Tu fais quoi toi, quand t’es triste ?

Illustration de Gomargu.

 

Comme chaque année, l’entrée dans l’hiver avant que ce ne soit vraiment l’hiver, les feuilles qui meurent, le ciel bas et le changement d’heure, ne se font pas sans une bonne dose de mélancolie chez moi. Cette année c’est venu plus tard parce que novembre en a eu sa claque de novembre et a enfilé un déguisement de printemps (S’il n’en restait qu’un(e) # novembre 2022).

C’était la fête, je ne pensais presque plus que ça allait venir, et puis quand même, c’est venu. Aux premiers jours de décembre. Quand l’angoisse me prend dans sa toile et me serre la poitrine au moment où le soir tombe, on dirait que mon cœur se vide et je voudrais m’enfuir loin.

– T’es trop sensible mon amour, a dit mon mari.

Bah ouais mais si t’es pas sensible, si tu t’en fous des autres, du monde, de la vie, alors à quoi ça sert tout ça hein ?
N’empêche, si j’étais ta fée Clochette sexy paillettes, vraiment, je m’enfuirais. Je partirais pour un pays de soleil, de mer et de lumière. Mais puisque je ne suis pas fée et que le froid dur est là, j’ai demandé autour de moi, comment font les autres. Cette question que je me pose depuis toujours, depuis l’enfance, depuis que j’ai l’âge de m’en souvenir : comment font les autres ?
Pour vivre, pour aimer, pour manger ?

Comme j’ouvrais ma peine d’un mercredi soir tout triste à une cops très proche, elle m’a dit :

– Mon cœur, je pense qu’il faut que tu manges et que tu dormes maintenant.

J’avais beaucoup de larmes, je cherchais un radeau où m’accrocher et les déposer sans qu’elles débordent. J’ai pensé ce que ça ferait aux océans si tout le monde pleurait en même temps. Ce que ça ferait à la terre si plus personne ne voulait manger ni dormir. Et j’ai demandé à chacun de mes enfants d’abord, puisqu’ils étaient là, dans la cuisine : tu fais quoi toi, quand t’es triste ?
Puis, comme ils avaient fini de dîner et que le repas pour Mickaël et pour moi était prêt mais que son cours de japonais n’était pas terminé (#VisMaVieTousLesMercredisSoir), j’ai pris mon téléphone comme s’il était le radeau à larmes que je cherchais et j’ai posé la même question à mes ami(e)s : tu fais quoi toi, quand t’es triste ?

 

« Quand je suis triste, j’arrête d’être triste et je deviens génial à la place. Véridique. » (Barney Stinson, dans la série « How I met your mother », saison 2 épisode 1)

 

Cette réplique culte de Barney a été mot pour mot et en anglais celle de mon mari – juste après : « bah chai pas… chui jamais triste en fait… ».
Heureusement qu’il y a des gens honnêtes humains à qui il arrive, eux, parfois, de traverser cette émotion désagréable qu’est la tristesse, et grâce à qui j’ai reçu pas mal de réponses.

Je vous en propose ici un inventaire en vrac (comme au magasin bio mais gratuit).

Celles et ceux qui se sont ouverts à moi s’y reconnaîtront et vous aurez en super bonus les techniques des autres. Pour varier. Pour essayer. Avec le souhait qu’elles puissent vous aider dans les moments où, pour vous aussi, le passage est difficile. Pas dans les grands deuils, non, mais tous ces petits moments où votre cœur bat en décalé comme un volet mal fermé.

Quant à manger, parce que ça aussi parfois c’est compliqué – pour moi parfois c’est compliqué – eh bien je partage avec vous une vidéo de SolangeTeParle que j’ai aimée. Qui m’a consolée, décentrée. Peut-être que vous trouverez qu’elle est barrée hein, ça reste Solange, mais moi je l’ai pas trouvée barrée du tout. Au contraire.

Mon mari s’est moqué gentiment : « Évidemment ! Toi ça te parle ! ». Mais comme il dit aussi qu’il aurait « carrément pu tomber amoureux de Solange », je le prends pas mal. Parce que c’est pas les gens barrés qui ont un problème, en vérité. Non. C’est les gens normaux qui tombent amoureux des gens barrés. Eux ils ont un putain de GROS problème à régler !

 

SolangeTeParle : « Aidez-moi à manger (je fouille vos caddies) », 27 septembre 2022.

 

Manger c’est l’amour. Cuisiner c’est l’amour. Voilà pourquoi c’est compliqué…
Mais non Solange, t’es pas la seule ! Moi aussi je me pose ces questions. Et moi aussi je me demande si je suis la seule au monde à me poser ces questions…

∼∼∼∼∼

 

Tu fais quoi toi, quand t’es triste ?

 

J’écoute mes playlists dans ma chambre et je dessine.

Je mange.

Je lis une bédé qui me fait rigoler.

Je fais un long câlin à maman, au Pap’, à tous ceux que j’ai envie de faire un câlin.

Je me dis que ça va passer et j’accueille la petite crise. Je lui dis : « ok, t’es là, mais tu vas partir et moi je serai encore là ». Et surtout je m’active. Je ne la laisse pas faire tout ce qu’elle veut, à la petite crise…

Je mets mes écouteurs et j’écoute de la musique douce et reposante.

Je pense au visage d’une personne aimante et réconfortante.

Je vais marcher en forêt, dans la nature.

 

Mardi 13 décembre 2022. C’est le champ que j’aime, de tout en haut quand je cours. Tant de couleurs qui changent avec les saisons. Un jeudi matin du mois dernier, quand je suis arrivée j’ai vu s’envoler une nuée d’oiseaux dans le ciel, et cette liberté soudaine c’était tellement mais tellement beau ! Et puis mardi dernier, je regardais les arbres de l’hiver sur la droite (la droite c’est le côté où est assis le passager si c’est vous qui conduisez, dans une auto française, je suis obligée de préciser pour les gaucher(e)s qui me lisent), et d’un coup trois biches ont déboulé de la forêt et traversé le champ glacé en faisant des petits bonds. C’était incroyable de voir ça, là, sous mes yeux, et ça m’a fait de l’amour pour toute la journée (c’est pas parce que je regarde pas de vidéos de chatons que je ne sais pas recevoir ce qui m’est offert comme un cadeau). Après on m’a dit que c’était sûrement des chevreuils plutôt que des biches. Mais bon. C’est pas très important si on ne sait pas les différencier. Dans la vie de tous les jours. C’est pas comme la gauche et la droite, voyez.

 

Je sors m’acheter un éclair au chocolat à la boulangerie.

Je prie.

Je reste surtout pas en télétravail.

Je prépare une soupe de lentilles corail avec beaucoup de gingembre frais.

Je fais… RIEN !

J’allume des bougies.

J’accepte que c’est l’hiver et qu’il faut ralentir. J’essaye de ne pas ignorer les signes de l’épuisement (sinon tu risques de prendre un coup de coffre sur le crâne, true story !).

Je descends grave. J’écoute des musiques qui me font pleurer, je pleure à fond et j’écris. Ça me permet d’évacuer ma tristesse.

 

 

Je me sers un rhum ou une vodka.

Je fais le plein de câlins (et de chocolat noir).

Je me rappelle que peut-être si je suis triste c’est à cause de mon SPM*, que c’est un peu pareil tous les mois mais que bientôt je vais avoir mes règles et que de nouveau tout ira bien.
* SPM pour Syndrome pré-menstruel.
Lire aussi : En bad SPM ? Appelle SML !

Je prends un café avec quelqu’un qui me fait du bien.

J’écris.

Je vais courir.

Je lis de la poésie et je pleure. Après je me sens moins seule.

(Ce paragraphe, qui reprend sept choses que l’on m’a dites, c’est ce que j’aurais répondu aussi, je crois, si on m’avait posé la question. Maintenant je fais quelque chose en plusse, une huitième chose, nouvelle, que je ne faisais pas avant. Je pense à quelqu’un qui est mort et que je ne connaissais pas, mais qui est là quand même, quelque part, pour moi, et qui me réconforte.)

 

Poème sans titre dans le recueil « lait et miel », de Rupi Kaur (p.156). Je vous ai parlé de cette auteure indo-canadienne et de ses poèmes sans ponctuation ni lettres capitales dans l’article S’il n’en restait qu’un(e) # avril 2022.

 

Je reste sur le canapé et je caresse mon chat.

J’éclate un pot de Nutella.

Concrètement si j’y arrive, je pleure. Sinon je dors.

J’écoute « I call your name » de Johnny Clegg, et je regarde le clip de « Hello » de Lionel Richie dont le ridicule touche au sublime.
(Je recopie texto ce qu’on m’a écrit.)

Je fais du sport.

Je pense à la fois où quelqu’un a lâché un pet sonore à un moment où c’était trop pas le moment !

J’appelle un(e) ami(e).

Je t’appelle, toi.
(Alors ça c’était vraiment trop bignon. Ça m’a touchée dans mon cœur trop sensible mal fermé.)

 

 

Je mange du chocolat.

J’écoute de la musique qui met bien la pêche, genre Sia.

J’écoute des chansons tristes qui me rappellent des souvenirs et je chiale.

Je vais dormir.

Je prends un bain.

Je m’offre un massage ou quelque chose pour moi, rien que pour moi.

Je sors boire un verre avec des amis.

Je mange du saucisson et je bois du vin.

 

 

Après qu’on en parle, mon mari, qui n’est jamais triste réfléchit, me faire remarquer que le point commun de toutes ces réponses, c’est de faire quelque chose qui nous donne DU PLAISIR. (Sur quoi je m’étonne que personne ne m’ait répondu : je fais du sexe. Peut-être personne n’a osé. Ou peut-être quand on est triste, on n’a pas envie de faire du sexe. Et pourtant…)

Entendons-nous bien que je ne mène pas un combat contre la tristesse.
Cet article n’est pas un plaidoyer pour l’abolition de la tristesse dans la palette de nos émotions.

C’est clair que ça me fait chier de la voir arriver – comme le fou du métro Guy-Môquet que je croisais tout le temps et dès que je le voyais, je savais que c’était mort et qu’il allait venir me parler – mais je ne change pas de trottoir pour autant. Je ne m’enfuis pas devant elle. (Parce que je ne suis pas ta fée Clochette sexy paillettes, vous suivez ? Sinon crois-moi que. Sans l’ombre d’une. Come on Barbie, let’s go party.)

Donc je la vois arriver, la garce, avec sa gueule de carême, avec ses larges yeux cernés, mais comme je suis polie et que je sais par expérience que sinon ce sera pire je lui dis : bonjour tristesse. Je te reconnais, je vois que tu m’as retrouvée, merci pour le message que tu viens me porter. C’est cool. Je l’ai lu, je l’ai entendu, et maintenant que tu m’as dit ce que tu avais à me dire, tu peux t’en aller, on n’est pas obligées de passer l’hiver en tête à tête toi et moi, n’est-ce pas ?
Je comprends que peut-être tu es fatiguée par tout ce trajet qui était difficile et c’est ok que tu te reposes dans le coin là-bas, je t’apporte des mouchoirs et un chocolat chaud, pas de plaid et pas de chaussons parce que j’ai pas de plaid et pas de chaussons, et je vais m’asseoir un peu avec toi. Mais t’installe pas surtout, garde ton manteau car t’as vu c’est pas confort ici, j’ai pas de plaid et pas de chaussons et personnellement je compte bien retrouver de la joie, des paillettes, et l’envie de sortir seins nus sautiller d’un pied sur l’autre.

Et voilà. Après, quand on aura bien parlé ma tristesse et moi, quand je l’aurai bercée et qu’elle aura fini de pleurer, je la laisserai probablement devant Some like it hot ou un autre film avec Marilyn.
Notez que cette idée géniale est valable pour votre tristesse à vous aussi. Vous pouvez, vous devez, ajouter à votre when-I-am-sad-list :

je re-re-re-re-re-re-re-re-re-re-re-re-revois Some like it hot !  🤩

Et si à la fin vous êtes toujours triste (mais ça m’étonnerait), prenez dix minutes, regardez ça :

 

Tina Turner, Proud Mary, Live Wembley 2000.

 

Regarde Tina. Écoute son corps, ses jambes, sa voix, la façon dont elle bouge, dont elle donne. Tina, je voudrais que ce soit moi si j’avais chanté juste, si j’avais eu ce don extraordinaire d’une belle voix. Je te jure, c’est le rêve de ma vie ! J’aurais transcendé la vie des gens avec mes textes, ma musique et ma voix.
Dis-toi qu’en 2000, à la date de ce concert à Wembley, la meuf a 60 ans s’te plaît ! 60 ans !
Non ça suffit, moi j’arrête d’être moi, je veux être Tina. I want to be Tina ! Je veux être Tina avec la petite robe moulante en cuir noir et les talons hauts, et courir sur la scène comme elle fait et être tellement aimée que ÇA PEUT PAS être plusse.

 

*****

 

Et toi, tu fais quoi quand t’es triste ? Tu joues ?
Parce que, personne ne l’a dit mais, on peut jouer aussi. Pour combattre la morosité.