Photo : Cet été, dans un des plus chouettes endroits du monde (île de Sifnos, août 2021).
Si vous êtes abonné(e) à ma newsletter, vous savez que le covid s’est récemment invité chez nous. Que Papa Écureuil a repris le travail, la Petite Souris le chemin du collège, mais que les garçons qui sont négatifs au PCR et qui vont bien doivent rester confinés à la maison. Donc avec moi. Jusqu’à la fin du mois. Reprends un rhum, ça va aller.
C’est le moment où je m’aperçois que je n’ai pas publié d’article dans cette joyeuse catégorie de VIVRE qui s’appelle Vis ma vie de maman depuis bientôt six mois… et pourtant je peux t’assurer qu’ils sont bien là ! Tous les trois, ceux qui font de moi une maman, chacun avec sa problématique.
De :
Franchement tout le monde au collège a un portable, je suis LA SEULE à pas en avoir. Toi et papa vous vous rendez pas compte comment je me sens…
À :
Mais maman, JE PEUX PAS mettre mon manteau par-dessus mon kimono parce que la manche de mon kimono elle est trop courte et elle reste coincée dans la manche de mon manteau, je peux pas la tirer et ça m’énêêêêrve, tu comprends ? Ça m’énêêêêrve trop !
En passant par :
Tu dirais que c’est quel dinosaure qui est apparu en premier sur Terre ? Le coelophysis ou l’eoraptor ?… Et si mon blob est mort mais que je mets une boîte sous le radiateur avec dedans un bâton mouillé et un sopalin mouillé pendant un mois, à ton avis est-ce que ça peut faire naître un autre blob ? Si j’oublie pas de l’humidifier, est-ce que il peut vivre ?
(Regarde bien la photo en tête d’article puis relie chaque enfant à la proposition qui lui revient, tu vas voir c’est très facile.)
Ils sont là quoi.
Et il y a UN sujet sur lequel ils tombent systématiquement d’accord tous les trois. Garçons, fille, quel que soit leur âge, depuis toujours. Pas dix, pas cent, UN sujet commun sur lequel râler et se plaindre tous les trois ensemble, et ça c’est précieux dans la vie d’une fratrie / sororie, believe me.
UN sujet pour lequel ils se sont tous les trois réjouis d’être confinés et de ne plus aller à l’école.
Devine.
C’est la Petite Souris (12 ans) qui a relancé les débats un soir du mois dernier en rentrant du collège.
– Maman à la cantine les poires elles sont tellement dures, quand tu croques on dirait une pomme !
– Hein ? Putain mais les poires pas mûres, ça me déprime.
Ma compassion maternelle est poétique et sans limites, comme on voit. J’étais déjà à la dérive, les poires pas mûres m’ont achevée.
Le Marcass’ (8 ans) s’est engouffré dans la brèche.
– Nan mais maman, la cantine c’est le pire endroit du monde ! Même les frites elles sont dégoûtantes ! Tu te rends compte ? Même les frites !
Et puisque mon oreille semblait exceptionnellement réceptive à toutes les récriminations, le Grand Lièvre (10 ans) est monté dans le train lui aussi.
– En plus, tous les midis à la cantine on nous oblige à goûter un yaourt au lait de vache. Tous les midis ! Sinon on peut pas passer et moi ça me donne envie de vomir, après j’ai des hoquets.
– Ouais, c’est trop dég’ ! (renchérit le Marcass’)
« Passer » en langage cantino-scolaire veut dire : tu as montré que tu as avalé le truc que tu détestes mais qu’on te demande d’avaler quand même, donc tu as gagné le droit d’accéder à la suite.
J’ai pété un câble.
Imagine que depuis deux ans, une personne de la cantine oblige tes deux garçons dont le premier a été sévèrement allergique aux protéines de lait quand il était petit et en garde une aversion pour le fromage et tous les laitages, et le deuxième n’a jamais, de sa vie jamais, accepté de boire du lait, même pas au biberon, il n’a jamais bu au biberon et ne mange des yaourts au lait entier à la vanille dans des pots en verre QUE chez mamie tu sais pas pourquoi, imagine que depuis deux ans donc, une personne de la cantine oblige tes deux garçons à ouvrir chacun l’opercule d’un pot de yaourt, à en manger une cuillère, puis à le jeter presque entier à la poubelle.
Dans un monde où l’idée est d’éduquer à moins de gaspillage alimentaire. Garder les yaourts pour les enfants qui les aiment (car tu crois qu’ils ne manquent pas).
En contrepartie, bien vouloir lâcher une pomme, sans emballage, sans déchet, aux enfants qui la réclament et qui en réalité prendraient n’importe quel fruit pourvu qu’on ne les force pas, tous les midis, à avaler une cuillère de yaourt.
Un yaourt au lait de vache dans un pot en plastique, parfois déjà sucré, et parfois pire : un yaourt « aromatisé », à la fraise, à l’ananas ou je ne sais quel autre arôme chimique, qui est quand même l’invention la plus dégueu de l’industrie agro-alimentaire du lait.
Depuis deux ans. Et toi depuis deux ans que tu étais déléguée des parents d’élèves, tu as fermé ta gueule parce que tu ne voulais pas être la mère relou qui tape un scand’ pour ses gosses et qui râle pour tout. Tu ne voulais pas donner une mauvaise image de ta fédération de parents d’élèves ni passer auprès des instits pour : la mère relou. Mais, cette année, tu t’en fous. Plus rien ne te retient, tu-t’en-bats-les-boobs. Tes enfants ne se font pas photographier parce que tu ne veux pas voir leur face imprimée sur ton mug ou ton porte-clés, ils ne se font pas vacciner, ils ne crachent pas leur salive dans un gobelet, et ils ne mangent surtout pas un yaourt à la cantine !
TU ES LA MÈRE RELOU.
Alors un midi avant les vacances de la Toussaint, au retour de ta course ça te prend. Tu te pointes devant la grille de l’école, tu appelles l’aîné de tes garçons dans la cour et tu lui dis : va me chercher D. Cette personne qu’on va appeler D. parce que si c’est S. comme son vrai prénom ça va me faire vriller. Mais l’enfant n’ose pas. Tu es tellement gonflée à bloc que ça lui fait peur, tu dois demander à une petite fille adorable de sa classe : va me chercher D. Remontée comme un coucou tu es. Prête à en découdre. Et ça s’est tellement vu que tu n’as même pas eu besoin. Tu étais presque déçue.
– Oui madame, vous savez, on demande aux enfants de goûter les plats parce qu’ils ne peuvent pas savoir s’ils aiment ou pas avant d’avoir goûté.
– Je comprends bien, je leur demande la même chose chez moi, on goûte d’abord. Mais là on parle d’un yaourt… Tous les jours vous les obligez à regoûter le même yaourt que la veille ?
Alors que bon, un putain de yaourt au lait de vache industriel c’est un putain de yaourt au lait de vache industriel ! Je veux dire, c’est comme les petites habitudes de la personne avec qui tu vis depuis quinze ans : le jour où quelque chose change, t’inquiète que tu vas le sentir !
Mais tu ne dis pas ça. Le bon sens tout seul, des fois ça suffit pas. Alors tu t’en tiens à ce que tes garçons t’ont raconté et tu soulignes le gaspillage.
– Donc les enfants ouvrent le yaourt, ils mangent une cuillère devant vous pour preuve, et ensuite vous le jetez ? Vous jetez des pots qui sont pleins et que vous auriez pu garder pour le lendemain s’ils n’avaient pas été ouverts ?
Elle répète que c’est pour goûter, que les enfants doivent regoûter parce qu’ils ne savent pas vraiment ce qu’ils aiment. Goûter, goûter, regoûter. Tu la coupes net, tu lui dis qu’à partir de maintenant ce que tu veux toi, c’est qu’elle ne force plus jamais tes garçons à manger un yaourt. Tu te fous qu’ils n’aient pas de dessert. Tu veux qu’elle les laisse tranquille. Et elle te répond :
– Mais oui d’accord, je ne savais pas, il fallait simplement nous le dire…
Tu retiens à grand-peine derrière ta langue les Tu te fous de ma gueule ? Ça fait DEUX ANS que mon enfant te le dit tous les jours ! Tous les putain de jours, il te dit qu’il mange pas de yaourt, pas de fromage, pas de lait, ma parole mais t’es bouchée ou quoi ?
À la place tu remarques sobrement :
– Il me semble que Lucien vous l’a dit plus d’une fois.
– Oui mais vous savez, les enfants…
– Ah non je ne sais pas. Dites-moi.
– Bah vous savez, les enfants, si on commence à les écouter…
– C’est vrai que si on commence à les écouter, on risquerait de les entendre.
🤬🤬🤬☠️ Je l’ai pas insultée. Mais ça m’a énervée, je te jure, je tremblais tellement j’étais énervée. C’est vrai que certains gens si tu commences à les écouter, t’as envie de les frapper.
Après j’ai pris sur moi pour me calmer. Relativiser l’histoire du yaourt et le gaspillage inutile. Parce que même si j’entends bien que la cantine c’est le pire endroit du monde, je préfère quand même ça que de récupérer mes trois enfants à déjeuner le midi comme je l’ai fait pendant toutes les périodes de semi-confinement, reconfinement sauf école, déconfinement.
Il y a quand tu pètes un câble parce que trop c’est trop, et il y a le temps de cantine que tu bénis parce qu’il te permet d’avoir une journée 8h30-16h30 sans enfants. #ChoisisTonCombat. #SauveTaVie. Pas comme jusqu’à la fin du mois confiné où tu couines ta mère.
Quand j’en suis là, précisément au niveau de #ChoisisTonCombat #SauveTaVie, je ferme les yeux sur la qualité et la variété des repas que les enfants prennent à la cantine. Je me rassure en me disant qu’ils rattrapent le soir. Pourtant, avant d’inscrire mes enfants à la cantine, je pensais qu’une diététicienne était censée veiller à l’équilibre nutritionnel des menus scolaires. Hahaha. D’année en année, j’ai déchanté. Quand c’est trop abusé, c’est même la première chose que me raconte la Petite Souris quand elle rentre du collège :
– Maman, en entrée il y avait une salade de pommes de terre mayonnaise, après on a eu du poisson pané que j’ai pas mangé parce que c’est trop dég’, avec des frites, et en dessert une glace ! Tu te rends compte ? Bon la glace c’était un Mars glacé et c’était grave bon, j’ai trop aimé, mais j’ai pas eu de fruit et pas de crudité de la journée alors je crois que je devrais juste prendre une pomme au goûter.
True story. J’ai rien à rectifier. La pomme c’est la base.
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Et vous, vos enfants à la cantine, ça se passe ? Ou ça passe pas ?