Médiocratie #vendredi 10

Dessin : « Y’a tellement d’inégalités et de souffrance sur les visages ».
Street art dans les rues de Kaboul, Afghanistan, par Shamsia (Ommolbahni Hassani), 2020.
L’assassinat de George Floyd, c’était il y a deux ans déjà. J’avais exprimé ma colère et ma honte dans un article qui s’appelle Mon poing levé.

 

Vendredi 10 juin 2022

J’me ferai croire que tout va bien

 

Avant-hier j’avoue j’étais vénère. Mais hier vous m’avez pas trouvée ramollie ? Ramollie résignée, dans l’idée ? Alors que bon, c’est pas demain la veille que je vais m’assagir et me ranger des bagnoles comme disait ma grand-mère. NO WAY !
Aujourd’hui j’ai envie de vous dire que la vie c’est joli aussi, quand le soleil revient avec tout ce jaune qui fleurit partout. Si tu inclines légèrement la tête, tu vas le voir entre les feuilles et ton épaule qui en a tant besoin se libère alors de son bâillon. Peut-être elle dit des choses, elle chuchote. Elle découvre, elle explore, elle ose… et s’aventurer semble plus facile qu’elle ne le croyait quand elle était toute recroquevillée.

C’est fou comme il suffit d’un rien pour que tout aille bien. Mais ce rien peut prendre du temps.
Incliner légèrement la tête peut prendre du temps si tu n’as pas quelqu’un pour te tenir la main.
Et ? Tellement pressés d’aller nulle part, du temps on en a, non ? Quoi de mieux que de l’offrir à quelqu’un ?

« tu ne te réveilles pas un jour transformée soudain en papillon – la croissance est un processus » (p.87)
Rupi Kaur, le soleil et ses fleurs.

 

Cette chanson, L’Amérique pleure, on dirait qu’elle est désespérée. Et elle l’est en vrai, bien sûr, mais elle porte aussi de la chaleur et de l’espoir. Elle demande : à quoi servent nos vies sans amour ? À quoi sert de courir partout, de faire autant, une tâche puis une autre puis encore une autre, si on ne prend pas le temps de se donner avec joie les uns aux autres ?
Le clip montre un être-ensemble, dans une mixité de corps, de couleurs de peau et d’âges qui me touche. Quand je l’écoute, je pense à toi tout de suite Édith, parce que tu me l’as fait découvrir et que tu es trop loin et je voudrais tellement te serrer dans mes bras !

 

Les Cowboys Fringants, L’Amérique pleure, album « Les Antipodes », 2019.

 

L’Amérique pleure

 

Encore un jour à se l’ver
En même temps que le soleil
La face encore un peu poquée
D’mon quatre heures de sommeil (yeah !)
J’tire une coupe de poffes de clope
Job done pour les vitamines
Pi un bon café à l’eau d’mope
Histoire de s’donner meilleur mine

J’prends le Florida Turnpike
Demain soir ch’t’à Montmagny
Non trucker c’pas vraiment l’Klondike
Mais tu vois du pays (yeah !)
Surtout ça t’fait réaliser
Que derrière les beaux paysages
Y’a tellement d’inégalités
Et de souffrance sur les visages

La question qu’j’me pose tout l’temps
Mais comment font tous ces gens
Pour croire encore en la vie
Dans cette hypocrisie ?
C’est si triste que des fois quand je rentre à la maison
Pi que j’parke mon vieux camion
J’vois toute l’Amérique qui pleure
Dans mon rétroviseur…

Moi je traîne dans ma remorque
Tous les excès d’mon époque
La surabondance surgelée
Shootée, suremballée (yeah !)
Pendant qu’les vœux pieux passent dans l’beurre
Que notre insouciance est repue
C’est dans le fond des containers
Que pourront pourrir les surplus

La question qu’j’me pose tout l’temps
Mais que feront nos enfants
Quand il ne restera rien
Que des ruines et la faim ?
C’est si triste que des fois quand je rentre à la maison
Pi que j’parke mon vieux camion
J’vois toute l’Amérique qui pleure
Dans mon rétroviseur…

Sur l’Interstate 95
Partent en fumée tous les rêves
Un char en feu dans une bretelle
Un accident mortel (yeah !)
Et au milieu de ce bouchon
Pas de respect pour la mort
Chacun son tour joue du klaxon
Tellement pressé d’aller nulle part

La question qu’j’me pose tout l’temps
Mais où s’en vont tous ces gens ?
Y’a tellement de chars partout
Le monde est rendu fou
C’est si triste que des fois quand je rentre à la maison
Pi que j’parke mon vieux camion
J’vois toute l’Amérique qui pleure
Dans mon rétroviseur…

Un aut’truck stop d’autoroute
Pogné pour manger d’la chnoute
C’est vrai que dans la soupe du jour
Y’a pu’ tellement d’amour (yeah !)
On a tué la chaleur humaine
Avec le service à la chaîne
À la télé un aut’ malade
Vient d’déclencher une fusillade

La question qu’j’me pose tout l’temps
Mais comment font ces pauvres gens
Pour traverser tout le cours
D’une vie sans amour ?
C’est si triste que des fois quand je rentre à la maison
Pi que j’parke mon vieux camion
J’vois toute l’Amérique qui pleure
Dans mon rétroviseur…

Ouais, n’empêche que moi aussi
Quand j’roule tout seul dans la nuit
J’me d’mande des fois c’que j’fous ici
Pris dans l’arrière-pays (yeah !)
J’pense à tout ce que j’ai manqué
Avec Mimi pi les deux filles
Et j’ai ce sentiment fucké
D’être étranger dans ma famille

La question qu’j’me pose tout l’temps
Pourquoi travailler autant
Éloigné de ceux que j’aime
Tout ça pour jouer la game ?
C’est si triste que des fois quand j’suis loin de la maison
Assis dans mon vieux camion
J’ai toute l’Amérique qui pleure
Que’que part au fond du cœur

 

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