Pourquoi fait-on des enfants ?

Photo : C’est une photographe qui est venue me voir au parc il y a quelques années pour me demander si j’accepterais qu’elle prenne mes enfants en photo. J’ai dit oui mais j’ai oublié son nom. Au cas où, si elle passe par là… (septembre 2015).

 

Je sens qu’avec ce titre vous vous attendez à une blague, un article sur le mode : qu’est-ce qui m’a pris ?? (de faire des enfants)
Mais non. Je suis très sérieuse.

Pourquoi fait-on des enfants ?

Pourquoi, alors même qu’on signe ainsi la fin de l’insouciance et qu’on ne cessera plus jamais de s’inquiéter pour eux, toute la vie, parce qu’ils toussent, parce qu’à l’école ça va pas, parce qu’en grande section de maternelle cette pimbêche de C. a refusé la carte de Saint-Valentin que mon petit lapin avait préparée avec tant d’amour un jour je vais lui péter les dents et lui couper ses cheveux de Barbie girl pendant son sommeil ce sera bien fait pour sa face, nan mais comment elle a pu faire ça à mon tout petit, parce qu’on ne peut pas les protéger des ronces et des orties sur le chemin qu’ils prennent quand ils nous lâchent la main, parce qu’ils sont avec Lucy dans le ciel, pourquoi ?

Pourquoi on s’en tient pas à la vie à deux qui comme vous savez est déjà bien assez compliquée, pourquoi on s’en rajoute ?

 

 

Alors ?
Comment tu passes de : j’aurai jamais de monospace, y’a pas moyen, no way !
À : désolée mes cops, j’aurais bien aimé mais vendredi soir je peux pas, je prépare des crêpes pour la kermesse de l’école (et samedi je donnerai de l’argent à mes enfants pour qu’ils achètent les crêpes qu’ils m’ont vue préparer à la maison).

Tu vois le truc ? C’est pas gros franchement ?!
Alors vas-y, c’est quoi le tour de passe-passe pour que TOI t’en arrives là ?

Comme c’est difficile à justifier, on se dit qu’on fait des enfants pour les aimer. Pour vivre l’expérience de cet amour maternel ou paternel, infini, inconditionnel, qui ne ressemble à aucun autre. Pour découvrir de nouveaux êtres que l’on accompagne depuis le début de leur vie, qui vont nous surprendre, et pour qui on sera toujours là.

Moi j’ai tellement de chance de vivre avec Garance que je ressens parfois les déflagrations du syndrome de l’imposteur genre : je ne la mérite pas. Je vous en avais déjà parlé quand nous étions en voyage dans mon article La Petite Souris a 10 ans !
Cette personne si profondément belle alors que moi j’ai tellement de noir dedans, comment c’est possible que ce soit mon enfant ?
Mon enfant au sens de : c’est moi qui l’ai faite. Si, c’est moi. Elle était minuscule dans mon ventre et c’est moi qui l’ai fait grandir parce que je voulais très fort qu’elle vienne dans ma vie. Puis un jour elle est sortie de mon ventre, et j’ai continué de la faire grandir, et elle est devenue cette personne merveilleuse qu’elle est aujourd’hui. Une pub pour ne pas désespérer de l’humain. Un peu comme ces constructions extraordinaires qui élèvent l’âme bien plus haut que les pauvres mains humaines qui se sont succédé pour les bâtir pierre après pierre.

Tu sais ce que tu éprouves à Angkor quand tu marches au milieu de la jungle et que d’un seul coup tu te trouves face aux ruines des anciens temples khmers ? Ce sentiment d’humilité qui te submerge devant le sublime ?

C’est ce que je ressens avec Garance (qui aura 12 ans la semaine prochaine), quand je l’écoute me dire sa philosophie de vie, sa façon si fine de voir les choses et de comprendre les êtres avec tant d’amour et d’empathie.
Peut-être qu’elle n’est pas vraiment née de moi en fait. Peut-être qu’elle est la nouvelle incarnation de Bouddha et qu’elle est venue m’apprendre à vivre ?…
(Je peux raconter ce que je veux maintenant, mes enfants ne lisent plus le blog. Depuis qu’on est rentrés de voyage, ils s’en battent les reins.)

 

C’est au-dessus du lit de Garance. Il y a un dessin qu’elle a fait pour représenter l’égalité entre les femmes et les hommes, le marque-page sous forme d’acrostiche de son prénom que son cousin Noa lui a offert, et des micro-bouts de papier qu’elle a collés avec de la Patafix et que je découvre en prenant la photo pour cet article. Ce sont des aphorismes qui viennent de ses papillotes en chocolat. Sur le premier papier que j’avais déjà vu traîner sur son bureau, il est écrit : « Dans la vie, tu as deux choix le matin : soit tu te recouches pour poursuivre ton rêve, soit tu te lèves pour le réaliser. »

 

Mais bon, j’ai d’autres enfants que Garance sinon. Avec lesquels je t’assure qu’il n’est pas question de Bouddha ni d’imposture ! Ces enfants-là, quand tu leur lis le papier : « Dans la vie, tu as deux choix le matin : soit tu te recouches pour poursuivre ton rêve, soit tu te lèves pour le réaliser », il ne leur faut pas plus de trois secondes pour demander :

– Et si t’as fait un cauchemar alors tu fais quoi ? Hein hein ? Dis !

 

Il y a quelques semaines, j’ai lu sur le site de Fabuleuses au Foyer un article intitulé : les enfants volent-ils notre vie ?

Je l’ai trouvé intéressant, dites-moi ce que vous en pensez si vous le lisez.
Une phrase en particulier m’a frappée plus vivement que les autres. C’est une citation tirée du livre de Shefali Tsabary, The Conscious Parent :

« Tel enfant entre dans votre vie avec ses propres problèmes, ses difficultés, son entêtement et son mauvais caractère, afin de vous aider à prendre conscience de tout le chemin que vous avez encore à parcourir pour grandir. »

En un coup de poing, cette phrase m’a ramenée à Marcel (qui a 7 ans), à ce que j’observe de lui, à ce que ça me fait de voir aussi clair et sans filtre ce que je n’aime pas chez lui et qui n’est rien d’autre que le miroir de mon propre enfant intérieur, rigide, entêté, égoïste et tyrannique…
Marcel dit, exprime ce que je tais. Ma voix intérieure qui n’a pas plus de 5 ans et qui crie : AIME-MOI PLUSSE ! DONNE-MOI ENCORE ! JE VEUX TOUT, TOUT DE SUITE !

Je la tais parce que je suis bien élevée, socialement compatible avec le monde des adultes. J’ai appris extérieurement qu’on ne dit pas ça, que même on ne doit pas vouloir ça. TOUT ÇA.

 

Ici c’est moi à 5 ans (1983).

 

Là c’est Marcel au même âge (2018).

 

Mais pour grandir vraiment, c’est intérieurement qu’il faut apprendre.
C’est être capable de s’agenouiller et d’écouter cette petite voix qui a 5 ans sans l’assommer d’un coup de casserole en lui disant : toi ta gueule !
C’est au contraire lui parler gentiment, sans paniquer, sans chercher à la bâillonner parce qu’elle dit des trucs énormes qu’on doit pas dire et qui risquent de démolir tout ce qu’on a patiemment construit.

Votre enfant intérieur n’est pas dans le vrai, il est dans la peur qui lui fait perdre toute lucidité, mais il vous délivre un message substantiel que vous ne pouvez pas ignorer si vous voulez avancer.

Alors grandir, c’est prendre ce tout petit enfant dans ses bras et lui dire : je sais que tu es là, je t’entends. J’entends ce qui te fait mal, je vois comme tu as peur et comme c’est difficile pour toi. Mais je suis là maintenant. Je t’aime, je prends soin de toi. Et ça va aller.

Bon je sais, c’est bizarre de se dire je t’aime à soi-même. Mais quand on dépasse le jugement du bizarre, on s’aperçoit qu’en fait c’est essentiel puisqu’on est la seule personne avec qui on est sûr(e) de passer toute notre vie. Et c’est à ce travail majeur que Marcel – et dans une moindre mesure mes autres enfants – m’entraîne.
C’est pour ça qu’on fait des enfants. Pour qu’ils nous aident à grandir.

 

 

Plus généralement, les gens qu’on rencontre dans notre vie, de qui on a mystérieusement envie de s’approcher ou au contraire de s’éloigner, sont des miroirs de notre propre développement. C’est ce que j’ai finalement compris en lisant Kilomètre zéro.
Si on arrive à prendre un peu de hauteur par rapport à notre petit enfant qui a tellement peur et par rapport à notre ego qui veut tellement avoir raison, on comprend que les autres, à travers ce qu’on ressent pour eux, face à eux, de plaisant ou de pénible, nous montrent là où on en est exactement. Et à partir de là, du chemin qu’il nous reste à parcourir.

Je crois qu’au début du chemin il y a cette interrogation – qu’on est prêt(e) ou pas à affronter : pourquoi est-ce que je réagis comme ça ? C’est quoi mon vrai problème en fait ? Ce truc qui revient à chaque fois, sous différentes formes, parce que je ne l’ai pas résolu ?

Toujours dans The Conscious Parent, Shefali Tsabary écrit :

« Les traces que laissent notre passé sur notre présent sont indélébiles, et pourtant, paradoxalement, nous avons du mal à les voir. C’est souvent grâce à une personne qui nous est proche et qui nous sert de miroir que nous parvenons enfin à regarder nos blessures en face ».

Et ce que j’ai lu dans Kilomètre zéro est tout à fait similaire :

« Les douleurs ressenties au contact de tierces personnes ne correspondent qu’à nos problèmes non réglés. L’autre est notre reflet. Il est un cadeau de la vie, il nous offre la compréhension de nos zones d’ombre. »

 

 

Voilà. Et bien sûr que c’est dur de plonger en soi-même pour, se comprendre d’abord, puis s’accepter, et j’ajouterais : se pardonner. C’est un voyage en eaux troubles. Mais si on ne le fait pas, alors quoi ? On reste l’enfant qui a peur dans le noir et qui n’ose pas soulever le tapis ? Pour TOUTE notre vie ?

Grandir est joyeux mais on oublie comme c’est aussi inconfortable.

Parfois on s’élève et on se sent libre et plein(e) d’élan, grisé(e) de voler de ses propres ailes, comme je l’évoquais dimanche dans ma newsletter (newsletter 75 # 14 février 2021).
Parfois on tombe et ça fait mal.

Quand nos enfants tombent, on les aide à se relever, on leur frotte les genoux, on les serre dans nos bras pour les réconforter. Mais quand on tombe nous, qui nous aide à nous relever ?
Qui nous encourage, qui nous dit : « continue d’essayer, tu es sur la bonne voie, tu vas y arriver » ?

Grandir ce n’est pas réussir tout(e) seul(e) sans jamais demander le soutien de personne.
Grandir c’est accepter le changement qui arrive et qui nous rend vulnérable, le voir comme une nouvelle chance d’évoluer, puis s’autoriser à changer en même temps que lui.
Parce qu’on est beaucoup plusse et beaucoup mieux que notre enfant intérieur qui a peur.

 

Je crois que la citation d’origine de Sartre est : « L’important n’est pas ce qu’on a fait de nous mais ce que nous faisons nous-même de ce qu’on a fait de nous. »

 

 

Note de fin

Je relis ce que j’ai écrit et je me vois obligée de nuancer mon propos : Garance n’est PAS parfaite. Parfois elle se met en colère pour une injustice, un abus, et alors elle a plein de petites taches rouges qui apparaissent sur son visage, c’est trop bignon.
Elle aime ses ongles longs alors que je suis à deux doigts de péter un câble quand elle épluche une clémentine à côté de moi et que je vois ces griffes horribles.
Elle a dit que ouais David Bowie… c’est vrai qu’c’est pas mal… mais quand même elle préfère Sia. Je te jure. Et t’as pas idée du nombre de « c’est trop stylé » qu’elle te sort en une journée !  🙁

Well… nobody’s perfect !
(et si t’as oublié d’où vient cette réplique culte, tu sais ce qu’il te reste à faire… D’ailleurs moi aussi je vais le rererererererererereregarder, on a toujours besoin d’un bon shoot de Marilyn Monroe – dans un des dix meilleurs films de ma vie ! → Mon TOP 10 cinéma ici)

 

Scène finale de Some like it hot, de Billy Wilder, 1959.
(Attention spoiler pour ceux qui n’ont jamais vu ce film – mais y’en a-t-il encore ? Qui êtes-vous ??)

 

*****

 

Et vous, pourquoi vous faites (ou pas) des enfants ?
Qui est l’enfant qui vous pousse le plus loin dans vos retranchements ?