Un moment parfait

Photo : Sur la petite plage du potier de Vathi (Sifnos, août 2023).

 

Peut-être avez-vous passé « un bel été ». Ou peut-être pas.
Peut-être ressassez-vous ce que vous auriez pu faire autrement, faire mieux, ou peut-être vous demandez-vous encore ce que serait « un bel été ». À quoi ça ressemblerait pour vous. À quoi voudriez-vous que ressemble le prochain.

Maintenant c’est en plein le feu de la rentrée, on est tous et toutes dans le speed et les activités qui reprennent ; pourtant, je vais prendre le temps de vous raconter un moment lent de mon été. Un moment beau que je voudrais garder sur la couverture de mon album photos parce qu’il n’y a pas eu que des moments beaux – chez moi non plus la vie c’est pas Insta.
Un moment merveilleux et fragile comme quand t’as des enfants, ou comme quand t’en as pas.

 

Un matin tôt à Vathi, à l’heure où le soleil compte ses rayons pour la journée avant de faire irruption au-dessus de la colline, j’ai attendu que le Marcass’ (10 ans) se réveille.
Le plus souvent cet été, c’était pas moi la première réveillée, je dois bien avouer. Et chaque soir sans exception, le Marcass’ demandait à son papa de le réveiller le lendemain matin pour descendre au Vathi Market acheter du pain tout seul avec lui. Tout seul avec lui, SON PAPA.

Au début de notre voyage autour du monde, Marcel avait déclaré désormais ouverte :

LA SAISON DES PAPAS !

Je vous en parlais en 2018 dans un article à Bali : Bon tu viens, le Pap’ ?

Le Marcass’ avait cinq ans, et force est de constater, cinq and plus tard, que cette saison des papas n’a jamais pris fin. C’est même devenu une running joke entre Mickaël et moi. Dès qu’il part quelque part, n’importe où, même cinq minutes, faire quelque chose, n’importe quoi, même se brosser les dents, il suffit d’un regard entre nous, parfois juste un clin d’œil :

– Jamais sans mon Chouch !

Le Marcass’ est enthousiaste pour tout – la cuisine, le ménage, le jardin, le bricolage, aller chercher des gyros, couper les ongles, manger un piment, faire du Jo Bingo* en anglais, arracher les mauvaises herbes, recoudre le gros bouton de ma veste en cuir marron, nager 72 longueurs de piscine le samedi matin – du moment que c’est : avec son papa.
Le greffon.

 

* Ouais je sais que c’est pas ça, le nom. Mais j’arrive pas à le fixer. Et puis bon, vous l’avez.

 

Contrairement à ce que vous pourriez penser, cette photo a été prise AVANT la saison des papas. Sur le chemin de Faros à Chrissopigi (Sifnos, août 2016).

 

Rando de fin de journée sur les hauteurs de Vathi (Sifnos, août 2023). Si tu te demandes qui a voulu la même casquette orange que qui…

 

Mais revenons à ce matin tôt où je me suis levée la première et où j’ai attendu que le greffon se dégreffe se réveille. La Petite Souris (14 ans) était partie en soirée dancefloor la veille jusqu’à 2h du mat’ dans les ruelles d’Artémonas avec sa copine Louise et mon pote Arnaud. Il faut bien un adulte pour conduire les ados. Si t’as cru qu’il y avait un service de bus Noctilien dans la montagne !
Bref, ce matin comme tous les matins, la Petite Souris dormait. Son papa aussi, rapport à ce que deux jours avant, il s’était levé pour une rando de dingo à 6h du matin. Tu parles de vacances.

Quant au Grand Lièvre (12 ans), ah là… On ne peut pas dire – vraiment, on ne peut pas – qu’il fasse grand-chose de ses journées mais je suppose que grandir l’épuise. Habiter dans sa tête aussi, si tu veux mon avis. C’est pourquoi l’enfant a besoin de dormir. L’enfant a besoin de dormir BEAUCOUP.
Sinon il risque le coup de mou.
Après il bade sur sa vie.

 

La même photo que je retrouve dans chaque album de mes étés à Vathi. Je ne me lasse pas de cette lumière du matin…

 

… ni de celle du soir !

 

Or donc, ce matin-là, un matin comme celui de la première photo, où j’ai eu du temps pour lire, écrire et répondre à des messages moi toute seule avec un café, j’ai attendu que le Marcass’ se réveille, puis on est descendus ensemble au Vathi Market acheter des trucs à manger pour le petit-déjeuner de celle et ceux qui dormaient encore. On est remontés sans bruit, on a pris nos maillots de bain et on est partis à la nage de la petite plage de Dimitri jusqu’à celle du potier. C’est loin – ça fait toute la baie – on a dû mettre une heure pour la rejoindre.

Quand on est arrivé·e, le potier était déjà ouvert et, les pieds nus et mouillés, on a fait le tour de son atelier. J’ai repéré les tasses que je voulais acheter. Pour moi pour une fois. J’avais pris la décision avant de partir en vacances : cette année, pour la première fois, j’achète des tasses pour moi. Des tasses qui sont belles. Pour moi. Et j’arrête de boire mon café dans ma tasse moche ébréchée sur l’intérieur et le côté, dont l’anse est cassée depuis deux ans.

 

La tasse du potier que j’ai achetée pour moi. Pas ce jour du moment parfait parce que, comme a dit Marcel, on va pas se la mettre dans le slip pour la ramener, mais à la fin de l’été (août 2023).

 

Le Marcass’ et moi, on a marché un peu sur cette plage où il n’y a jamais personne parce que, justement, elle est loin. Ignorée des touristes parce que cachée derrière les rochers et difficile d’accès à la nage à cause de la distance et des courants. Pendant qu’on marchait, un vieux Grec à moustache nous a fait signe de nous approcher près de l’arbre où il se tenait. Avec sa canne, il a cueilli les figues les plus hautes pour nous les offrir. On s’est assis·e sur le sable les pieds dans l’eau pour les manger. On avait les mains mouillées, du sel sur les lèvres, et c’était waoooo. Le goût de la figue devant la mer qui miroitait des mille reflets du soleil.

J’avais envie de dire au Marcass’ quelque chose du genre : tu vois, t’avais peur d’avoir faim quand tu nages parce que tu n’as pas petit-déjeuné, mais tu n’as jamais à t’inquiéter dans la vie parce que tout vient quand tu t’ouvres et que tu fais confiance. Et l’amour aussi.
Mais je n’ai rien dit parce que le moment était tellement beau que je ne voulais pas le gâcher avec des mots. Ensuite le Marcass’ a soulevé ses lunettes de soleil (ici on nage avec) et il m’a dit tout bas avec un sourire à peine contenu :

– Eh maman… regarde discrètement derrière toi le monsieur qui va dans l’eau… il est cul nu !

Alors seulement on s’est souvenu·e que la toute petite plage du potier est aussi la plage naturiste de l’île… On a fini nos figues en attendant que le monsieur ressorte de l’eau pour apercevoir son devant, quand même, et c’est là qu’on a entendu la voix du vieux Grec nous héler depuis son figuier :

– Come ! Come and take more ! Take more !

Alors on est venu·e se réapprovisionner en figues chaudes et gorgées de soleil. Encore et encore. More. Le Marcass’ n’en voulait plus mais il ne fallait pas vexer le vieux Grec, tu comprends. Ça se fait pas, j’ai dit, et j’ai saisi tous les fruits que le vieux me tendait. Évidemment on était arrivé·e à la nage donc on n’avait pas de sachet pour les emporter, mais il ne fallait pas les gâcher quand même. Ça se fait pas ça se fait pas, j’ai répété. Et j’ai tout mangé.

Le goût de la figue.

 

Le figuier du vieux Grec sur la petite plage du potier. C’est vraiment une toute petite plage. Et les figues de ce figuier, c’est vraiment mes préférées.

 

On n’est pas reparti·e tout de suite. Après cette orgie de figues mûres, on s’est allongé·e sur le sable chaud et on a fait l’étoile de mer en ramenant les bras et les jambes pour se recouvrir des petits grains tout doux. On n’a plus rien dit et on n’avait pas envie, ni lui ni moi, que ça s’arrête. La chaleur dans le ventre. La caresse du vent sur le visage. Le clapotis des vagues à nos pieds.
Quand on s’est frotté·e, il est resté une pellicule d’étoiles argentées qui brillaient sur notre peau dorée. C’est l’autre particularité de la petite plage du potier. Elle est naturiste et le sable produit sur la peau des paillettes qui brillent au soleil.

Le Marcass’ s’est remis à parler et nous deux à nager pour rentrer, le courant en face et les vagues qui nous éclaboussaient les yeux sous les lunettes de soleil. Je ne parlais pas trop. La conscience encore bien aiguisée du moment parfait que je venais de vivre. Parfait et précieux comme on sait qu’il y en a peu.
J’ignorais que ce moment parfait trouverait, dès le lendemain soir, son pendant du pire moment. Parce que c’est comme ça que fait la vie.
Cueille les figues tant qu’elles sont là.

 

Avec le Marcass’, à la fin de l’été sur la petite plage du potier. À pied par le sentier, on avait emporté un sac pour les figues et les tasses. 

 

 

Pour éclabousser votre rentrée de la lumière des Cyclades, cliquez sur la photo !

 

 

 

 

 

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Et vous, quel moment parfait avez-vous retenu dans les mailles de votre filet étoilé ?