Photo prise par mon neveu Noa Zagiel (22 octobre 2024).
Après l’article très long qui retrace notre itinéraire dans le nord du Japon, je vous propose un intermède capillaire – le temps que je mette de l’ordre dans la suite de mes carnets japonais.
Ne vous inquiétez pas si vous débarquez depuis peu sur le blog et que vous avez raté l’épisode 1, puis l’épisode 2, de mes histoires de cheveux. Vous n’êtes pas obligé·e de tout suivre pour suivre, c’est comme les séries des années 80.
Donc donc donc. Reprenons.
Été 2021 : la (fausse) dernière fois
Depuis notre retour de voyage d’un an en Asie Pacifique, je me suis souvent re-rasé le crâne. La dernière fois, c’était au début de l’été 2021. C’était vraiment dur pour moi à ce moment-là. Mon moral, mon énergie, mon corps, j’avais besoin d’éliminer ce qui n’était pas nécessaire pour essayer de me retrouver au plus près de qui j’étais.
Deux mois plus tard, un soir où Mickaël râlait que bon, ça va quoi, est-ce que je dois vraiment me raser le crâne dès que j’en ai marre, dès que je perds pied parce que la vie n’est pas comme je veux ? Non parce que lui il aime pas, il me f’rait dire, quand je suis rasée il trouve ça moche…
Et j’ai dit d’accord. Devant des ami·es témoins, j’ai dit :
– D’accord ! Puisque c’est comme ça, je vais plus JAMAIS me raser ! Je vais faire des dreads, voilà, et je vais plus JAMAIS me couper les cheveux, je vais les laisser pousser tout en bas de mes pieds jusqu’à je meure !
Il se peut que je sois un peu « dans l’excès, frérot », comme dit la Petite Souris qui a 15 ans. Devine. Histoire de ma laÿfe.
Mais ce qui fut dit fut fait. Pendant deux ans et demi, je laissai mes cheveux pousser librement. Au début ça allait, tant qu’ils étaient courts, puis Marie-Françoise s’invita dans mon miroir. Pardon Marie-Françoise – si tu t’appelles Marie-Françoise ou ta sœur ou ta mère – j’ai rien contre Marie-Françoise en elle-même, mais mes cheveux qui me donnaient le visage de Marie-Françoise alors que ce n’est pas moi, je les détestais. Imagine le matin tu te lèves, t’es pas bien réveillé·e, tu prends ta brosse à dents, tu mets du dentifrice dessus, et quand tu lèves les yeux vers le miroir au-dessus du lavabo, hou c’est Marie-Françoise. Là, chez toi, dans ta salle de bain, c’est Marie-Françoise. Putain l’angoisse. Pareil plus tard quand tu te laves les mains, ou quand tu vas courir et que tu croises ton reflet dans les vitrines de la rue : la meuf a mis ton legging et tes baskets. Elle prend tes fringues, elle couche avec ton mec, elle vit chez toi. Les mois passent et Marie-Françoise ne s’en va pas, tous les jours tu vois sa gueule à la place de la tienne et tu finis par comprendre que la meuf habite dans toi. Y’a de quoi devenir dingue, je te jure. Maintes fois l’envie me prit d’attraper ses cheveux à pleines mains et de tout couper aux ciseaux là-dedans, à la sauvage, jusqu’à sentir enfin le frôlement du dernier sabot de la tondeuse sur mon crâne nu.
Mais je tins bon.
Printemps 2024 : la fin de Marie-Françoise
Je tins bon jusqu’au début du printemps 2024 où la cohabitation quotidienne avec Marie-Françoise dans mon miroir devint de plus en plus schizophrénique et dangereuse pour mon moi. Je me résolus alors à sauver ma peau et appelai une coiffeuse afro pour mon projet de dreads (je n’oublie jamais une idée que je n’ai pas menée à terme). Elle me prévint qu’elle n’avait encore jamais réalisé de locks sur une tête caucasienne mais qu’elle allait acheter une machine pour aller plus vite et que je devrais venir à son domicile. Ces précisions étant données, elle me proposa un bon prix. J’acceptai. (Ne faites JAMAIS ça.)
Fin mars 2024, deux jours avant mon anniversaire, j’eus donc des dreadlocks. Mal quadrillées, trop grosses pour ma tête, cassées à la racine par la machine, mais de cela je ne m’aperçus pas, tout à la joie que j’étais de m’être retrouvée. Partout je scrutais les miroirs que je croisais et partout : Marie-Françoise avait disparu. Enfin.
Quel soulagement de sentir de nouveau s’accorder l’intérieur et l’extérieur de moi !
La disparition de feu Marie-Françoise coïncida avec le moment de l’adoption, par l’Assemblée nationale, d’un projet de loi qui sanctionne la discrimination capillaire en milieu professionnel. Une loi similaire à celle votée en 2020 par l’État californien aux États-Unis, qui autorise donc, sur le papier, le port de la coupe afro, des dreadlocks ou des différents types de tresses africaines à l’école et sur le lieu de travail.
Bien sûr il y a déjà, en France, une loi censée sanctionner la discrimination fondée sur l’apparence physique. Les cheveux faisant partie de l’apparence physique, on se dit qu’on ne devrait pas avoir besoin d’un article particulier à la coiffure. Et cependant, dans les faits, on sait bien qu’il y a discrimination raciale, cheveux locksés ou pas.
J’estime qu’il n’y a pas lieu de faire de l’ironie sur ce projet de loi. Il me semble qu’on devrait demander aux personnes discriminées ce qu’elles en pensent, et, si on doit préciser article par article dans un texte tout ce qui fait discrimination pour faire bouger les a priori et lutter contre la reproduction des modèles de domination, alors faisons-le.
Fin mars 2024, le député guadeloupéen Olivier Serva (LIOT) présente le projet de loi sur la discrimination capillaire. (Après, le traitement de l’information par M6 est bien pourri).
Toujours au même moment – synchronicité incroyable – avec mes dreads nouvelles de deux jours, je tombe sur une série du podcast LSD (La Série Documentaire) qui s’appelle « Les cheveux en quatre ».
En quatre épisodes d’une heure, Clawdia Prolongeau explore la relation que nous entretenons avec nos cheveux qui sont « un outil intime, politique, esthétique et identitaire ».
J’ai particulièrement aimé l’épisode 2, « Cheveux en batailles », que j’ai écouté le jour même de sa sortie (mardi 26 mars 2024) pendant mon tout premier running avec mes dreads.
Batailles avec un s – ou comment les cheveux ont été utilisés pour dominer les masses et comment ils ont, aussi, accompagné des luttes militantes. Parce que, s’il y a, dans chaque société (et évidemment dans la nôtre), des normes capillaires établies qui ne sont jamais purement esthétiques mais reflètent toujours un modèle de domination sociale et sexiste, que se passe-t-il quand on sort de ces normes ? À quelles discriminations s’expose-t-on ?
Des cheveux crépus défrisés violemment hérités de l’époque de l’esclavage à la coupe afro d’Angela Davis (et de ma cops Cynthia 🤩), des cheveux courts « à la garçonne » des années 20 aux cheveux longs des hippies des années 70, des zazous aux punks, en passant par la charge symbolique que renvoie le crâne rasé des femmes, selon qu’on l’assimile aux lesbiennes, aux tondues de la Libération, aux détenues… ou même à la folie ! (Grand plaisir perso quand j’ai entendu dans l’épisode Oh baby baby the reason I breathe is you, boy you got me blinded… Avec Britney j’ai dopé mon chrono !)
Que dit le cheveu quand il est politique ?
Je trouve que cette mise en perspective historique et culturelle est passionnante. À un niveau plus intime (mais l’intime c’est toujours politique 😝), elle pose la question du regard de l’autre sur soi et donc du rejet et donc de la mort sociale.
→ https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-les-cheveux-en-quatre
Pour ce qui est de mon intime à moi, j’ai également pu observer le changement du regard de l’autre sur moi en fonction de l’aspect de mes cheveux. Quand je dis l’autre, je veux dire des hommes. Quand je dis je, je veux dire moi, parce que je fais des coupes radicales. Marie-Françoise, elle, elle observe pas trop le changement parce qu’elle soulève pas trop le regard non plus.
Je l’éprouve à chaque fois que j’ai le crâne rasé, ce changement de regard sur ma féminité. Ce changement de regard sur la féminité qui m’est octroyée… ou non. Et là avec mes dreads, j’ai pu éprouver qu’on ne te regarde pas non plus de la même façon quand tu es une femme qui porte des dreadlocks. Mais c’est pas pareil que rasée, c’est plus facile à assumer. Rasée c’est le plus difficile que j’ai eu à vivre en matière de regard sur mon corps. Le plus difficile, après la question du poids – quand tu dégringoles en deçà de la norme acceptable autorisée.
En tant que femme blanche valide je veux dire, consciente que je ne connais pas le pire de la discrimination.
Avec mes dreads j’ai découvert une autre dimension qui est liée, je pense, aux préjugés sur les rastas : tu portes des dreadlocks donc tu écoutes forcément du reggae, forcément aussi tu fumes des joints, tu es vue comme cool avant d’être vue comme femme. Tu es cool comme un poto frérot, pas une femme, et dans notre système de domination patriarcale, CELA TE PROTÈGE.
La prise de conscience la plus puissante que j’ai eue quand j’avais mes dreadlocks, c’est que je n’ai jamais été emmerdée par des mecs, même quand je suis rentrée de Paris tard la nuit seule jusqu’au bout de la ligne 13.
J’étais maquillée, en petite robe, et pourtant je ne me suis pas sentie en insécurité d’aller reprendre mon auto garée en cité de banlieue à 1h du matin. Ça c’était tout à fait inédit. Alors peut-être que ce n’est pas les dreadlocks, peut-être que c’est juste parce que je suis vieille. Je ne me fais pas emmerder parce que je ne suis plus dans le game. La probabilité du viol s’éloigne. J’ai moins besoin de regarder droit devant moi et d’avancer d’un pas rapide et décidé comme si je rejoignais quelqu’un. Un sportif, un mastard, un costaud bien baraqué.
Peut-être qu’effectivement c’est lié à l’âge, aux rides, je ne sais pas, mais, cette nuit-là, avec mes dreads, je n’ai pas eu peur du tout. J’ai expérimenté pour la première fois ce que c’est que de marcher dans les rues toute seule la nuit et de ne pas avoir peur. Et c’était tellement mais tellement agréable, tellement nouveau et inattendu aussi, que ça m’a rendue euphorique. Je suis rentrée chez moi comme la reine du monde. Queen of the world.
Été 2024 : la (jusque-lÀ) dernière fois
Queen of the world et pourtant, quatre mois seulement après la création de mes dreads et malgré ce que j’avais proclamé de manière fracassante trois ans auparavant devant des ami·es témoins, j’ai tout rasé. J’ai tout rasé sauf une dreadlock à gauche.
Je suis rentrée chez moi le crâne rasé sauf-une-dreadlock-à-gauche dans la nuit du jeudi 11 au vendredi 12 juillet 2024, et quand mon mari a touché ma tête dans l’obscurité de la chambre, il a dit :
– Putain tu m’énerves ! T’es vraiment une vieille punk !
True story. Dans la nuit.
J’ai expliqué que non mais attends c’est pas ça tu comprends c’est parce que mes dreads ont été mal faites mais je vais en refaire j’ai trouvé un dreadeur super* t’as vu c’est lui que je veux lui et personne d’autre et il a dit oui c’est lui qui va me les faire seulement c’est mieux de tout raser pour recommencer tu vois comme ça je pars sur une bonne base parce que sinon avec le quadrillage que j’avais et les locks cassées on n’aurait pu faire que du bricolage j’aurais jamais été contente alors c’est pour ça maintenant on repart à zéro et tout va être bien…
– Non mais tais-toi, t’es une vieille punk, c’est tout !
Depuis, bon ben la vie continue chez les vieilles punks aussi voyez-vous. Tu cours, tu cuisines, tu écris, tu emmènes ton ado aux urgences ophtalmologiques parce qu’elle a une putain de paillette de maquillage collée à la pupille depuis plusieurs jours qui lui a fait une lésion sur la cornée, tu fais tes trucs, et pendant ce temps-là tes cheveux repoussent. Ils mesurent maintenant jusqu’à 2 cm. Il leur manque encore une bonne quinzaine de centimètres avant de pouvoir envisager une nouvelle création de locks. Pour l’instant ça va, parce que ça reste très court, mais je scrute parfois le miroir avec l’angoisse de voir réapparaître l’autre, là. Qui vous savez.
Quand je suis rentrée du Japon à la fin du mois d’août, mes cops m’ont dit :
– En fait ta coupe, c’est celle-là. Là c’est toi !
Et c’est ce que je ressens aussi. Quand j’ai les cheveux courts courts courts.
Je me sens moi.
J’aime ma tête avec cette coupe très courte, et, plusse que tout, j’aime n’avoir rien à penser et rien à m’occuper avec cette coupe très courte. Tout est tellement facile : je rase le crâne au dernier sabot, et hop après mes cheveux repoussent comme ils veulent, se placent où ils veulent, je ne vais pas chez le coiffeur ou la coiffeuse, je n’ai pas de brosse, pas de peigne, pas de sèche-cheveux, même pas de shampooing (allô ! non mais allô quoi ! t’es une fille et t’as pas de shampoing ?), je ne me coiffe pas, jamais, même pas avec les doigts, je vais courir autant de fois que je veux dans la semaine, quand je reviens de mon run je lave tout en même temps à la douche, ma tête et mon corps avec le même savon de Marseille, je ne sèche pas, je ne fais rien, je peux me coucher comme ça, j’ai pas de bosse sur un côté de mon crâne qui appuie, pas de tension, pas de douleur, pas de bonnet de nuit à enfiler qui me fait une tête de B, s’il pleut je m’en fous, s’il y a du vent, s’il y a trop de soleil je m’en fous aussi, si j’ai envie d’aller me baigner, dans la mer ou à la piscine j’y vais sans réfléchir, et pareil si je dois mettre un casque pour une sortie VTT je m’en fous, j’ai zéro stress zéro préoccupation zéro charge mentale, j’ai tout mon temps disponible pour faire QUELQUE CHOSE QUI M’INTÉRESSE.
J’adore.
J’adore mes cheveux courts comme ça.
Et si tu as déjà eu des dreads dans ta vie, tu sais pourquoi je détaille chacun de ces points.
Si tu as déjà eu des dreads dans ta vie, on s’est compris·es. Entre gens qui savent.
Les dreads, c’est pas l’affaire à la cool qu’on imagine quand on n’y connait rien (de rien).
Les dreads, c’est la plus grosse contrainte que j’aie jamais eue avec mes cheveux. Et pourtant pendant la plus longue partie de mon existence, j’ai eu les cheveux très longs, bouclés, qui nécessitent du temps et des soins. Le jour du shampooing et tout son cérémonial : le conditioner, les masques nourrissants, les huiles de protection contre les rayons du soleil, d’autres contre le sel de mer, les sérums réparateurs sans rinçage et les soins protecteurs au henné dont tu fais une pâte épaisse que tu laisses poser toute la nuit et qui nécessitent gants jetables, tablier et cellophane pour t’enturbanner serviette sur l’oreiller.
Ha ! Maintenant ça me fait bien rigoler parce que, tout ça, crois-moi, tout ça c’est du bullshit à côté des dreads. Peanuts. Walou.
Les gens qui portent des dreads, c’est des combattant·es. Aujourd’hui quand j’en croise dans la rue, je leur adresse un sourire de connivence avec dans l’œil la lueur complice de celle qui sait. Force à toi ma sœur, mon frère.
Quand je me rappelle ces quatre mois où j’étais locksée, je sens encore mon ventre se serrer d’inquiétude de : est-ce que j’ai bien rincé mes dreads après le shampooing ? Est-ce que je les ai bien rincées ET suffisamment séchées pour qu’il n’y ait pas du moisi qui se développe dedans ? Comment je vais faire si elles pourrissent à cause de l’humidité ?
Tout ce temps mental à tourner autour des mêmes interrogations : est-ce que je devrais couvrir mes dreads avec un bonnet en soie pour les protéger et éviter que toutes les poussières du canapé ou de l’oreiller ne rentrent à l’intérieur des locks ? Et si j’attrape des poux ?
Sans parler de la douleur, des crises de démangeaisons, de la transpiration quand tu cours, des plaques rouges de petits boutons et irritations diverses du cuir chevelu 😖
Et pourtant… Et pourtant avec mes dreads, je ne peux quand même pas rester sur un échec… Ou si ?
* Mon dreadeur super, c’est Malibudread, ici : https://www.malibudread.fr/
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Mes cheveux & moi (2)
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Et vous, est-ce que vous vous sentez vous-même avec vos cheveux tels qu’ils sont aujourd’hui ?
Ou bien est-ce que vous vous employez à les transformer pour vous rapprocher de qui vous êtes vraiment ?