Photo : La plus belle route dans la forêt, sous la brume, en quittant le lac Towada (Honshu, Japon, 17 août 2024).
La forêt, c’est ce qui m’a le plusse fait rêver cet été au Japon.
Les forêts denses du Tohoku et de Hokkaido qui avalent collines et montagnes comme des océans de brocolis géants. (voilà qui va plaire à mon pote Arnaud 🥦)
Vertes et veloutées.
Smooth comme de la mousse.
Smooth est le mot du voyage.
Tout est smooth au Japon, des forêts aux cloisons des maisons qui coulissent avec une facilité déconcertante, de la texture des mochis aux édredons fluffy qui recouvrent les futons.

« M’offrir la possibilité enivrante d’aller plus loin que mon champ de vision est un privilège que je ressens intensément quand je suis face à l’océan, face à une chaîne de montagnes, face à des prairies illimitées. »(« Horizon », p.145)
Jeanne Cherhal, À cinq ans, je suis devenue terre à terre, éd. Points, coll. « Le goût des mots », 2020.
C’est le livre de Jeanne Cherhal que je lisais cet été le jour où j’ai pris cette photo de romanesco.
Dans les régions du nord du Japon que nous avons traversées, les forêts sont partout.
Elles apaisent le regard et font du bien à l’âme comme au corps.
Elles remplissent ces manques que nous portons en nous comme des poumons supplémentaires.

Les forêts au Japon entourent de leur présence sauvage et mystique les temples, les lacs, les maisons. Et puis aussi : les routes, les plages.





Au Japon, les endroits de nature sont ultra respectés et pleinement intégrés à la vie des êtres humains. J’ai ressenti un mélange d’humilité face à la petitesse de la condition humaine et de ferveur mystique un brin superstitieuse.
Ici on croit aux esprits de la forêt : yokai, kamui, shishi, kodama (esprits des arbres) forment une mythologie complexe très présente au quotidien.
On ne touche pas la forêt et on protège activement les animaux qui y vivent.




Le problème des forêts au Japon, c’est… les ours.
Avant cet été, je ne savais pas qu’il y avait des ours au Japon. Depuis que j’en parle autour de moi, je constate que personnene le sait. À part mon mari, bien sûr, qui m’a fait la leçon tel le Blond de Gad Elmaleh. Tu vois le Blond ?
Non j’vois pas où est le problème euh… bien sûr qu’il y a des ours au Japon euh… c’est totalement naturel j’veux dire y’a toujours eu des ours au Japon euh… y’a rien d’irrationnel, c’est leur habitat naturel, évidemment les ours la forêt euh… les ours vivent dans la forêt, il y a beaucoup de forêts au Japon, donc c’est totalement normal euh… j’vois pas ce qui t’étonne, forêt + Japon = ours j’veux dire euh… c’est complètement surréaliste d’avoir la trouille des ours qui vivent dans la forêt depuis euh… toujours euh… y’a pas de problème euh… c’est totalement naturel…
Ok, le Blond. Merci.
(Si t’as pas la réf’ du Blond mais que tu veux entendre le ton de ce discours blondesque sur les ours, c’est ici, à 3’29. Je t’en prie.)
« Le Blond dans l’avion », extrait du spectacle de Gad Elmaleh, L’autre c’est moi (2005).
Donc oui, il y a des ours qui vivent naturellement dans les forêts au Japon – comme je vous le signalais dans l’article Instantanés du Japon maori.
Et comme les forêts sont très présentes et très proches des habitations et des activités humaines, on croise régulièrement des panneaux qui appellent à la prudence vis-à-vis des ours.





La présence avérée d’ours bruns nous a fait rebrousser chemin dans le Parc national de Daisetsuzan parce que la Petite Souris (15 ans) était terrifiée. Terrifiée au sens de : pleurait à gros sanglots sur la piste de trail.
Évidemment nous aurions pu continuer en mode militaire marche-ou-crève (#ParentsMéchants) mais la panique commençait à gagner les autres enfants. Alors nous sommes redescendu·es de la montagne, moi passablement énervée, et Mickaël a trouvé, au débotté, un plan B, une super balade dans une autre forêt de la vallée des érables qui menait jusqu’à une cascade.
C’était magnifique.

En pleine nature sauvage, l’étroit sentier sinueux, les arbres enchevêtrés, la mousse sur les troncs, le chant électro des cigales et des grillons, l’eau pure et fraîche qui dégringole de la montagne…
Et contrairement au trail du Daisetsuzan où l’on croisait randonneurs et randonneuses consciencieusement équipé·es, ici on était vraiment seul·es tous·tes les cinq dans la forêt.
Bon. Il se trouve qu’au retour de la cascade, nous avons découvert un panneau qui nous avait échappé à l’orée du bois.

Grâce à Google Translate, on a pu lire rétrospectivement l’avertissement 3 suivant :
3- Faites attention aux ours bruns et sonnez votre clochette en permanence pendant que vous marchez.
Voilà voilà.
Un peu plus loin après le panneau, on a trouvé le crâne et les ossements d’un gros herbivore, probablement un cerf ou une biche. Le Marcass’ (11 ans) a voulu lui arracher une dent pour l’emporter en souvenir mais la mâchoire supérieure était encore trop bien attachée au crâne. Il a dû se rabattre sur un tibia.


Aujourd’hui, pour nos trois enfants, l’hôtel de Sounkyo onsen au cœur du Parc national de Daisetsuzan reste « l’hôtel des ours ». Et c’est leur préféré de notre voyage cet été, à cause de la crème glacée d’Hokkaido et du buffet gigantesque des 30 sushis.
De même, les onsen de l’hôtel de Sounkyo onsen sont dits « les onsen des ours », et ce sont leurs préférés également. Comme quoi la mémoire efface les peurs et garde les plaisirs…

Je ne veux pas terminer cet article sans évoquer une pratique japonaise thérapeutique qui s’appelle le shinrin-yoku et qui signifie mot à mot « bain de forêt ».
Les médecins japonais·es préconisent en effet ces bains de forêt en traitement complémentaire de la dépression, ou, et même surtout, en prévention du stress et du surmenage de la vie citadine qui conduisent tout droit au burn-out.
« Prenez le temps de savourer cet environnement et d’écouter les sons qui vous entourent : le chant des oiseaux, le bruissement des buissons, le clapotis des ruisseaux. Respirez l’air pur et parfumé de la forêt. Observez la texture du sol et les formes des feuilles se dessinant contre le ciel. Imprégnez-vous du toucher de la mousse verte tapissant les pierres ombragées ou de l’écorce rugueuse des arbres. Laissez le calme qui vous entoure influencer votre état d’esprit et vous faire oublier l’agitation constante de la ville. »
En France aussi, on commence à parler de sylvothérapie.
Et je crois que je comprends de mieux en mieux ce besoin de déconnexion de la frénésie urbaine et des réseaux sociaux pour une reconnexion au rythme naturel du corps. Plus lent mais plus nourrissant. Moins anxiogène.
→ Pour en savoir plus sur le shinrin-yoku :

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Précédemment
Petits récits nippons : 4- Les bains au Japon
À suivre
Petits récits nippons : 6- La plage au Japon
Avez-vous déjà pris un « bain de forêt », où que ce soit ?
Marcher en forêt a-t-il aussi sur vous cet effet apaisant, voire antidépresseur ?
Et sinon… entre nous, loin des oreilles du Blond… saviez-vous qu’il y a des ours au Japon ?