Écoute-moi mai 2025

Photo : Mon jean noir sashiko est ma joie de mai.

 

Connaissez-vous le sashiko, cet art japonais pour rapiécer les vêtements usés ou déchirés ?
Mon jean noir sashiko est ma joie de mai et le clin d’œil coquin qui a précédé les tartelettes féministes suédoises de mon article de mercredi !

Lis-moi mai 2025

 

J’ai beaucoup porté mon jean noir ce mois-ci même si je suis un peu serrée dedans.
Je le portais le 20 mai quand je suis allée au cinéma voir Partir un jour.
Je le portais le 12 mai au concert de Pierre Lapointe.
Et je le portais aussi le 5 mai qui était un lundi quand, au matin, mon ami Stéphane François m’a écrit :

« La vie sans toi est administrative. »

C’est la plus belle chose qu’on médite m’ait dite en mai. Et ça m’a fait du bien parce que ce mois-ci, clairement, j’avais pas dans mon jeu les lettres de mon mot de l’année.

 

 

 

C’est carré, comme dit Lulu le Grand Lièvre (14 ans). Tu sais qu’en quatre lettres, tu peux faire 27 points si t’as une lettre compte triple sous le J ou 33 points si t’as un mot compte triple ?
Évidemment. Si et seulement si.
Avec lettre compte double sous le J et mot compte triple, je peux même faire 38 points.
Si et seulement si.

 

Sachez que, ce mois-ci, l’expression « c’est carré » si chère à Lucien, a fait son entrée dans Le Petit Robert 2026 – avec « périménopause » et « pelleteux de nuages ».
Comment ça, périménopause n’était pas déjà dans le dictionnaire ?, vous insurgez-vous.

D’après mes recherches, l’expression québécoise « pelleteux de nuages » désigne quelqu’un·e qui passe son temps à rêver et qui n’a aucun sens pratique, quelqu’un·e qui échafaude des projets impossibles sans tenir compte de la réalité.
Édith, Myriam, j’ai bon ?

En même temps, si on rêve pas, si et seulement si on rêve pas, alors quoi ?

 

Street art de Banksy, situé sur Essex Street dans le quartier chinois de Boston, États-Unis (2010).
 
La chanson

 

→ Pierre Lapointe, Tel un seul homme, album « Pierre Lapointe », 2004

 

Au début du mois, mon pote David m’a proposé de l’accompagner au concert de Pierre Lapointe. J’aurais pu vous mettre une chanson de son dernier album, sorti fin janvier 2025, dont j’adore le titre, Dix chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé. Mais celle-là, Tel un seul homme, en concert elle m’a fait des frissons sur les bras et sur mon cœur abîmé.
Après, David m’a dit : tu sais qu’il a chanté cette chanson en duo avec Pomme ?
Et hop, il m’a envoyé la chanson sur WhatsApp quand je reprenais le métro pour Gare-du-Nord.

 

(Ici j’ouvre une parenthèse pour vous dire que, en partant ce soir-là pour rejoindre David, j’ai vu que le dernier train pour rentrer chez moi serait à Gare-du-Nord à 22h26. Le concert débutant à 21h, autant vous dire que c’était mort pour le train ! La SNCF m’informait cependant qu’un service de bus de remplacement était mis en place sur la ligne H. En partant à 23h55 de Gare-du-Nord, ledit bus met précisément 1h25 pour arriver à la gare de l’endroit où j’habite.
Franchement, je comprends pourquoi si peu de banlieusard·es s’aventurent sur Paris le soir. Les banlieusard·es de la vraie banlieue je veux dire, celle où t’as pas une station de métro au bout de la ligne 13.

Peut-être vous vous dites : qu’est-ce qu’elle nous saoule là, avec ses problèmes de la ligne H ?
Je vous prépare à la fin de mon article. C’est pour ça.)

 

Avec David, au concert de Pierre Lapointe à l’Olympia (Paris, 12 mai 2025).

 

Revenons au concert de Pierre Lapointe. C’est toujours une expérience un peu particulière d’aller écouter en concert un artiste que tu ne connais pas, parce que tu es invité·e par ton pote.
Ben c’était l’fun ! comme on dit au Québec.

Le mec est à la fois drôle dans ses interventions entre deux chansons, et émouvant et puissant quand il chante. J’en ai presque oublié ma douleur de la cage thoracique.

 

Et si je vous disais que, même au milieu d’une foule
Chacun, par sa solitude, a le cœur qui s’écroule
Que même inondé par les regards de ceux qui nous aiment
On ne récolte pas toujours les rêves que l’on sème 

 

Évidemment pour s’ambiancer c’est pas ouf. Mais pour se réconforter les un·es les autres dans les affres de la solitude existentielle que nous traversons tous et toutes à différents moments (et parfois en même temps), je trouve que ça fait bien le job.

 

Tel un seul homme, Pierre Lapointe en duo avec Pomme aux Francofolies de Montréal, Québec, en juin 2018.

Le film

 

→ Partir un jour, d’Amélie Bonnin, 2025

 

Ce film, Partir un jour, a été projeté en ouverture du Festival de Cannes, mardi 13 mai 2025. C’est la première fois dans l’histoire du Festival qu’un premier long métrage fait l’ouverture.

Si vous êtes abonné·e à la newsletter de l’extraordinaire revue féministe La Déferlante, vous avez peut-être lu l’interview de la réalisatrice Amélie Bonnin (qui est aussi directrice artistique de La Déferlante), par la journaliste Nora Bouazzouni (que j’aime bien), parue le 9 mai 2025.
Si vous n’êtes pas abonné·e, vous devriez.

Dans cette interview, Amélie Bonnin explique que son film est une adaptation de son court métrage (primé aux Césars en 2023), sauf qu’elle y a inversé les rôles tenus par Juliette Armanet et Bastien Bouillon. Dans le long métrage, c’est une femme qui est cheffe à Paris et qui revient dans son village natal. Dans un film musical, réalisé par une femme (ce qui est rare).

 

« La culture dite « populaire » est souvent absente du cinéma français ou mise en comparaison avec des références plus « intellectuelles » qui auraient plus de valeur. Mais cette culture, quand on n’a pas grandi dans un milieu bourgeois, c’est notre langage. Ce sont les chansons grâce auxquelles on partage des souvenirs communs, qu’on écoute aux anniversaires, pendant les trajets en voiture, en vacances ou pour digérer des peines… »

Extrait de l’interview de la réalisatrice Amélie Bonnin par la journaliste indépendante Nora Bouazzouni (newsletter de La Déferlante parue le 9 mai 2025).

 

Affiche du film « Partir un jour », d’Amélie Bonnin (2025).

 

J’ai été émue par ce film. C’est fin, plein de non-dits pudiques et de poésie.
J’ai pleuré, un peu, et j’ai surtout ri, parce que c’est drôle aussi. J’ai adoré la scène de mimes entre potes où tu dois deviner qui imite la personne (et si tu trouves pas, tu bois).

C’est un film qui m’a parlé, entre le motocross, les routiers, la patinoire et pour que tu m’aimes encore. Y’a des trucs dans la vie qui marchent pas comme on voudrait, des conditionnements qui sont plus forts que nous et des histoires d’amour qui s’arrêtent parfois avant même d’avoir réellement commencé, parce que « l’amour tout seul ne suffit pas » – comme me l’a dit Fred-ma-cops un après-midi il y a plus de vingt ans et je n’ai jamais oublié.

C’est la vie, petit·e.

 

J’avais prévu de vous montrer la bande-annonce du film, qui est chouette, mais j’ai trouvé cet extrait qui passe en musique tout ce que j’ai aimé dans le film. L’amour et la poésie.
La bande-annonce, vous saurez bien la trouver tout·e seul·e !  😉

 

Extraits du film Partir un jour, d’Amélie Bonnin (2025).

 

 

* Note du 1er juin 2025 *

Cette nuit, l’anxiété à la perspective de certains moments à venir m’a submergée j’ai eu une insomnie. Je me suis levée et j’ai attrapé Yoga, d’Emmanuel Carrère, car il me reste 80 pages à lire (sur 400). C’est pas grand-chose mais… ce que je lis est tellement déprimant ! Déjà que je me sens faible et sans énergie ces derniers jours, ça retape un coup sur mon moral. Yoga, ne vous méprenez pas sur le titre : this is NOT a feel good novel.

Lis-moi mai 2025

 

Donc cette nuit, j’ai laissé Yoga déprimer sur mon bureau et à la place j’ai regardé le court-métrage d’Amélie Bonnin sur Arte-TV. Le court-métrage primé en 2023, qui a précédé le long-métrage et porte le même titre, Partir un jour, avec les mêmes comédien·nes (quasi).
Il est chouette. J’ai moins aimé que le long-métrage dont je vous parle ici – parce que je l’ai beaucoup beaucoup aimé – mais c’est vraiment intéressant de relire la même histoire au prisme des rôles féminins et masculins inversés. Observer ce qui change et ce qui reste…

« Il ne suffit pas de quitter les choses pour que les choses vous quittent. »

Julien dans le court-métrage Partir un jour, d’Amélie Bonnin (2023)

 

 https://www.youtube.com/watch?v=HgjEOtNLwPM

 

Juliette Armanet et Bastien Bouillon sont top. Ici c’est la scène de motocross dans le long-métrage. J’adore Bastien Bouillon dans le rôle de Raphaël 🤩
La série

 

→ Good Girls Revolt
Une série de Dana Calvo, sortie en 2016 sur Amazon Prime

 

Alors là, il faut voir Good Girls Revolt, les gens !!!
Cette série m’a été conseillée par ma cops Clea et j’ai adoré. Imaginez-vous le milieu de la presse à New York en 1969, dix ans après Mad Men – autre série que je vous recommande vivement.

C’est génial. La disposition des bureaux qui figure la répartition des rôles, les hommes en haut, les femmes en bas, les toilettes où elles se retrouvent en conciliabules, et puis surtout, la sororité.
C’est hyper rare, une série dans laquelle on ne montre pas des filles qui se font des coups de pute entre elles pour grimper l’échelle sociale, ou, encore plus souvent, pour s’attirer les faveurs d’un garçon. Rhâââ rien que de l’écrire ça m’énerve !

Dans Good Girls Revolt, c’est tout le contraire. Les femmes s’apportent soutien, entraide, empathie, alors qu’elles sont chacune si différentes dans leur éducation et leur façon de se débattre avec le patriarcat. Avec les pères, les patrons, les amoureux.
Tout est génial dans cette série, vraiment, ça me démonte qu’il n’y ait pas eu de saison 2.

 

Dans l’épisode 4, il y a cette phrase (je ne sais plus si c’est Cindy ou Patti qui parle) :

« Life outside the pit is huge. »
La vie en dehors du trou est énorme.

Yes. Et une fois que tu as pris conscience des mécanismes qui t’enferment, une fois que tu as VU l’oppression que tu ne voyais pas avant, tu ne peux plus refermer les yeux et oublier ce que tu as vu.

 

Cindy, Patti et Jane dans la série « Good Girls Revolt ».

 

Il y a aussi Eleanor, avec sa coupe afro et sa robe seventies, qui est tellement mais teeeeellement belle ! Eleanor est interprétée par l’actrice Joy Bryant, qui joue le rôle de Jasmine (la mère du fils de Crosby) dans la série Parenthood. Son visage m’était familier mais je n’arrivais pas à retrouver de où, tellement j’étais parasitée par la pensée « elle est trop trop belle » – qui n’est pas l’idée la plus intéressante dans une perspective féministe.
Finalement j’ai cherché sur Google. Et au-delà de, le visage de l’actrice m’est familier parce que je l’ai déjà vue dans lasérie Parenthood, j’ai appris que :

Eleanor Holmes Norton est une femme qui existe pour de vrai.

Eleanor Holmes Norton a siégé en 1970 au conseil fondateur du Women’s Rights Law Reporter, la première revue juridique américaine exclusivement consacrée au droit des femmes. Elle a signé le Manifeste des femmes noires, un document emblématique du mouvement féministe noir.

 

Joy Bryant joue Eleanor Holmes Norton dans la série « Good Girls Revolt ».
 
Le podcast

 

→ Non ! Lâche ton podcast.

 

Vous vous rappelez mes problèmes de la ligne H du début de l’article ? Bah voilà, on y est.
En rentrant du concert de Pierre Lapointe, dans mon bus de nuit du lundi 12 au mardi 13 mai, je voulais lire. Je veux toujours lire ! Mais y’avait pas de lumière centrale. Personne qui lit. Les gens qui lisent encore aujourd’hui lisent sur leur téléphone portable.
J’ai senti monter la frustration, la colère, puis, cachée derrière la colère, l’angoisse de : mais qu’est-ce que je vais faire pendant 1h25 de trajet si je peux pas lire ??

Cette angoisse, je la connais bien, je la côtoie depuis que je suis petite.
Depuis que j’ai appris à lire.

 

Le jour où j’ai appris à lire, c’était comme une nouvelle naissance.

Avec cette nouvelle naissance est venue la lumière. Le souffle, la vie, la consolation. Mais aussi l’angoisse que tout cela me soit retiré si je ne peux plus lire, si je n’ai plus de livres – ou pas assez.
Voilà pourquoi j’emmène toujours un livre de plusse, partout où je vais, en rendez-vous, en week-end, en vacances, et c’est toujours une négo serrée au moment où Mickaël prépare les bagages.
(Mais oui c’est lui qui fait les valises, je vous l’ai dit mercredi ! → Lis-moi mai 2025)

 

 

Là, dans mon bus de nuit et SANS LUMIÈRE de la ligne H, mon cerveau a mouliné à toute vitesse pour me proposer un plan B qui me protège de l’angoisse du vide : un podcast ! Si je ne peux pas lire je vais écouter un podcast, voilà ! Mais… j’ai pas d’écouteurs.
(Suis-je la seule personne en Île-de-France à ne pas avoir d’écouteurs ?)

Alors comme je n’avais rien d’autre à faire, j’ai respiré. J’ai laissé l’angoisse d’être empêchée de lire être là, dans le bus, avec moi. J’ai écouté ce qu’elle avait à me dire, si tu ne lis pas pendant le temps de trajet, si tu n’écoutes pas un podcast, alors quoi ? Bah alors tu fais rien ! Et ? Et si tu fais rien pendant 1h25 en rentrant de concert après minuit, alors quoi ? C’est quoi le risque ? Ça dit quoi de ta vie, ça dit quoi de toi ?

Waooo.
Doucement, j’ai accueilli la sensation de me retrouver seule avec moi-même sans distraction.

 

J’ai médité.

 

Paris Gare-du-Nord, nuit du lundi 12 au mardi 13 mai 2025. Allez, démerde-toi.

 

*****

 

Et vous, que vous a apporté mai ?