Photo : Une découverte surprise au matin de mes 41 ans, très près (trop près) de mes yeux, au temple bouddhiste Wat Xieng Thong de Luang Prabang (Laos, 24 mars 2019).
Rien ne m’ennuie plusse – ou presque – que les histoires d’immobilier.
Je vous en ai déjà un peu parlé dans Écoute-moi juillet 2025.
Les projets de déco, les travaux, les discussions sur les avantages comparés du poêle à bois, à mazout ou à granulés, tout ça me fait chier. Et je me rends bien compte que j’ai un truc qui va pas parce que, autour de moi, je vois que les gens s’intéressent. Genre, vraiment. Des gens que j’aime qui s’y intéressent vraiment, qui ne font pas semblant de jouer dans une comédie pour les grands.
Et non seulement les gens s’intéressent à leur propre projet de maison mais aussi, et c’est ce qui n’en finit pas de me surprendre, au mien. On me demande :
– Où ça en est, votre maison ?
Hein ?
D’abord mon cœur se met à taper comme si j’allais faire une crise de panique, j’inspire deux fois coup sur coup sans expirer, et là, dans un souffle, je m’entends répondre des mots dont j’ai appris qu’ils sont attendus avec le sentiment que ce n’est pas moi qui parle, comme si pfffuit ! mes lèvres bougent, produisent des sons, mais moi je suis sortie de la conversation pour aller fumer une clope.
C’est carrément flippant. Je sais.
Je vois bien que c’est pas normal. C’est pour ça que, si j’ai la chance que mon mari soit présent au moment de la question de où ça en est votre maison, je le laisse répondre aux gens et je sors vraiment de la conversation pour aller fumer une clope.
Vraiment avec mon corps, je veux dire. Physiquement.
Comme ça c’est moins flippant.
Un peu moins flippant.
→ Relire Pourquoi tu fumes ?

Quand la maison est finie, la mort entre.
Vous connaissez ce proverbe turc cité par Balzac dans ses Œuvres complètes ?
« Il y a un proverbe turc qui dit : « Quand la maison est finie, la mort entre. »
C’est pour cela que les sultans ont toujours un palais en construction qu’ils se gardent bien d’achever. La vie semble ne vouloir rien de complet — que le malheur. Rien n’est redoutable comme un souhait réalisé. »
Voilà pourquoi (peut-être) je n’ai jamais voulu refaire la cuisine ou faire construire une maison, pourquoi j’ai tant d’angoisse à l’idée d’entreprendre des travaux d’aménagement, pourquoi je préfère vivre comme je vis avec tout un tas de trucs branlants qui marchent pas.
Ma lampe de salon qui clignote en mode stroboscope et rend aléatoires mes lectures la nuit, depuis quoi ? deux ans ? (et non Jean-Mi ce n’est pas l’ampoule, merci), ma porte d’entrée de cuisine qui ferme avec une pince à linge coincée à l’horizontale pour empêcher le vent de s’y engouffrer, le store occultant de la chambre des garçons qui ne remonte plus tout seul, le couvercle de la poubelle retourné sous l’évier pour recueillir l’eau qui fuit*.
* Merci de noter qu’après cinquante-quatre mois de ce régime (oui, cinquante-quatre mois), au moment où on cherche à déménager, mon mec a pris les choses en main et ce problème est résolu. Tout marche trop bien maintenant, il est temps qu’on parte.
Pas d’endroit où ranger mes vêtements – une partie dans l’armoire des garçons, une partie dans celle de la Petite Souris, un peu dans deux tiroirs de ma chambre, le reste dans un carton. J’imagine que c’est comme ça que je me sens rassurée. Quand tout est de bric et de broc, que rien n’est accordé, quand je dois vider tout un placard de cuisine et m’y faufiler jusqu’à la moitié de mon corps pour aller chercher des bougies d’anniversaire dépareillées. Que surtout je n’aie jamais de grand placard d’angle super pratique avec un plateau qui tourne dans une cuisine équipée, une cuisine fonctionnelle. Ah non jamais ! Des fois que la vie deviendrait trop confortable et qu’alors on meure…

Vous venez de lire, avant la photo, les deux paragraphes que j’ai écrits d’une traite dans mon auto, un matin tôt de la semaine dernière où j’étais en avance à la salle de sport.
J’avais pensé que je pourrais, à partir de là, écrire un long article bien clair et détaillé comme je sais le faire parfois, pour vous expliquer pourquoi j’ai de la difficulté avec : avoir une maison.
Pourquoi ça m’irait si bien de vivre dans une chambre d’hôtel ou dans un camion.
J’ai compris beaucoup de pourquois ces dernières années, mais ce sujet de la maison en particulier implique tellement de mon histoire personnelle que je n’ai finalement pas envie d’en éclaircir les contours ici.
Comprenez-moi bien : les sujets que j’aborde dans cette rubrique très spéciale de mon blog qu’est Ma chambre à moi sont toujours des sujets intimes pour lesquels je donne beaucoup. En authenticité et en vulnérabilité. Mais, quand je choisis de le faire, c’est parce que j’ai suffisamment travaillé la question pour savoir que c’est de l’intime qui va être partagé, que vous allez être plusieurs, voire nombreux·ses, à vous reconnaître dans ce que j’écris, à me dire : moi aussi. #MeToo.
C’est toujours de l’intime qui est POLITIQUE.
→ Retrouver les articles de la catégorie Ma chambre à moi
Mais pas là (non pas là).
Là, le sujet de mon rapport avec la maison, c’est de l’intime tout court. Je vois bien quand j’en parle un peu que ce n’est pas partagé, que je suis bizarre. Aussi ai-je décidé de ne pas poursuivre cet article et de vous livrer seulement les bribes griffonnées ce matin-là, les mains glacées dans mon auto. Vous me direz en commentaire si ça vous parle.
Mes mots ou ceux de Balzac.

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(Vous pouvez m’aimer encore, même si je suis bizarre 🤪)





