Samedi (noir) soir

 

Pendant le premier confinement, quand on n’avait pas le droit de sortir du tout, puis après, quand on pouvait un peu mais quand même sous couvre-feu donc en fait non, on a instauré chez nous le film du samedi soir. Familial. Avec enfants.
Depuis nous avons été déconfinés mais le rituel est bien ancré et particulièrement difficile à déboulonner : les samedis où on sort pas, les samedis où on n’invite pas des amis, y’a film. Familial. Avec enfants. T’as compris.

Je vous ai déjà confié ici à quel point j’ai un mari exceptionnel pour ce qui est de trouver LA musique qui va bien ou LE film parfait au moment M. Mais le film familial du samedi, c’est pas possible. C’est l’histoire des ensembles disjoints, blablabla.
Je ne fais pas semblant donc les enfants le savent : le samedi soir, je me fais chier comme quand t’attends dans ta caisse les lèvres violettes l’un de tes gosses qui fait du poney du foot du vélo du violon (1) à Bab El Oued et que tu perdrais trop de temps à rentrer chez toi puis à revenir le chercher.

(1) Rayer les mentions inutiles.

 

Depuis que nos samedis soir ne sont plus que le squelette calcifié de ce qu’ils ont été, j’ai vu un nombre inconcevable de films plus nazes les uns que les autres, remplis de zombies, de courses-poursuites, de braquages, de croisades indianesques interminables et d’hypothétiques retours vers le futur multipliés par trois, sans parler des films chelou auxquels je comprends que dalle et devant lesquels je m’endors au bout de vingt minutes comme Matrix ou Le Cinquième Élément.
Luc Besson me fait chier, Spielberg me fait chier, j’aime pas Disney et j’aime pas Tom Hanks non plus. Voilà. Et je suis pas « bon public », selon cette expression qui sort de je sais pas où et qui sous-entend qu’alors je serais « mauvais public ». Alors que j’adore le cinéma !

 

Bref. Samedi soir, pas celui qui vient de passer, celui d’avant, je pensais qu’on avait atteint le pire du pire avec SOS Fantômes (que non, je n’avais jamais vu, et ô combien je ne connaissais pas ma chance). Consternation. Je me suis même éclipsée ni vu ni connu pendant le film pour aller fumer une clope dehors et envoyer quelques messages. Dépités, les messages. Genre ça se peut pas. Ça se peut pas un film aussi pourri, j’arrive pas à le croire tellement c’est pourri. Que diable Bill Murray allait-il faire dans cette galère ?
Le Bill Murray de La Vie aquatique, The Grand Budapest Hotel, Lost in Translation, ou encore Broken Flowers ? Pourquoi ?

 

– A man’s gotta eat, m’a répondu mon mari.

 

Hum. A woman’s gotta dream, si vous voulez mon avis.

 

Voilà. Mickaël me dit : « After, tu trouverais ça pourri ! ». Peut-être. Sûrement. C’est vrai que les bons sentiments et la petite morale bien-pensante ça me saoule aussi. Mais au moins si y’a pas de fantôme vert fluo dedans, ça me changerait !

 

Enfin. Il faut que j’en vienne à vous raconter samedi soir celui-là, celui qui vient juste de passer. P****N. T’imagines pas le truc. La soirée avait pourtant bien commencé quand mon mari a introduit sa présentation rituelle du film façon « Cinéma de minuit » sur France 3, à minuit donc, ou un peu avant, que j’enregistrais scrupuleusement au magnétoscope sur des cassettes VHS chaque dimanche soir de ma vie de lycéenne.
C’est au « Cinéma de minuit » que j’ai découvert Persona, d’Ingmar Bergman, et ce film m’a renversée, donc respect et gratitude.
Respect et gratitude pour tous les autres films en noir et blanc que j’ai découverts à cette époque et qui ont mis de la couleur et de la chaleur dans mes hivers : Casablanca, L’aventure de Madame Muir, Quand la ville dort (avec la toute débutante Marilyn Monroe), Les Enfants du paradis que j’évoquais la semaine dernière et une bonne partie des films qui ont marqué ma vie.

Merci au « Cinéma de minuit ».
Merci à la voix reconnaissable entre mille de Patrick Brion, j’avais oublié son nom, je l’ai retrouvé pour mon article, et le générique dans lequel tu joues à reconnaître les films que tu as vus à travers les images de couples d’acteurs qui se succèdent. Vivien Leigh avec Marlon Brando dans Un Tramway nommé Désir, puis avec Clark Gable dans Autant en emporte le vent, puis c’est au tour de Clark Gable avec Ava Gardner dans Mogambo, suivi d’Ava Gardner avec Humphrey Bogart dans La Comtesse aux pieds nus, puis Humphrey Bogart avec Ingrid Bergman dans Casablanca, et ainsi de suite. J’adore ce générique. Juste de le revoir ça me fait du plaisir.

 

« Cinéma de minuit » : générique et présentation du film Freaks, de Tod Browning (que j’ai découvert exactement ici, au « Cinéma de minuit », il y a vingt-cinq ans).

 

Attends je me suis perdue dans mon rêve là. Alors que je voulais vous parler de samedi soir, CE samedi soir. Donc Patrick Brion Mickaël présente :

– Ce soir je vous propose un film, mon amour c’est avec Idris Elba…

Gros points de suspension dans la voix pour amplifier l’effet escompté qui, de fait, ne tarde pas à se produire. Hop, étoiles qui s’allument dans mes yeux, oreilles qui s’ouvrent, curiosité aiguisée…

– C’est un film de Guillermo del Toro, tu sais, on a vu La Forme de l’eau, et tu avais aimé…

Là j’ai senti la tromperie. Que quelque chose m’était caché et que la soirée n’allait pas tourner à mon avantage. D’abord je n’avais absolument aucun souvenir du film qu’il citait, et puis c’était trop bizarre qu’il présente le film familial en ne me parlant qu’à moi, en accrochant mes yeux pour me (re)tenir.
J’avais raison. I was fucking right.
Il a détourné le regard et s’est adressé aux garçons. Oui parce que la Petite Souris (12 ans et demi) passait la soirée et la nuit chez une copine. J’aurais dû aller avec elle. Boire du vin avec la mère de sa copine qui sait ouvrir une bouteille (ou plusieurs) en toute occasion et que j’aime beaucoup (coucou Olivia  😉 ).
Mais j’avais un trail le lendemain, dis-toi. Un trail en forêt le 5 décembre, dans la boue, sous la pluie. Quelle idée. C’est à peu près ce que je me suis dit dimanche, en même temps que je remerciais intérieurement l’autre copine qui m’a prêté des chaussures de trail avec des crampons sinon j’y serais allée avec mes baskets de running toutes lisses, n’importe quoi.
Merci Estelle. Merci merci merci.

La boue, c’est comme une métaphore de la vie : tu t’enfonces, tu patines, tu crois que tu vas sombrer, et puis la grâce vient te sortir de là, donner du sens à tout ça…

 

Coco Vidéos vous présente : Les 40 Bosses, balade bucolique d’un dimanche de décembre. Mes gros mots ont été censurés par des biiip, donc vous pouvez tout à fait regarder la vidéo avec vos enfants. Elle plaira aux aventuriers. Chez moi, le Grand Lièvre (10 ans) a hurlé : « Ooooh ! Mais j’aurais trop aimé ! ».

 

Mais c’est pas vrai qu’avec ce trail je me suis encore éloignée du sujet ! On dirait que je n’arrive pas à vous raconter tellement la chute est… comment vous dire… amère ?

– Alors les garçons, dans ce film de Guillermo del Toro avec Idris Elba, il y a des très gros monstres extraterrestres, comme Godzilla mais plus gros, qui s’appellent des Kaijus et qui envahissent la Terre, alors les humains créent de gigantesques robots pour les combattre qui s’appellent des Jaeger et…

Je vous parle de mon accablement ou c’est pas nécessaire ?
Je ne vous donne pas le nom du film non plus là, bah non. Oublie. En plus, quand il a vu que je ne m’arrêtais pas d’écrire dimanche matin avant de partir pour mon trail dans la boue, Mickaël m’a fait de la culpabilisation émotionnelle :

– J’espère que tu n’es pas en train d’écrire du mal de Guillermo del Toro parce que franchement ce serait pas bignon…

Non, je dis rien del Toro. Mais un film dans lequel même Idris Elba n’est pas beau ? Je te jure. Même Idris Elba. Pas une scène de demi-nu, ni de quart de nu, pas une fois il ne tombe l’uniforme. Ou alors j’étais ailleurs. Tout le film tu espères, peut-être tu vas apercevoir un bout de son épaule, ou même son avant-bras, mais non, dans tes rêves ! Que de la grosse écaille, des organes visqueux de monstre et de la tôle de robot. Misère et désillusion.
Je suis au regret de vous annoncer qu’Idris Elba ne me fait plus aucun effet. Représente-toi le fond du fond de ma désespérance.

De nouveau j’ai demandé :

– Que diable allaitil faire dans cette galère?

De nouveau mon mari m’a répondu :

– A man’s gotta eat.

Et de nouveau il m’est venu avec certitude que : a woman’s gotta dream. Girls just want to have fun.

Comprenez-moi, ça ne peut plus continuer comme ça. Alors qu’on n’est même pas confinés, je pourrais sortir je veux dire, invitez-moi ! Je mettrai une robe sexy comme Cyndi dans le clip que vous venez de revoir en cliquant sur le lien, je danserai dans des rues et des cuisines sans robots ni monstres géants, mais je vous en supplie, invitez-moi LE SAMEDI !

 

Le mot du samedi matin de Lucien. Nan mais j’dis pas, y’a des trucs sympas avec les enfants. MAIS PAS LE SAMEDI SOIR !

 

*****

 

Et vous, vous arrivez à voir des films qui vous fassent pas chier la mort avec vos enfants ?
(On est entre nous, vous pouvez me dire.)