Photo : L’umeshu est ma joie de juillet (et la bouteille est vide) (21 juillet 2025).
Juillet chez moi est synonyme de sans enfants. J’adore juillet, comme vous savez.
Mais ce mois de juillet 2025 n’a pas été aussi libre et joyeux que je l’avais souhaité. C’est à cause de la maison d’Eddy de Pretto qui a tourné en boucle dans ma tête. Surtout que j’en cherche une, de maison. On en cherche une. Et ça devient un tout petit peu un sujet, rapport à ce que la nôtre est vendue déjà… Tous les deux jours on visite un coin qu’on ne connaît pas, c’est comme ça qu’on a découvert le petit caviste qui vend de l’umeshu.
Umeshu, ça veut dire alcool de prune. C’est bon.
En juillet on n’a toujours pas trouvé de maison où habiter mais on a dézingué la bouteille d’umeshu.
C’est pas tant la recherche de maison qui me stresse que les gens qui me demandent : et alors ? où vous en êtes de votre recherche de maison ? vous avez trouvé ?
Ah laisse-moi tranquille ! Mes enfants sont partis en camping avec leur cousin et leur cousine, j’ai mes journées devant moi, je pourrais me mettre bien et tu viens me parler immobilier ?? Tu sais pas que j’ai horreur de ça ? Que la part vivante de moi s’enfuit dès qu’elle entend les mots loi carrez, beau potentiel, insert, poêle à bois, charme de l’ancien, proche commodités…
(Doriane, si tu me lis, c’est pas toi, c’est les autres agents immobilier !!!)

Pardon mais, c’est quoi les « commodités » ? Les toilettes ?
Ah non pour toilettes, en langage immobilier on dit espace WC. J’ai même entendu espace coucouning, j’te jure sur ma vie (mais c’était pas pour les toilettes). « Coucouning » ? Euh… attends… coucouning comme… comme quoi en fait ? Comme coucou les copains ?
Ah là là ça m’énerve tellement ! Et le pire qui revient à chaque fois c’est : suite parentale, dressing… Ah là déjà je suis en train de bouillir parce que jamais de la vie tu m’entendras dire « dressing » (à part, éventuellement, dans un resto londonien pour demander une sauce peanut).
Mais pourquoi tu dis pas simplement : ben là y’a une chambre, là un placard, une penderie, ici des toilettes…
Hein, pourquoi ? Nan mais vas-y, explique-moi ! Pourquoi une suite parentale ? C’est le Ritz ici ? Dans la suite parentale, on te sert le bar snacké et sa farandole de légumes oubliés ?
Et ils font quoi exactement tes petits légumes ? Ils se donnent la main pour sortir de la malle du grenier où ils ont été abandonnés et ils viennent danser dans ton assiette ?
Putain ! Les menus ou les cartes postales où c’est marqué « sa » ou « son » en rapport d’appartenance à une chose inanimée, ça aussi ça m’énerve mais ça m’énêêêrve !
Étretat et ses fameuses falaises sculptées par le vent (véridique).
Tiens, au mois de juillet aussi, j’ai visité Senlis et ses rues tortueuses, son parc du Château-Royal idéal pour un pique-nique champêtre et sa mairie tranquille pour faire pipi.

Bon enfin je sais pas pourquoi je me re-énerve. Le fait est que j’ai eu, ce mois-ci, la tête trop chargée d’inquiétudes et de projections d’origines diverses (part non négligeable liée aux comportements à risque des ados), avec un sentiment diffus d’insécurité et finalement d’anxiété généralisée.
Je pensais qu’après la publication de Mon maillot de bain & moi, je me serais allégée d’un gros morceau et que je dormirais mieux, mais non. Car après l’anxiété anticipatoire vient l’anxiété rétrospective. Qu’est-ce que j’ai écrit, j’en ai trop dit, pourquoi j’ai fait ça, j’aurais pas dû, blablabla.
Courbatures de vulnérabilité.
À présent je suis sur le point de partir en vacances et de me déconnecter. Je vous invite vous aussi à ralentir. Prendre votre temps. Couper vos réseaux sociaux. Faire des mots fléchés comme mon pote Arnaud qui m’envoie une photo de sa grille de juillet pour dire : je pense à toi, j’ai hâte que tu arrives, quand on se verra je dirai exprès dressing et suite parentalepour le plaisir de t’entendre t’énerver !
(Mais pourquoi Arnaud, dis, pourquoi tu ferais ça ??)

La chanson
→ Eddy de Pretto, Maison, album « Crash Cœur », 2023
J’ai écouté cette chanson TOUT LE MOIS DE JUILLET.
Eddy de Pretto, ça me fait le même effet que Diam’s il y a vingt ans ; à chaque fois que j’entends un nouveau texte, je me dis : que t’aimes ou t’aimes pas sa voix, la musique, les arrangements, la mélodie tout ça, le mec (la meuf pour Diam’s) sait écrire. Tu peux pas dire le contraire.
Il y a un peu plus de trois ans, quand j’ai découvert la chanson Tout vivre, de l’album « À tous les bâtards » d’Eddy de Pretto (sorti fin 2021), elle m’a tellement fracassée que j’en avais fait un article, Tout vivre.
Je vous préviens, le mec a écrit son Demain c’est loin !
Pour celles et ceux qui n’ont pas la réf’ parce que plus vieux plus vieilles que moi, ou plus jeunes, ou qui ont vécu la fin des années 90 séquestré·es dans une cave loin du micro d’argent, ça voulait dire : avec cette chanson t’as tout dit Eddy. T’as seulement vingt ans mais t’as tout dit, et même si t’écris plus rien après ça, tu peux dormir tranquille. On t’oubliera pas. Moi je t’oublierai pas.
Depuis trois ans, je n’ai pas oublié mais je n’ai pas trop écouté Eddy de Pretto non plus. Je ne connaissais pas son dernier album, « Crash Cœur », avant d’entendre cette chanson au début du mois. Le mec sait écrire. Elle ne m’a plus quittée.
Maison, c’est la plus belle chanson de chagrin d’amour que j’ai entendue depuis très longtemps.
Eddy de Pretto, Maison, album « Crash Cœur », 2023.
Le film
→ A Normal Family, de Hur Jin-ho, 2025
J’ai été prise par ce film. Vraiment. Je ne vous en dis pas plusse, allez le voir.
(Indice quand même : si vous avez vu la série Adolescence sur Netflix, ça fera écho.)
Sinon les gars, on en parle de la place de cinéma à 17,80 € ?
Alors que la semaine suivante, je suis allée voir Eddington, d’Ari Aster, au petit cinéma de quartier art et essai où je vais d’habitude, dans une ville de banlieue proche de la mienne, qui programme les films que j’aime. Les gauchos qui s’occupent du cinéma sont sympas, il y a un petit bar où on peut boire un verre de vin pas terrible avant ou après la séance, et la place de cinéma est à 5,50 €.
J’achète un carnet de dix tickets en papier, à l’ancienne, comme à la tombola de l’école, et ce carnet est sans limitation de durée et non nominatif – donc si t’y vas à cinq, chacun·e prend un ticket et t’en as pour dix balles de moins qu’à deux dans un multiplexe Pathé (ou bien avec les dix balles, tu paies deux verres du vin pas terrible).

J’adore mon cinéma de quartier – même si j’ai beaucoup moins aimé Eddington que j’ai vu là-bas, que A Normal Familyque j’ai vu au multiplexe Pathé que j’ai détesté (le multiplexe). Et pourtant dans Eddington, y’avait Pedro Pascal 🤩 ! Et Joaquin Phoenix qui joue très très bien.
Je veux pas passer pour une snob, mais c’est vrai que je déteste les multiplexes autant que je déteste les zones commerciales. D’ailleurs le multiplexe cinéma EST une zone commerciale. Vous saviez que, dans ces endroits, il faut réserver sa place de cinéma maintenant, comme au théâtre ou pour un concert ?
Je déteste tout là-dedans : le popcorn dans le hall, les lumières criardes et les écrans plats partout, les bornes automatiques, le paiement par téléphone, et carrément y’a des escalators à l’intérieur du cinéma tellement les salles sont nombreuses !
Et le pire, c’est que les multiplexes programment aussi les petits films en V.O. (voire en noir et blanc s’ils se présentent). C’est pire parce que, ce faisant, ils touchent un public qui pour moi n’a rien à voir avec eux. Ça me fait le même effet que lorsqu’une grande chaîne d’hypermarchés se met à distribuer un petit producteur local ou à s’emparer de la vague du bio : ça ne colle pas.
Recherche du profit et hypocrisie sans limite.
Donc en y allant moi, même une seule fois, même pour une excellente raison (la perspective, après le film coréen, de poursuivre avec un petit resto de quartier tout aussi coréen à deux pas du cinéma), je me dis que je participe au fait que les multiplexes d’aujourd’hui menacent la survie des cinémas indépendants.

La série
→ Nope !
J’ai fait une pause de séries ce mois-ci. Il faut bien commencer la détox quelque part, n’est-ce pas…
Le podcast
→ Podcast Encore heureux, saison 3, épisode 15
Pourquoi les femmes ont-elles si faim ?, avec Lauren Malka
https://www.youtube.com/watch?v=k1G76C2MuK8
C’est un épisode captivant, avec Lauren Malka pour son livre Mangeuses – Histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès (éd. Les Pérégrines, 2023) dont je vous parlais il y a dix jours dans mon article Mon maillot de bain & moi.
En s’appuyant sur de nombreuses références historiques, Lauren Malka explique comment les injonctions alimentaires et corporelles s’imposent aux femmes, et pourquoi leur corps est depuis des siècles l’objet de normes, de règles et d’interdits – notamment autour de la nourriture.
Tout s’éclaire dans notre histoire familiale et on comprend bien pourquoi, lorsqu’on était enfant, nos grands-mères ou nos arrière-grands-mères picoraient à table comme des moineaux avec les invité·es (et parfois même pas), tandis que leur vrai repas se faisait dans la cuisine, quand elles étaient seules à préparer les gamelles.
Enfin je dis ça, je pense à la grand-mère maternelle de mon mari, pas à ma grand-mère à moi. Il fallait voir ma grand-mère, avec quel appétit elle dévorait son « bifteck » comme elle disait (et je supportais pas de l’entendre le dire), ou les pattes de poulet qu’elle gardait dans son frigo et qu’elle rongeait jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien, comme dans le film Cría Cuervos, de Carlos Saura.
Mais c’est vrai qu’elle était spéciale, ma grand-mère… Avec son whisky-Coca devant Santa Barbara et sa passion des grosses cylindrées. Quand j’y pense maintenant, c’était une rebelle !

Ce que j’ai trouvé le plus exaltant dans l’épisode de ce podcast, c’est apprendre d’où vient, historiquement, l’obsession du contrôle de l’appétit des femmes. Ce contrôle sur nous-même qu’on croit si intime, comprendre qu’il est éminemment politique.
Découvrir qu’il a d’abord été imposé par les hommes, pour asseoir leur pouvoir, puis qu’il nous est transmis aujourd’hui de mère (ou tante ou sœur) en fille, même inconsciemment, et que nous aussi, si on ne fait pas le travail de le déconstruire, on va le transmettre.
C’est la crainte que j’évoquais déjà dans mon article Mon maillot de bain & moi.
La part de la transmission familiale ET sociétale dans le lien de confiance ou de méfiance qu’on entretient avec son appétit est énorme. Lauren Malka montre que les processus d’identification genrée et les logiques de transmission qui en découlent sont présents dès l’âge de trois ans. Voire même plus tôt, car des études rapportent qu’on a tendance à laisser le bébé au sein ou au biberon plus longtemps dès lors que c’est un garçon.
Pour devenir un homme, il faut apprendre à apprécier les saveurs fortes (café, moutarde, bière…).
Pour devenir une femme, il faut apprendre à se frustrer.
Ce qu’on fait, concrètement, c’est qu’on apprend aux femmes, depuis toutes petites, à avoir peur de leur(s) appétit(s). Appétit de découvrir, appétit de savoir, appétit de vivre, appétit sexuel bien sûr. Regarde Ève, regarde Pandore, vois où les a menées leur curiosité insatiable, leur désir dévorant. Égoïstes ! Dévergondées ! Hystériques ! Écervelées !
Si seulement elles avaient su rester à leur place comme des jeunes filles bien rangées, le monde ne courrait pas à sa perte !
On transmet aux femmes la croyance que céder à son appétit, c’est faire sauter tous les barreaux de la cage – et ça c’est le Mal.

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Et vous, que vous a apporté juillet ?