You are not alone…

Photo : Vous avez rêvé devant nos photos d’éléphants, et maintenant vos enfants vous tannent pour partir au Sri Lanka ? Attendez un peu quand même, je vous montre l’envers du décor…
Two-Face, Harvey Dent, dans The Dark Knight, le deuxième volet de la trilogie de Batman de Christopher Nolan, voyez ?

 

… et je vous épargne la piste audio que j’aurais pu méchamment vous infliger sur le titre de mon article parce que je l’ai tout le temps dans la tête à cause de notre guide qui kiffe l’écouter en boucle dans son auto, alors que c’est vraiment la pire chanson de Michael Jackson ever !!! Encore pire que Heal the world. L’anti-Billie Jean en quelque sorte…

ΞΞΞΞΞ

Les touristes & moi

Épisode 1 : Sri Lanka

 

Regardez bien la photo en tête d’article et dites-vous que c’était hors-saison

Mais les images sont trompeuses, dans un sens comme dans l’autre : en vrai, c’était beaucoup moins pire que ne le laisse imaginer la photo. Parce que la réserve de Minneriya est grande et qu’on n’a vu qu’un endroit où les jeeps étaient amassées comme ça. La plupart du temps, nous étions seuls sur la piste en terre à travers les arbres et ouf, tant mieux si la forêt n’est pas trouée de routes bitumées pour décharger des flots de touristes.
Mais je n’ose imaginer en pleine saison.

Le cul-à-cul des jeeps en double sens. Le stationnement de gros à un mètre des éléphants. Les appareils photo, les téléphones portables, les perches. La pollution diesel, sonore, visuelle, humaine.

Sur la terre comme en mer.

La première fois que nous avons vu une baleine en vrai Mickaël et moi, c’était pendant notre road-trip camping en Gaspésie (Québec, juillet 2007). Sur un petit Zodiac. On était quatre ou cinq pas plus, il caillait sévère, on avait eu le temps de discuter baleines avec le mec qui nous emmenait et qui était passionné par ce qu’il faisait.

Mais là au Sri Lanka c’était pas ça du tout ! Et j’avoue que j’ai du mal avec l’idée du gros bateau. À touristes. Blancs. Chinois, pour la plupart.

 

Et encore. Notre bateau était plus gros, plus haut et plus bondé que celui-là. Mais on voit bien que dans ce type d’excursions, un bateau en cache toujours un autre…

 

Personnellement, je n’ai aucun plaisir à voir un dos de baleine émerger de l’océan en même temps que des dizaines, que dis-je, des centaines d’autres touristes sur d’autres gros bateaux.

À entendre des « hooo » en écho dès que la baleine dresse sa queue. Aucun plaisir.

Surtout quand ces quelques secondes impliquent de me lever à 5h du matin, porter un gilet de sauvetage qui pue, subir le mal de mer pendant quatre à cinq heures, et littéralement brûler mes cuisses au soleil. Call me red thigh.

Quand j’ai eu un peu moins envie de vomir le café immonde servi à 6h en arrivant sur le bateau, je me suis demandé ce que les babi pouvaient en penser. Eux qui sont habitués à voir des baleines en entier et en détail dans les documentaires, est-ce que finalement ce n’est pas ultra décevant de se taper cinq heures de bateau pour guetter un morceau de dos ? De se frayer un chemin entre deux téléphones portables qui ne veulent pas se pousser pour tenter d’apercevoir de leurs yeux une queue ?

 

Voilà. Voilà voilà voilà.

 

Mais non, ils ont aimé quand même. Le bateau. Voir une baleine en vrai. Pas dans un zoo marin mais là, en dessous nous, en même temps que nous.

Le boutoir du Marcass’
Mais est-ce que la baleine pourrait renverser notre bateau ?

Oui, clairement elle pourrait. D’ailleurs, papa Écureuil a trouvé que « c’était franchement limite en termes de sécurité ».
Moi aussi j’imaginais des trucs, je pensais à Gregory Peck dans l’adaptation de Moby Dick au cinéma. Quand partir en mer c’était l’aventure, quand il n’y avait pas de réseau pour se prévenir les uns les autres : eh mec, la baleine est là, ramène tes Chinois !

C’est pas méchant quand je dis ça (ou si ?). Comme on dit parfois quand on arrive dans un resto et qu’on est dépités de ne pas y croiser de locaux : « ah ouais, que des toubabs quoi ! ». Et on s’inclut nous-mêmes dedans. C’est pas méchant. Et puis c’est juste la vérité qu’on a vu en mer un gros bateau avec que des Chinois dedans, et même écrit en chinois sur la coque. 

Bon après, c’est vrai qu’on entend clairement Garance balancer dans la vidéo : « Elle [la baleine] va renverser le bateau de Chinois ! ». Mais c’est parce que le bateau s’approche tellement près pour que les touristes puissent repartir avec la photo qui les fera se sentir importants, et tant pis si c’est dans un total mépris de la vie sauvage…  🙁

La Petite Souris est plus grande et elle nous entend discuter : elle aussi, ça l’a choquée tous ces touristes – surtout quand certains jettent leur mégot de cigarette dans la mer !!!

 

Une vidéo enregistrée sur téléphone portable par un des hommes de bord (qui s’offre un petit selfie à la fin). Papa Écureuil a demandé qu’il nous l’envoie car on entend la Petite Souris et le Grand Lièvre dessus (le Marcass’ était avec moi dans un minuscule coin où on a réussi à arracher une place pour nous deux). Et surtout, on voit les gros bateaux plus que cette pauvre baleine…

 

Mon problème avec les touristes, ça sera pareil dans tous les pays qu’on va traverser, je sais.

À chaque fois qu’on s’approchera d’un site connu, incontournable (paraît-il).
Sinon il faut laisser tomber la Grande Barrière de Corail, Ayers Rock, la Baie d’Along, les temples de Chiang Mai et ceux de Siem Reap, le volcan Bromo, l’ancienne capitale impériale de Kyoto, le mont Fuji et tant d’autres lieux mythiques.

Et franchement pourquoi pas, je me dis ? Pourquoi pas laisser tomber, ne pas y aller, fuir ?

Puisque de toute façon je n’ai pas de plaisir, puisque de toute façon je me sens mal dans ces endroits défigurés par les touristes – peut-être parce que moi-même je suis une touriste et que je participe à cette défiguration ?

Je déteste qu’on se photographie devant un monument, comme a absolument tenu à le faire notre guide dans les temples d’Anuradhapura en nous prenant tous les cinq devant un dagoba. Je voulais supprimer la photo, c’est papa Écureuil qui a dit mais non garde-la (et calme-toi), c’est bon…

 

En plus en contre-jour on voit rien, c’est tout pourri !

 

Mais quand je vois tous ces gens faire les mêmes selfies – genre devant la Fontaine de Trevi à Rome, tu peux même plus t’approcher, tu vois que des p… de perches – ou ceux qui se prennent en photo avec l’index et le majeur en V d’une victoire je me demande bien laquelle, ou encore ceux qui n’en ont rien à battre que ce soit expressément interdit de prendre des photos et qui en prennent quand même – à la Chapelle Sixtine et dans tant d’autres endroits – là c’est vrai que ça me donne des fourmillements jusqu’au bout des doigts, je peux devenir carrément hystérique. J’ai des envies de meurtre, je fulmine, je me fais du mal toute seule !

ET JE SAIS qu’il faut que je me calme parce qu’on n’est qu’au début du voyage et, encore une fois, au Sri Lanka, à part dans cette expédition baleine, on n’a croisé que très peu de touristes…

Qu’est-ce que ça va être après ??
Je vais faire une attaque cardiaque, ou bien Monsieur Tro va encore dire que je suis trop vénère !

Souvent aussi, je m’interpelle : mais t’es qui toi pour porter un tel jugement sur la façon de voyager des gens ? Est-ce que tu t’es regardée ? Est-ce que tu as réfléchi trois minutes à la pollution générée par les avions que tu prends pour réaliser ton rêve de voyage ?

En quoi tu n’es pas, toi aussi, qu’une grosse touriste qui salit les trottoirs où tu marches ?

Est-ce que ce n’est pas une illusion de bobo, tellement occidentale et bien-pensante, limite néo-coloniale, de souhaiter que les pays résistent pour garder leur identité dans ce raz-de-marée de la mondialisation ? Pour que le Mali reste comme tu l’as connu en 2005 ? Mais c’est perdu d’avance ! En 2008 déjà, Bamako n’était plus la même, plantée qu’elle était de pancartes Orange Telecom devant chaque carré. Sans vouloir critiquer Orange. Surtout pas… 😉

 

*****

 

Quelqu’un qui me connaît un peu maintenant m’a envoyé cette citation de Jean Yanne :

« J’ai vu des Bidochons dans le monde entier, à Bali, à Bangkok. Là-bas, ils ont besoin de leurs sous, alors ils les laissent faire les ploucs, mémère monte sur Bouddha, s’assoit entre ses cuisses pendant que le mari prend la photo. Je me demande ce qu’ils diraient si des grosses montaient sur les épaules des christs perchés sur les calvaires bretons. »

 

Qu’en pensez-vous ?
Partagez-vous mon questionnement sur le tourisme de masse ?