Photo : Mes livres de juin 2025
Le mois dernier, il y avait des REM sur ma photo en tête d’article. Qui de vous l’a remarqué ?
À part Stéphane François.
À part le Marcass’ (12 ans) qui m’a aussitôt dit : maman, faut trop qu’tu rachètes des REM !
Ce que je fis. Alors que, comme je n’habite pas en Lorraine où je me figure, à tort peut-être, qu’on vend des REM à tous les coins de rue, je dois pour cela me rendre dans un hypermarché. Or il se trouve que, depuis mon retour de voyage d’un an en famille autour du monde en Asie-Pacifique, je ne vais plus en hypermarché.
Ma règle de base depuis six ans, c’est :
Quand j’entre dans un magasin, je dois pouvoir couvrir de mon regard toute la surface au sol sans bouger la tête. Sinon c’est que c’est trop grand et donc je ne fais pas les courses ici.
Depuis que j’applique cette règle et que je vais à la ferme pour le frais, je n’ai plus de crises d’angoisse dans les magasins.
Quand j’ai dû faire exception, dans le but d’acheter des REM pour Stéphane François et pour le Marcass’, j’ai traîné dans les rayons et senti peu à peu la panique gagner mon ventre. Je me suis rappelé pourquoi je n’y vais pas, pourquoi ce n’est plus possible pour moi d’y aller, d’errer comme sonnée parmi des dizaines de gondoles remplies ras la gueule de milliers de yaourts, de quinze tonnes de lessive, de monceaux de bidoches en cas d’guerre en cas d’crise ou d’victoire de la gauche. Ce spectacle m’écœure, je comprends mieux pourquoi.
Hum. La phrase que j’ai le plusse entendue ce mois-ci, c’est :
– Hey maman, comme y’a 14 REM dans un paquet, j’en mange sept chaque matin comme ça ça tombe pile.
Ça tombe pile, ouais. À condition qu’il ne me prenne pas l’envie d’en manger un dans la nuit – ce qui bien sûr est arrivé. Le lendemain matin, Marcel n’avait plus que six REM, il a dit qu’à cause de ça il va crever de faim toute la journée c’est sûr, en plusse que la cantine c’est dégueu, on leur donne rien à manger.
Donc, si vous passez par Metz ou Nancy cet été, s’il vous plaît, pensez à remplir le coffre arrière de votre 504 Peugeot de votre Partner Tepee ou de votre petite Zoe, de quinze tonnes de REM et de monceaux de choco-REM – rapport à ce que, des choco-REM, j’en ai même pas trouvé dans l’hyper-hyper-hypermarché où je suis allée.
Merci.
Vous sauverez un enfant de la faim. (Tapez 1.)
Ou vous m’autoriserez à manger un biscuit sans que je me sente coupable – déjà que. (Tapez 2.)
Et non, parce que je sais que vous allez me le demander, les Casse-Croûte c’est pas pareil que les REM. J’irais pas jusqu’à dire que ça n’a rien à voir, mais quand même.
Ça n’a rien à voir.

Le livre chelou
→ Brigitte Fontaine, La Vieille prodige, éd. Le Tripode, 2021
Hum. Alors alors alors… comment vous dire ? quoi vous dire surtout…
Avant de lire ce livre, j’avais lu que Brigitte Fontaine « partage [dans ce texte] une réflexion poétique et intime sur le vieillissement, la sensation d’être confinée dans son propre corps, et finalement la perception du corps vieillissant ».
Ça m’avait plu. L’idée d’un livre sur vieillir, ce que c’est que vieillir, en plusse par Brigitte Fontaine qui s’y connaît un petit peu tu vois. 86 ans hier, la libellule.
Pendant, j’ai lu quelque chose qui semble avoir été écrit en état de conscience modifiée élargie.
Je n’ai rien compris. Et je n’ai pas été touchée non plus.
« Elle ne sait rien et tout est comme une toile tissée par une araignée saoule. » (p.88)
Voilà c’est ça. C’est la seule phrase qui m’a parlé !
Alors, une immersion dans l’univers foutraque et très (très) personnel de Brigitte Fontaine, je veux bien. Le « partage » d’une réflexion poétique et intime sur le vieillissement, je suis moins certaine déjà… 😵

La bulle qui éclate
→ Liv Strömquist, Les sentiments du prince Charles, éd. Rackham, 2016
Toutes les citations et les illustrations qui suivent sont des planches extraites de la bédé et photographiées par moi en me faisant bien chier parce qu’il n’y a pas de pagination.
Cette bédé, Les sentiments du prince Charles, je l’ai vue citée partout. Dans tous les podcasts féministes que j’écoute, toutes les bibliographies d’articles ou d’essais engagés que je lis. Autant dire que j’en attendais beaucoup – et je n’ai pas été déçue car le contenu est effectivement très riche, écrit avec un humour au vitriol.
« Je ne veux plus jamais te voir ! Sauf pour un café, mal à l’aise, une fois par an. »
Ce running gag m’a fait rire de bout en bout ! 😂
Mais la bédé n’est pas juste corrosive et drôle, les idées qui y sont développées sont aussi puissantes.
En effet, Liv Strömquist s’appuie sur des recherches sociologiques passionnantes à partir desquelles elle démonte les vieux schémas de nos relations amoureuses hétérosexuelles. Elle montre comment – et pourquoi – notre rapport à l’amour, au couple et au sexe est directement façonné par l’histoire du patriarcat et la logique de domination des hommes sur les femmes.
« 70% des femmes pensent que leur bien-être psychique s’est améliorée après la séparation. 85% des femmes ont également ressenti plus de confiance en elle après leur séparation (contre 35% des hommes). »
Ce qui m’a le plusse marquée en lisant cette bédé, c’est le lien qu’on fait « naturellement », sans le questionner, entre amour, possessivité et contrôle du corps de l’autre. Ce truc est tellement banalisé, tellement tenu pour évident partout et par tous et toutes qu’on ne le voit même plus : le droit de propriété sur le corps de l’autre qui régit le couple hétéro.
L’exclusivité sexuelle et affective comme preuve d’amour fondamentale.
Comme si, pour aimer, il fallait posséder.
Comme si, pour se sentir aimé·e, il fallait être le·la seul·e et l’unique. L’élu·e.
« Or, on pourrait aussi bien affirmer qu’au lieu d’être évident, le lien entre ce droit de propriété et l’amour est quelque chose de totalement absurde et irrationnel. »
On ne se demande pas si on est respecté·e, si on est écouté·e et regardé·e dans son couple en tant que personne à part entière. On ne se demande pas si on est choisi·e avec conscience, ni même si l’autre a envie d’être là, aujourd’hui et encore demain.
Non.
On s’accroche au fait qu’il n’y ait surtout : personne d’autre.
Comme si la fidélité physique garantissait la loyauté émotionnelle.
C’est l’idée que : couple exclusif = vrai amour.
Ça m’a parlé parce que c’est une construction dont je trouve particulièrement difficile de se détacher – et c’est fait pour, bien sûr : deux mille ans de « romantisme » patriarcal se sont bien chargés de nous l’implémenter en profondeur !
Dites-moi franchement, est-ce qu’on n’a pas tous et toutes grandi dans ce modèle-là ?
Ce truc de : rassurons-nous avec la possession exclusive du corps de l’autre ?
« Est-ce que cela signifie que l’on doit vivre séparément, ne plus jamais coucher ensemble de toute notre vie, et nous voir, mal à l’aise, seulement une fois par an pour un café ? »
Alors que c’est dingo, quand on y pense avec un peu de hauteur, de ne pas questionner cette obsession de l’exclusivité. Ce réflexe validé par la norme qui fait qu’on trouve normal d’exiger d’être la seule personne à qui l’autre accorde de l’attention, du désir, ou de l’intimité.
Mais pourquoi, en vrai ?
Pourquoi on ne se comporte pas en amour comme avec nos ami·es par exemple ?
« TOUT LE MONDE sait que l’on s’inscrit à un atelier de poterie pour se faire de nouveaux ami·es !! »
Parce qu’on a peur.
Peur du rejet, peur de l’abandon, et alors peur de la honte, peur de l’humiliation.
Peur de la solitude, peur du vide.
Le sentiment insidieux que, peut-être, si l’autre ressent du désir pour quelqu’un·e d’autre, c’est de notre faute. C’est parce qu’on est insuffisant·e. Et ça, c’est terrifiant à regarder en face. Parce que cette peur nous fait croire que notre valeur se mesure à la fidélité qu’on inspire et que cette fidélité ne dépend que de nous. On doit alors la mériter, en se faisant petit·e, en se surveillant, en se battant pour garder notre place, parfois en taisant ou en dissimulant qui on est vraiment. Et si, horreur malheur, malgré tous nos efforts, on perd quand même l’exclusivité du corps de l’autre, alors c’est qu’on est vraiment trop NUL·LE et indigne d’être aimé·e.
C’est de notre faute.
Paye ton estime de toi après ça.
« Si seulement je n’avais pas été aussi ennuyeuse / chamailleuse / petite bourgeoise / rabâcheuse / paresseuse / lunatique / talentueuse / prétentieuse / susceptible / potelée / rougeaude / gourmande / insomniaque / flemmarde et nulle en bricolage… il ne m’aurait pas traitée comme ça ! »
Pardon, il se pourrait que je me sois un peu enflammée… Mais c’est parce que, cette question de la possession du corps de l’autre sur laquelle repose le principe d’exclusivité dans la relation amoureuse, je la vois partout à l’œuvre autour de moi. Et c’est quasi-systématiquement les femmes qui en pâtissent, que ce soit dans leur manière de s’habiller, de se maquiller ou de pratiquer une activité : partout où le choix de ce qu’elles doivent faire ou ne pas faire avec leur corps ne leur appartient plus.
Tu es à moi, je t’appartiens, sans toi je ne suis rien…
À travers ce vocabulaire dit « romantique », qui, personnellement, me donne envie de vomir, Liv Strömquist montre très bien comment l’amour devient une sorte de propriété privée – propriété privée qui s’avère tellement aléatoire et limitée dans le temps à notre époque où tant de couples se séparent !
« L’amalgame de l’amour et du sexe a amené les gens à estimer qu’un délit contre le droit de propriété sur le corps de son partenaire est un délit contre l’amour. »
C’est là qu’intervient le lien entre notre société capitaliste de plus en plus individualiste et la relation marchande dans laquelle nous « consommons » aussi nos partenaires amoureux·ses. Comme si nous n’étions plus des personnes entières, comme si nous étions uniquement évalué·es sur la fonction qu’on remplit pour l’autre.
Évidemment que cela produit du stress et de l’insécurité perpétuelle quand l’amour est soumis à conditions ! Quand il est donné sous réserve que l’autre ne ressente pas un manquement dans notre fonction. Évidemment que cela produit de la peur d’être aussitôt remplacé·e par un·e autre, en meilleure forme, un·e autre qui a pour lui·elle l’attrait de la nouveauté.
Jusqu’au prochain ou à la prochaine et ainsi de suite…
« Quoi ? Ma vie ? Ce que je veux ? J’appartiens à mon mari ! Vous pouvez aussi bien demander à ce tabouret à traire ce qu’il veut faire dans la vie. »
Une autre analyse que j’ai trouvée particulièrement pertinente dans la bédé, c’est le chapitre sur le pouvoir des hommes et la force de l’amour des femmes. Le pouvoir que prennent les hommes, rendu possible grâce à la force de l’amour que des femmes leur portent.
C’est l’idée que les hommes réussissent si bien parce qu’ils se nourrissent de la force de l’amour des femmes qu’ils côtoient, et sur lesquelles ils s’appuient dans la logistique du quotidien mais pas que, sans leur rendre en retour le dixième de ce qu’elles leur donnent.
C’est comme ça aussi que les femmes se retrouvent les grandes oubliées de l’Histoire (racontée par les hommes). Les précurseures, les éclairées, celles qui ont fait bouger les choses et dont on ne se rappelle pas le nom puisqu’elles ont été invisibilisées, spoliées. En histoire et géopolitique, mais aussi en médecine, en sciences, en peinture, littérature, musique, poésie…
« Je suis une grande idéologue, mais je suis cloîtrée à la maison, enceinte, pour une éternité pendant que mon mari se fait admirer à la taverne grâce à mes idées politiques ! »
J’lui ai dit t’as raison Ginette, c’est Karl Marx, en plus balèze, en plus honnête, en plus efficace !
Mais y’a pas que Karl Marx bien sûr (Rousseau, Voltaire et Cie).
Au « palmarès des petits amis les plus provocateurs de l’Histoire », Karl Marx ne remporte que le quatrième prix, derrière Sting, Picasso (ce gros bâtard) et… Albert Einstein !
(C’est sûr que vous n’écouterez plus jamais Every breath you take de la même façon… 😱)
Pour ma part, j’ai compris autre chose, de plus personnel, à partir de l’exemple de Victoria Benedictsson. Je ne vais pas vous raconter sa vie, surtout que je ne la connais pas qu’elle est très éloignée de la mienne, et que vous ne comprendriez même pas ce qui a fait que j’en ai compris quelque chose pour moi. Bref.
Je gagne du temps là.
Allez.
Il se trouve que, il y a dix ans, j’ai témoigné en tant que victime de viol au procès d’un homme.
Je précise, il y a dix ans, parce que c’était avant #MeToo et je crois que si ça avait été après, le jugement n’aurait peut-être pas été la relaxe faute de preuve.
Quoique.
Pour en revenir à ce procès, toutes mes copines étaient derrière moi. Qu’elles aient déjà été au courant des faits ou qu’elles l’aient découvert à ce moment-là, toutes me croyaient et toutes approuvaient la démarche que j’étais en train de faire. Avec plus ou moins d’engagement selon leur personnalité, des mots différents selon le vécu de chacune, mais toutes me trouvaient courageuses, toutes me témoignaient leur soutien, sans condition.
Et pourtant, je sentais en moi que ce n’était pas suffisant (pardon mes cops 🙈)
Pour que je me sente forte et légitime d’apporter mon témoignage, il me manquait… la validation de mes amis hommes.
J’ai mis du temps à saisir ce qui m’a manqué à cet endroit-là, à comprendre que, oui, vraiment, j’aurais eu besoin de plusse de reconnaissance, de soutien et de l’approbation de mes amis hommes. Et ça en tant que féministe, laisse-moi te dire que ça me fout les boules. Je veux dire, je réfléchis, je déconstruis, j’ai bossé sur ces sujets. Et pourtant, j’avais besoin qu’un homme valide ma douleur, pour établir que oui elle est légitime.
« On dépend d’une confirmation extérieure, des hommes surtout, puisqu’ils occupent un statut social supérieur. »
Ça me fout la honte, ça me met tellement en colère contre moi-même !
Néanmoins, avec ce que j’ai lu dans cette bédé, j’ai de l’empathie pour cette part de moi qui doute et qui a « si désespérément besoin » d’une approbation masculine. Je comprends que, cette part qui me fout la honte, c’est pas qu’elle est faible, c’est qu’elle cherche à me protéger.
Parce que, dans une société gouvernée par les hommes, elle a parfaitement intériorisé que ce sont eux, au bout du bout, qui décident de la valeur des choses — même de nos blessures.
« Tout simplement parce qu’ils se nourrissent de la force de l’amour des femmes qu’ils côtoient. Tandis que ces femmes restent EN CE MOMENT MÊME chez elles à pleurer / suivre un régime / s’épuiser / avoir des douleurs non identifiées ! »
Pour le reste, je ne suis pas d’accord avec tout, hein. Notamment quand l’autrice compare l’amour à une religion qui nous coupe du réel. Je vois ce qu’elle veut dire — le côté échappatoire, l’extase qui transcende le quotidien — mais moi je crois qu’on peut être amoureux·se sans que cela nous coupe du quotidien des autres, et du monde en général.
« Et si tu oublies encore de m’offrir des fleurs cette année, je te TUE ! »
Et sinon, je n’accroche pas avec les illustrations.
Et c’est pénible pour moi qu’il n’y ait pas de pagination, car j’aime noter les phrases et les idées qui m’inspirent dans les livres que je lis, avec le numéro de page entre parenthèses au cas où j’aie besoin, plus tard, de m’y référer.
Mais peut-être que vous, vous vous en talquez les côtes que les pages ne soient pas numérotées. Qui sait, vous êtes peut-être du genre à tutoyer spontanément les gens, organiser des apéros dînatoires dans votre jardin et dire « pas de souci » ou « nickel, on se tient au jus » lorsque vous prenez congé d’un·e ami·e.
Ça se trouve, même, vous êtes du genre à nager parallèle à la plage ou à balancer le surplus de vinaigrette de vos apéros dînatoires dans les fourrés. Ça s’est vu.
(Attendez, vous nagez parallèle à la plage ? Sérieusement ?)
Qui que vous soyez, lisez cette bédé.
Et revenez m’en parler. J’en ai jamais marre de réfléchir à ce que c’est que l’amour ! 😍
« Une femme choisie au hasard dans la rue sait mieux me consoler quand je pleure que l’homme avec qui je sors depuis quatre ans ! »
Quelques mots pour terminer sur le roman graphique d’Aude Mermilliod, Il fallait que je vous le dise (éd. Casterman, 2019), que j’ai lu aussi ce mois-ci.
Vous souvenez-vous comme j’ai été bouleversée par Éclore, en février dernier ?
Dans Il fallait que je vous le dise, on retrouve la même authenticité, la même délicatesse. Ça m’a fait du bien de retrouver la douceur des dessins d’Aude Mermilliod, après les deux bandes dessinées que j’ai lues pour le fond mais dont je n’ai pas du tout aimé l’illustration (Les sentiments du Prince Charles de Liv Strömquist, donc, et Junk Food – Les dessous d’une addiction d’Émilie Gleason, le mois dernier).
La première partie de la bédé raconte un événement autobiographique d’Aude Mermilliod (son avortement, pour tout vous dire) et la deuxième partie porte sur l’histoire et l’apprentissage de Martin Winckler, médecin militant féministe et auteur, notamment du Chœur des femmes.
Le Chœur des femmes a d’ailleurs été adapté en bande dessinée par Aude Mermilliod en 2021. C’est mon amie Milie qui me l’avait prêtée à l’époque et j’avais adoré. Je vous en avais même parlé dans l’article S’il n’en restait qu’un(e) # janvier 2022.

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La peau de rouget Par Audrey Raveglia 🐡 |
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Et vous, qu’avez-vous lu en juin ?