Noël & moi

Photo : Le lac Wanaka, sur la route qui va de Queenstown à Paringa où on a campé sauvage entre les montagnes (Nouvelle-Zélande, décembre 2018).

 

Hier on s’est baignés dans une jolie petite crique sur la baie de Tasman, entre la mer de Tasman à l’ouest et l’océan Pacifique à l’est. Le soleil était chaud brûlant sur le bateau pour rejoindre le Parc National Abel Tasman mais il y avait du vent et on n’a pas mis assez de crème solaire.
Derrière mes lunettes de soleil, je regardais la mer, les montagnes au loin. La Petite Souris et le Grand Lièvre aussi. Ils ne parlaient pas, le greffon n’était pas avec moi, j’étais bien.
Je pense qu’on est le 18 décembre, dans une semaine c’est Noël.

Noël… Noël en maillot de bain…

Je pense au matin même, à la lessive qu’on a faite. Ouais ce sont des choses de la vie qui arrivent, même au bout du monde. Et nous personnellement on a un problème de pinces à linge parce qu’on en a douze. QUE douze. Et il y a toujours du vent qui souffle, donc souvent les tee-shirts finissent par sécher dans l’herbe. C’est pas grave dans l’herbe hein, surtout ici, l’herbe est bien propre, mais il faut trouver des solutions pour pas que nos slips terminent dans les arbres ou sur le toit des campervans voisins.
Et Papa Écureuil est très fort pour ça : ce matin il a eu l’idée de les enfiler sur une corde attachée entre les barres du auvent. Il m’a dit :

– Attends, c’est Noël ou c’est pas Noël ? Tu me dis c’est Noël, moi je te fais une guirlande de sloups !

 

Comment faire sécher des slips au soleil sans pinces mais avec une corde à Kaiteriteri…

 

J’ai trop rigolé. J’ai adoré. J’ai enfilé les slips dans l’allégresse.
Je préfère enfiler des milliers de slips sur des milliers de cordes à linge plutôt que d’être là à Noël. Quand je dis là, je veux dire à la maison.

Ici – je veux dire en Nouvelle-Zélande – il y a vaguement un faux sapin, parfois, à l’entrée d’un campement. Quelques Père-Noël dans des vitrines, qu’on regarde comme s’ils avaient un problème de s’être autant emmitouflés. Et puis des chocolats dans les supermarchés, ok. Mais rien de comparable à chez nous. Pas les montagnes de bouffe, huîtres, saumon fumé, canapés, foie gras et tarama, tous ces trucs obligés parce que : c’est Noël, qui me donnent envie de crier que je voudrais tous les voir crever étouffés de dinde aux marrons.

Non. Ici, il y a quelques chocolats en tête de gondole, des mince pies, des pavlova pré-emballées à garnir qui ne pétillent pas la gourmandise, une étoile, deux guirlandes, et c’est bon, comme dirait Chouch.

 

Le Marcass’ à la réception du campement de Queenstown depuis laquelle, à genoux devant le routeur sur la table basse, j’essayais de me connecter pour envoyer la newsletter.

 

Et nous on continue à manger des salades de tomates tous les jours.
Parce que c’est l’été pour nous je vous rappelle… pendant que vous travaillez sur votre menu de Noël. Courageusement. Ou peut-être parce que ça vous plaît, et je vous le souhaite d’ailleurs, que vous preniez plaisir à le faire en pensant à ceux que vous aimez et que vous allez recevoir.
Mais moi… comment dire ? Je suis tellement mais tellement heureuse d’échapper à tout ça !

Aux boules, aux guirlandes, aux cadeaux, aux repas surtout. À toute cette nourriture exhibée, gaspillée.

Je le sais que je déteste Noël. Je veux dire, c’est chaque année pareil : ma famille, mes amis, tout le monde autour de moi le sait que je déteste Noël, rien de nouveau sous la neige. Y’a pas de magie pour moi, que du commercial, beaucoup beaucoup d’hypocrisie et, pire que tout, cette espèce d’injonction à être heureux parce que : c’est Noël.
Ça me noie, ça m’enterre.

Moi le 24 décembre, c’est le seul soir de l’année où je ne cuisine pas. On mange des pâtes nature (des pâtes aux pâtes) ou une pizza industrielle, des anchois, des olives, et de la glace tout aussi industrielle en dessert devant un dessin animé avec les babi.
Ils choisissent ce qu’ils veulent, ils kiffent, et moi je veux juste me coucher pour que tout soit déjà passé, vite, et qu’on soit le 1er janvier tout de suite.

Évidemment ça rend ma compagnie assez difficile. Je reconnais que c’est pas la meilleure période pour vivre avec moi. Et Mickaël supporte ça depuis plus de dix ansCe truc gluant, visqueux, qui me revient à chaque calendrier de l’Avent.
Une des premières choses qu’il m’a dites d’ailleurs quand on préparait notre voyage, c’est :

– Hey, on sera pas là à Noël !

Oui. Ouf. À Noël on sera à yeure.

 

À yeure avant-hier c’était là : une pause déjeuner devant le lac Lanthe, sur la route qui va de Paringa (où on a campé sauvage entre les montagnes, blablabla) à Greymouth le lendemain, où on a campé sauvagement devant la mer de Tasman.

 

Et maintenant qu’on y est, à yeure, en ce mois de décembre où Noël n’existe pas pour moi, à l’abri du froid, des catalogues de jouets sexistes, des étalages pleins des magasins ouverts tous les week-ends et des courses à la surconsommation qui me dépriment au point que j’ai envie de m’enfuir loin loin loin, je ressens différemment mon dégoût de ce qui va autour de Noël. Comme « en creux ».
Parce que je suis déjà enfuie loin loin loin. Et au fond de moi, il y a cette joie pure née du soulagement intense de ne pas y être.
Ce bonheur d’avoir fait le « bon » choix, de la gratitude envers moi-même de m’être délivrée de ce qui est, pour moi, un tel poids.

C’est une joie simple, limpide, semblable à celle que j’ai ressentie en allaitant le Marcass’ quand j’ai réalisé à quel point j’avais détesté donner des biberons avec mes deux premiers.

Ça aussi je le savais avant, bien sûr. Je m’en rendais compte au moment où je les donnais, ces biberons. Je n’ai jamais aimé ça. Jamais jamais. Mais le fait d’échapper à une plaie, un fardeau, surtout quand on se doit à soi-même d’avoir osé un autre choix – qui n’est pas sans risque – procure un soulagement proche de la béatitude. Le bliss.
Ouf. Ouf que j’ai fait autrement. Et merci.

Thank you India
Thank you terror
Thank you disillusionment
Thank you frailty
Thank you consequence
Thank you thank you silence.

Piste audio : Alanis Morissette, Thank you, album « Supposed Former Infatuation Junkie », 1998.

 

Allez, je vous mets une photo de la petite plage dans la petite crique où on s’est baignés hier, juste hier, sous ce ciel d’été. Ça me fait plaisir…

Mais sinon aujourd’hui il pleut et ça fait flop flop dans mes tongs. Comme quoi on n’échappe à rien, pas même à ses fuites (quand on se pose on est mort).

 

La petite crique de Medlands dans le Parc National Abel Tasman, au nord-ouest de l’île du Sud (Nouvelle-Zélande, décembre 2018).

 

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Et vous Noël, ça se passe ?