Photo : Mes livres de juillet 2025.
Lecteurs, lectrices, cet article est volontairement court (encore que, je n’ai pas réussi aussi court que je le souhaitais) car j’ai tout donné pour le précédent !
Si vous avez encore faim, lisez Mon maillot de bain & moi.
Le livre
→ Rim Battal, Je me regarderai dans les yeux, éd. Bayard, 2025
Il s’agit d’un récit autobiographique de Rim Battal, poétesse et performeuse franco-marocaine, dont j’ai trouvé les références dans les pages de La Déferlante, cette revue féministe, indépendante et très engagée, dont je vous ai déjà parlé.
Le livre retrace un épisode traumatique vécu par Rim Battal quand elle était ado au Maroc autour de ce que j’appellerais « la vérification de sa virginité » par sa mère. Époque contemporaine, récit à la première personne, format court, publié dans une maison d’édition jeunesse… je vous le conseille pour vos ados.
C’est d’ailleurs ce que j’ai fait chez moi, mais il semblerait que mes ados ne veuillent plus lire – encore moins les textes militants chargés de sens sur la vie que je veux absolument leur mettre entre les mains. En conséquence de quoi, ben, je l’ai lu moi-même. Et pas mes enfants après moi.
Ça me rend dingo, cette sacralisation de la virginité des femmes, dans TOUTES les religions ET dans la société athée hétéro-patriarcale !
L’histoire des 72 vierges (jeunes) (belles) (minces) qui t’attendent au paradis quand tu es un martyr de la cause islamique. Non mais c’est quoi le problème des gars sans déconner ??
Dans quoi tient leur fierté d’être « le premier » ?
(Dans l’emballage de leur dernier Kinder Bueno. Parce que : c’est à eux.)

À quel moment avoir un rapport sexuel avec quelqu’un·e fait que hou là là tu n’es plus pure ? Tu es tombée, comme cette grosse pute d’Ève avant toi, dans le péché originel.
Quand tu es une femme, je veux dire. Parce que si t’es un mec, ah t’inquiète, pas de problème. Le concept de pureté ne s’applique pas à la bite. Tu peux vivre ta vie comme tu l’entends et jouir de ton corps autant que ça te chante, mon gars. Tout le monde s’en fout de ta virginité !
Ça me rappelle l’histoire hallucinante que mon mari m’a racontée, de cette Britannique de 22 ans qui a vendu sa virginité une fortune aux enchères en décembre 2023.
1,9 € million.
Mais quelle bonne idée ! Pourquoi n’y ai-je donc pas pensé ? (alors que maintenant c’est trop tard et à tout jamais).
1,9 € million après qu’un médecin a « certifié » symboliquement la virginité de cette jeune femme sur demande de l’acheteur. Et, vous demandez-vous comme moi, qu’a-t-il donc vu au fond de son vagin, ce médecin, pour certifier le pouce levé : tout est bon les frérots, vous pouvez y aller !
« Un opercule intact comme sur un pot de Nutella neuf ? »
« Poulet certifié rôti ». Ça me vénère à chaque fois que je vois ça sur des poulets en supermarché. Heureusement que je n’y vais presque jamais. Ça veut dire quoi « certifié rôti » ? D’où t’as besoin de « certifier » qu’un poulet a été rôti ? Et surtout, QUI est en mesure de certifier rôti ?
Ça m’énerve putain.

Pour en revenir à la virginité adjugée à 1,9 € million (et « certifiée », attention), j’en crève que l’idée ne m’ait pas traversée. Puisqu’apparemment il y a des crétins prêts à payer pour ça et puisque, pour la plupart d’entre nous, le premier rapport sexuel est tout pourri (quand encore il n’est pas un viol), autant qu’il te permette de te payer des études (puis celles de tes enfants) ou le permis de conduire (puis celui de chacun de tes enfants).
Par exemple en ce moment je cherche un logement plus grand, parce que sinon mes garçons de 12 et 14 ans qui dorment en lits superposés dans une chambre passante vont finir par s’entretuer. Bah imagine la magnifique maison que je pourrais acheter aujourd’hui si, il y a trente ans, je m’étais montrée un peu plus futée !
Comme l’a dit mon mari avec ce bon sens que j’aime tant chez lui :
– Attends, moi si j’avais 1,9 € million à dépenser pour coucher avec une meuf, je me risquerais pas avec une vierge qui n’y connaît rien… Je choisirais plutôt une super professionnelle du sexe, qui a énormément pratiqué, et avec qui je suis assuré de passer un moment mémorable !
J’ai tellement rigolé 🤣
* Attention hein *
Le livre de Rim Battal n’encourage pas du tout à vendre sa virginité au plus offrant ! Mes propos – qui choqueraient de ouf ma fille de 16 ans – n’engagent que moi et sont probablement liés à mon histoire personnelle où perdre sa virginité était un fardeau dont il fallait se débarrasser au plus vite (et je sais que je suis loin d’être la seule). J’ai lu un grand nombre de bédés autobiographiques de femmes de ma génération qui racontent la même expérience.

La bulle de vérité
→ Liv Strömquist, La pythie vous parle, éd. Rackam, 2024
Les illustrations qui suivent sont extraites de la bédé et photographiées par moi (toujours en me faisant bien chier toujours parce qu’il n’y a pas de pagination).
… et la vérité sort de la bouche des enfants de la pythie !
Le mois dernier, je vous ai parlé avec enthousiasme de la bande dessinée Les sentiments du prince Charles, de la même autrice, Liv Strömquist, publiée aussi chez Rackam (qui a visiblement une dent contre la pagination 🤬).
La pythie vous parle est du même niveau de richesse. Surtout le dernier chapitre intitulé « Sortez ! » : à chaque page je me disais, mais oui ! mais oui, c’est exactement ça !
Je ne vais pas vous le détailler parce que je me suis promis de faire court mais : lisez-le.
« Je me lève à 4h et démarre ma journée par une séance d’affirmations positives qui ne sont que des constats positifs faits à moi-même, comme « ton blog est important ».
(🤣)
Où vous comprenez très bien, avec ces deux planches, que l’autrice pose un regard sarcastique bien soigné sur l’obsession contemporaine occidentale pour le développement personnel…
C’est drôle parce que, en même temps que je lisais La pythie vous parle, je relisais les deux recueils de poèmes de Rupi Kaur, lait et miel, et le soleil et ses fleurs (sans capitales) que j’ai découverts en 2022 et que j’ai aimés. Ce sont de très courts poèmes qui s’apparentent parfois à des mantras de type « ta colère veut te dire quelque chose, écoute-là », ou encore : « personne ne pourra jamais t’aimer aussi bien que tu as besoin de t’aimer toi ».
Ouais. Ta mère.
Pardon mais des fois moi aussi ça me saoule ! Des fois j’ai pas envie d’écouter ma putain de colère, et encore moins envie de m’aimer ou de me regarder en face. Des fois j’ai juste envie de poser mon cerveau sur mon bureau avec ma clique de courage et ma claque de responsabilité, les laisser en plan tous les trois, et boire un verre de rhum cul sec avec ma cigarette avant d’aller danser toute la nuit.

Néanmoins.
Néant moins.
Nez en moins.
Néanmoins, le coaching en développement personnel m’a aidée à sortir de mes vieilles ornières et continue de m’aider aujourd’hui à déconstruire ce qui a besoin de l’être, comme par exemple l’injonction à la minceur qui me fait tant de mal. Je vous en reparle ?
Euh non… pas là non… si ça vous intéresse, go to → Mon maillot de bain & moi.
Je crois que le développement personnel apporte des outils irremplaçables pour se sentir bien.
MAIS.
Je crois, avec l’autrice, que c’est quand même notre société néolibérale contemporaine qui est complètement fucked up. Et que, dans ce contexte, le développement personnel revient à encourager les efforts pour essayer de se sentir bien dans une société qui dysfonctionne. Où les deux principales injonctions sont : « sois beau / belle » et « sois heureux·se ».
Genre partout, tout le temps, quoi qu’il arrive. Sinon, c’est que tu le veux pas vraiment. Donc c’est un peu de ta faute. Si t’es pas mince. Si t’as pas une super maison feng shui bien rangée. Si tes enfants ont des problèmes à l’école. Si t’as un poste de merde. Si t’es malade.
C’est un peu de ta faute.
J’ai dit que je ne vous le détaillerais pas mais quand même, le dernier chapitre autour de l’individualisation croissante et l’accélération du rythme est saisissant.
À travers des exemples concrets, Liv Strömquist montre que ces deux éléments-là en particulier, l’individualisation et l’accélération du rythme – qui sont constitutifs du monde moderne dans lequel on vit – ne peuvent pas faire autrement que de nous rendre malheureux·se, puisque la pression de la performance s’infiltre jusque dans notre être.
Ça veut dire quoi ?
Ça veut dire que pour être validé·e par la société, pour y trouver une place qui soit reconnue et valorisée (donc pas la place de : t’es vraiment une grosse merde), alors tout, et quand je dis tout c’est vraiment TOUT, devient une tâche à optimiser.
L’apparence de notre corps, notre sexualité, nos relations avec les autres, nos loisirs, ce qu’on mange, tout cela doit être travaillé sans relâche pour devenir meilleur (et instagrammable).
Optimiser, devenir meilleur = s’approcher le plusse possible des diktats dominants.
« Le problème, quand tout ce qui, jadis, relevait simplement de « la vie » se met à relever de « la performance », c’est que TOUT devient matière à réussir ou à échouer. »
Qu’est-ce qui relève de la responsabilité du système et qu’est-ce que je peux faire moi, maintenant, à partir de ce qui m’est arrivé ?
C’est le genre de questions dont je discute beaucoup en ce moment avec mon mari (qui a lu la bédé et qui a adoré, je le précise pour celles et ceux d’entre vous qui apprécient d’avoir son avis depuis qu’il les a éclairé·es sur l’opportunité de coucher avec une experte du sexe plutôt qu’avec une vierge qui n’y connaît que dalle).
Je me force à m’arrêter là pour cet article mais je compte bien échanger et en débattre avec des ami·es cet été.
« On peut être quasiment sûr que plus une personne cumule réussite, richesse et chance, plus haute sera la position qu’elle occupera dans son entreprise ou en société, plus elle voudra croire et répandre une idéologie où le succès, l’argent et la chance ne sont qu’affaire de mental, d’effort, et moins elle voudra entendre parler de l’existence même des aléas absurdes de la vie ou des cascades d’événements grossiers indépendants de sa volonté individuelle. »
Vous aussi, lisez la bédé et revenez me dire ce que vous en avez pensé dans les commentaires. Sur Substack aussi c’est possible, même si l’article n’y est pas publié dans son intégralité.
Juste un dernier truc – Mickaël (c’est mon mari), ça le fait péter les plombs quand il m’entend dire ça en fin de soirée au moment de partir et qu’il sait que ça va prendre encore 25 minutes avant qu’on claque la porte. Juste un dernier truc à propos de « la meilleure version de soi-même » et de l’injonction très forte à « sortir de sa zone de confort ».
Liv Strömquist n’évoque pas directement dans la bédé le sujet de « la zone de confort ». Mais à mon avis c’est parce que son éditrice a limité le nombre de pages ça pourrait tout à fait : je suppose que l’injonction permanente à « sortir de sa zone de confort » doit la faire vriller !
Comme si les secousses de la vie n’étaient pas assez pénibles, qu’il faille en plusse s’ajouter de la difficulté. Et c’est vrai, après tout, pourquoi ? Pourquoi devrait-on absolument chercher à repousser ses limites et à se mettre volontairement dans l’inconfort ?
Je vous dis ça alors que, « sortir de sa zone de confort », c’est quelque chose que je demande souvent à mes enfants par exemple, et que je fais moi-même beaucoup je crois. Parce que c’est important pour moi. Pour me connaître, pour sentir mon courage quand je ne le laisse pas en plan sur mon bureau avec mon cerveau et ma responsabilité.
Vous allez me dire : ouais enfin y’a zone de confort et zone de confort t’as vu !
Bah oui. Bien sûr. Je vois. On n’est pas tous égaux et égales. On ne vit pas tous et toutes les mêmes difficultés de situations. Et ce qu’il m’apparaît, justement, c’est la nécessité de questionner ce truc de « sortir de sa zone de confort » avant que ça ne devienne une obligation morale supplémentaire.
(Sinon t’es qu’une merde, et rappelle-toi que si t’es une merde, c’est un peu de ta faute.)
Je pense que c’est vraiment intéressant de le questionner de soi à soi pour trouver ses propres réponses : est-ce que j’ai envie de sortir de ma zone de confort ?
Pourquoi ?
Qu’est-ce que je risque si je le fais ?
Et si je ne le fais pas, comment je me vois ? Qu’est-ce que ça dit de moi ?
Pour démarrer avec quelques pistes, je vous propose un épisode de podcast qui m’a été envoyé par mon amie Marie. (Qui me connaît bien. Genre bien bien bien.)
Où tu comprends pourquoi, entre manger une assiette de coquillettes ou un insecte, je vais toujours choisir l’insecte. Et non, c’est PAS parce que l’insecte c’est de la protéine alors que les pâtes c’est des glucides. Ou pas que.
Podcast « Émotions », du 4 novembre 2024 : Faut-il vraiment sortir de sa zone de confort ?
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Et vous, qu’avez-vous lu en juillet ?