Photo : Sur la grande plage de Vathi, île de Sifnos (Grèce, août 2021).
Je sais, vous allez dire : des pieds, des mollets, c’est un portrait la tête dans le sable !
Je sais. Je ne fais pas exprès, c’est que pour l’instant je n’ai PAS de portrait de moi. Et puis par les pieds on s’ancre dans le sol, on prend sa place, et vous verrez que la photo que j’ai choisie est en lien avec la question de ce mois-ci…
Je rappelle le principe de l’exercice de Paye ta question : chaque mois, je partage avec vous une question que vous emportez ensuite pour y réfléchir à l’aune de votre vie.
La question du mois est :
Qu’est-ce que ça veut dire « être à sa place » ?
C’est quoi ma place ? A-t-on une seule place ?
Ces trois questions s’inscrivent dans une réflexion plus large sur la place, au croisement de plusieurs trajectoires qui ont traversé mon mois, entre le petit essai philosophique de Claire Marin, Être à sa place – Habiter sa vie, habiter son corps, une conversation libre et profonde dès la troisième minute avec mon ami Stéphane pendant une soirée VFE* quand on se retrouve lui un fumeur et moi une fumeuse dehors tout·e seul·e en train de bien se les cailler, et l’acceptation de ce que je reconnais désormais comme étant « mes fragmentations intérieures ».
* VFE = Vin-Fromage-Évangile
Je vous en parlais (vite fait) dans mon dernier article, Les médecins & moi.
Et puis, inattendue au milieu de ce croisement de trajectoires, il y a l’exhortation tonitruante de Tonia** qui, sans rien connaître du tumulte de mes pensées, me dit hier après-midi – rends-toi compte, hier après-midi, alors que j’avais déjà le sujet de cet article en tête – Tonia qui, tout en me massant, me crie presque :
PRENDS TA PLACE !
** Tonia, c’est Tonia. Ce serait trop long de vous expliquer. De vous esspliquer, comme je l’entends pas mal en ce moment et j’adore. Ça devrait m’énerver, bien sûr, et pourtant j’adore.
PRENDS TA PLACE !
Mais où est ma place ?
N’y-a-t-il pas plusieurs places où je me sente à ma place ?
Qu’est-ce qui fait, au fond, que je me sens à ma place ?
Au début du livre que j’évoque en préambule de cet article, le petit essai philosophique de Claire Marin, Être à sa place – Habiter sa vie, habiter son corps, j’ai lu :
« Parce que nous craignons de perdre notre place, d’être remplacé, nous nous contentons d’espaces affectifs ou relationnels qui nous contiennent plus qu’ils ne nous conviennent. » (p.11)
Je ne sais pas où vous en êtes personnellement, mais il me semble que c’est une bonne première piste d’exploration. Où avez-vous besoin d’être contenu·e ? Et surtout, POURQUOI avez-vous besoin d’être contenu·e ? POURQUOI croyez-vous que vous avez besoin d’être contenu·e ?
Une deuxième piste d’exploration que je vous propose, c’est une question qu’on s’est posée Stéphane et moi dans la nuit quand on fumait dehors en buvant du bon vin :
Pourquoi se sent-on parfois plus vivant·e, plusse soi-même, quand on joue un rôle, au théâtre par exemple ?
Non seulement la possibilité d’oser davantage sur scène, mais, plus profond encore, ce sentiment d’être plusse soi, de vivre (enfin) sa vraie vie ?
Ces deux questions de mon début de mois, l’une sur être à sa place et l’autre sur être soi, sont venues retoquer à ma fenêtre avant-hier soir dans un drôle de mouvement de rebond. Parce qu’avant-hier soir, depuis ma fenêtre Netflix, j’ai regardé l’épisode 1 qui s’appelle « Chute libre », de la saison 3 de la série Black Mirror.
Je dois vous dire ici que je n’avais jamais regardé aucun épisode de Black Mirror auparavant et que cet épisode en particulier m’a été recommandé par ma copine Carole il y a pile un mois, quand on s’est retrouvées un soir à Paris, après une conversation que nous avons eue sur les réseaux sociaux chez les ados.
Entre-temps, la vie tout ça, et c’est donc seulement avant-hier soir que j’ai décidé de regarder cet épisode qui a fait bam bam en écho de mes questionnements d’en ce moment. Comme quoi, il arrive de temps en temps, par accident, que le hasard fasse bien les choses parce qu’il se trouve en plusse qu’aujourd’hui, vendredi 20 octobre, c’est l’anniversaire de Carole. La même Carole.
Youhou bon anniversaire Carole !
Et donc, dans cet épisode « Chute libre », prend forme une dystopie dans laquelle le cours de votre vie est déterminé par le nombre d’étoiles associées à votre profil sur les réseaux sociaux. Cinq étoiles tu es au top, une étoile tu es une sombre merde. Et ces étoiles, bien évidemment, sont attribuées par les notes que les autres vous mettent à travers des applis sur leur téléphone. De la même façon que vous notez le Uber que vous avez pris pour rentrer parce que y’a plus de trains le soir sur la ligne H à cause des travaux qui vont durer encore mille ans.
Très vite apparaît l’idée que plus tu te conformes à ce que les autres attendent de toi, plus tu as de chances qu’ils et elles te mettent cinq étoiles. À l’inverse, si tu t’autorises à être toi-même, si tu ouvres ta gueule pour dire sincèrement ce que tu penses, ce qui ne te plaît pas, ce avec quoi tu n’es pas d’accord, tu n’auras qu’une ou deux étoiles max et tu risques peu à peu de te faire éliminer par le groupe. D’en être exclue et donc condamnée à la solitude et à la mort sociale.
Ça m’a glacée de penser que cette dictature de l’image et de la valeur associée est déjà, en partie, arrivée, et de m’imaginer dans ce monde.
– Pfff ! Laisse tomber, moi je serais en dessous de deux étoiles !
– Ah mais toi mon amour, tu serais à zéro !!!
C’est mon mari qui m’a répondu ça. Et franchement c’était pas sympa. Si on avait vécu dans l’épisode, j’aurais pu lui laisser un très mauvais avis, faire tomber toutes ses étoiles et ça aurait été bien fait pour lui. Mais dans mon monde on fait pas ça. Dans mon monde on ne punit pas les gens qu’on aime, comme dit le même mari qui n’a pourtant pas hésité avec : ah mais toi mon amour, tu serais à zéro. Comme quoi, hein. Entre ce que les gens donnent à voir en public (ou sur Insta) et la vérité vraie de leur intimité, il y a le Grand Canyon.
Pensez-y la prochaine fois que vous serez tenté·e de comparer le mari génial la vie géniale des autres et le vôtre la vôtre !
Enfin. Passons cette regrettable et sournoise attaque. Dans l’épisode que je vous recommande, il y a la scène du camion. Un dialogue qui donne à réfléchir entre l’héroïne et une chauffeuse de poids lourd qu’elle rencontre. Pour moi c’est de loin la meilleure scène du film. Là je n’ai pas le temps parce que je veux publier cet article tout de suite (puisque c’est aujourd’hui l’anniversaire de Carole), mais je vais revoir cette scène dans les prochains jours.
Ce qui m’est venu immédiatement en l’écoutant, c’est le choix que nous avons à faire entre plaire ou être libre. Et sur ce sujet, je vous conseille très très vivement d’écouter l’épisode 170 du podcast Change ma vie, le bien nommé : Plaire ou être libre.
Quand vous l’aurez écouté, revenez me dire ce que vous en avez pensé. Soit dans les commentaires, soit en privé si vous n’y arrivez pas dans les commentaires parce que je ne sais pas comment résoudre les problèmes que vous rencontrez avec Disqus. 🙄
C’est difficile de s’affranchir de notre souhait de plaire aux autres, non ?
Difficile de regarder droit dans les yeux le besoin qu’il y a derrière et la peur. La peur surtout. Peur d’être rejeté·e, peur d’être abandonné·e, peur de ne plus être aimé·e.
Mais la liberté d’être soi, elle demande ce courage-là. C’est son prix.
Souvent les autres, nos proches, ne veulent pas qu’on change. Parce que si on ne se conforme plus à ce qu’ils et elles attendent de nous, alors notre changement devient source d’inconfort, voire de mécontentement pour eux ou pour elles. C’est comme au « Dix de chute » si tu veux. Quelqu’un connaît encore le « Dix de chute » ? Tu tournes ta roue, ça fait bouger les autres et ils ou elles ne peuvent plus contrôler ce que tu fais, qui tu es.
Or la vie, la base même de la vie, EST changement.
Les fruits mûrissent, la nature suit les saisons, et nous on change au fur et à mesure que passe le temps. Bien sûr qu’on change. On change tout le temps, à chaque année, à chaque seconde.
Quand on s’arrête de changer, quand on se fige de l’intérieur, on s’éteint.
Quand on se pose, on est mort.
« Quels comptes avons-nous à rendre à la personne que nous ne voulons plus être ?
Quelles sont ces fausses loyautés évoquées par ceux qui ne supportent pas que nous soyons partis, que nous ayons changé ?
Si certains tiennent tant à nous reconduire définitivement à notre ancienne place, si notre départ leur apparaît comme une trahison, c’est sans doute parce qu’ils le vivent comme un désaveu, comme la remise en question de leur vie qui, elle, reste à la même place. » (pp.52-53)
Si vous avez manqué les questions précédentes :
Paye ta question #1
Paye ta question #2
Paye ta question #3
Paye ta question #4
Paye ta question #5
Paye ta question #6
Paye ta question #7
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Et vous, vous sentez-vous à votre place dans votre vie ? Libre d’être vous-même ?