur Hawaï en particulier mais je pense que la vie moderne y a apporté, comme partout, son lot d’aliments transformés en barquettes et les troubles et déséquilibres de l’alimentation qui vont avec. Et si les produits industriels trop gras trop sucrés trop salés importés des États-Unis ont remplacé pour beaucoup l’alimentation traditionnelle à base de poisson et de fruits comme à Tahiti, on doit retrouver les mêmes problèmes de santé et d’obésité. J’imagine.

J’aime IZ. Je suis triste qu’il soit mort. J’aurais aimé le voir en concert.

Mais je ne voulais pas vous plomber le moral, je venais vous parler de LA BRINGUE ! (Remettez-vous un petit coup de poopoopidoo si besoin…)
Et au son du ukulélé, du hamaka, et des autres instruments polynésiens, on danse le ‘ori Tahiti.

Le ‘ori Tahiti est la danse traditionnelle polynésienne, avec costumes en feuilles de pandanus (lire ci-dessus), bijoux et musique traditionnelle, encore très très pratiquée par les Polynésiens en dehors de leurs activités professionnelles.

L’instant T (comme Tabac)

La Polynésie c’est cher – tout le monde le dit et c’est vrai – mais les cigarettes sont toujours moins chères qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande ! (En même temps, je doute qu’il existe des pays où le tabac soit plus cher…)
À Tahiti, le prix est le même qu’en métropole : 940 CFP le paquet, soit un peu moins de 8 €.
Et les gens fument, hommes et femmes.
Les gens fument même sur le bateau entre l’île de Raiatea et l’île jumelle de Tahaa ! On est loin de la Nouvelle-Zélande où je me sentais coupable d’écraser mon mégot par terre avant de le jeter consciencieusement à la poubelle…

 

Mes premières Philip Morris depuis le début du voyage ! Comme en Nouvelle-Zélande (anglais / maori), tout est écrit en bilingue français / tahitien. On voit que le tahitien diffère du maori, même s’il y a de grandes similitudes dans les deux langues (la fréquence des voyelles notamment).

 

Sinon, entre nous, j’ai appris que l’insécurité et les actes de violence ont considérablement augmenté depuis l’arrivée de l’ice dans les quartiers de Papeete il y a une dizaine d’années.
Initialement utilisée au Japon pour ses effets de stimulant sexuel mais aujourd’hui importée des États-Unis, l’ice est un dérivé de la méthamphétamine (appelée aussi crank, speed ou crystal meth) qui peut être fumé, sniffé ou injecté. Ses effets sont extrêmement puissants et la dépendance très rapide, parfois dès la première prise.
En gros, c’est la meth que fabrique Walt « Heisenberg » dans Breaking Bad !

À Tahiti en 2018, une personne sur 30 consomme de l’ice.

Les articles que j’ai lus sur le sujet expliquent ça par « l’ennui, le chômage et la fiu attitude ». Fiu est un mot très employé en tahitien pour désigner l’impression de tourner en rond, sans projet, sans perspective.

En dix ans, l’ice est devenue une drogue banale que l’on peut se procurer facilement à Tahiti, pas trop chère, et d’autant plus dangereuse qu’elle est très addictive.

 

Eh non, pas de photo d’ice… mais comme je vous mets à chaque fois une photo de la monnaie locale dans l’article sur les gens, la vie, ben c’est ici (et je pense qu’il y a assez de billets pour quelques sachets d’ice)…

 

La drogue, le poids et l’ennui, ça casse un peu l’image sexy du pays des merveilles, non ?
De ces îles lointaines où rien n’est important que de vivre, où les filles alanguies vous ravissent le cœur en tressant m’a-t-on dit de ces colliers de fleurs qui enivrent…

 

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Et vous, connaissez-vous des Tahitien(ne)s ?
Comment imaginez-vous la vie dans ces îles du bout du monde ?