Photo : Quartier de Harajuku à Tokyo (Honshu, Japon, 22 août 2024).
Quand on voyage au Japon depuis la France, on atterrit d’abord à Tokyo. Parfois à Osaka, à la limite, si on sait où on va, mais l’immense majorité des voyages au Japon commence à Tokyo.
Si vous ne connaissez rien de Tokyo (et si vous connaissez tout de Tokyo aussi), je ne peux que vous recommander sur Netflix la série japonaise « Midnight Diner : Tokyo stories », qui raconte des histoires de vie liées à un plat en particulier. Le narrateur est le propriétaire d’une petite izakaya du quartier de Shinjuku, à Tokyo, qui n’ouvre que la nuit, de minuit à 7h du matin, et propose à ses client·es de leur préparer le repas qu’ils ou elles souhaitent dès lors qu’il dispose de tous les ingrédients.
J’ai adoré cette série en deux saisons de chacune dix épisodes de 25 minutes. Sur ces vingt épisodes, pas une seule fois Mickaël & moi n’avons sauté le générique. Alors qu’il dure deux pleines minutes. Et que pour les autres séries on le fait tout le temps.
Le générique de cette série dit tout ce qu’est Tokyo pour moi. Le contraste entre les images qui se succèdent rapidement pour montrer la densité de la circulation même la nuit, les gratte-ciel d’une capitale ultra moderne, les néons, le monde virevoltant, et, en même temps, la bande son lente et douce, acoustique, nostalgique. C’est ce en même temps qui fait Tokyo pour moi.
Ce en même temps riche de complexité et de paradoxes, source de tant d’étonnements.
Ce en même temps dans lequel se rejoignent le four ET le moulin de ma dernière newsletter (Newsletter 136 # 3 novembre 2024).
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Générique de la série « Midnight Diner : Tokyo Stories ».
Étonnement n°1
Comment Tokyo peut-elle être cette mégalopole survoltée, et, en même temps, si calme ? Si paisible, si tranquille, si discrète ?
C’est un grand écart qui paraît impossible à expliquer. Comment la circulation automobile dans Tokyo peut-elle être si tranquille ? Sans jamais un klaxon, une insulte ou ne serait-ce qu’un mot plus haut que l’autre ?
Comment n’y a-t-il pas d’accidents alors qu’il y a beaucoup beaucoup de vélos en circulation et jamais de casque ?
Comment se fait-il que dans ce pays, les autos, toutes les autos, ralentissent et s’arrêtent pour laisser passer les piétons aux passages piétons, même quand il n’y a pas de feu ?
Ce respect fondamental inscrit dans l’ADN de chaque Japonais·e à la naissance est l’explication qui me paraît la plus plausible. Au Japon, les gens ne se doublent pas dans les files d’attente. Qu’ils soient à pied, à moto ou en auto, ils n’essayent pas de passer en force en te faisant un gros doigt. Jamais. Ceci ne s’est jamais vu. D’où mes deux indices.
Indice 1 : le Japon fait partie du TOP 5 des pays du monde au plus bas taux de criminalité et d’agressions dans la rue.
Indice 2 : au Japon, les gens sont civilisés et respectueux. Personne ne fait quelque chose, même froisser un papier, qui risquerait d’importuner quelqu’un·e.
Point d’interrogation suivant (soulevé par mon mari) : que ressentent les touristes japonais·es à Rome ?
Quand à peine sorti·e de la gare de Rome-Termini, t’es déjà assourdi·e par les sirènes des carabinieri !
→ Relire S’il n’en restait qu’un(e) # novembre 2022
Φ→ En vidéo : happening au hasard dans le quartier de la gare de Tokyo
https://youtube.com/shorts/4nd432UmCmw?feature=shared
Φ→ En vidéo : Shibuya crossing
https://youtube.com/shorts/-1LBNQ75lWc?feature=shared
Étonnement n°2
Comment Tokyo peut-elle être cette fourmilière urbaine surpeuplée, et, en même temps, si propre ?
J’écris ici mon étonnement n°2, mais en vérité, quand tu viens de Paris et que tu débarques à Tokyo, c’est ce qui te choque en premier. Le Japon c’est propre. Tokyo c’est propre. Inhabituellement, étonnamment propre. Même dans les grands rassemblements populaires comme au Festival de feux d’artifice de Sumidagawa dans le quartier d’Asakusa, à Tokyo.
Regardez toutes mes photos, toutes mes vidéos dans les rues : je vous mets au défi d’y trouver un seul déchet par terre. Regardez la photo d’en-tête que j’ai choisie pour mon article Raconte-moi le Japon !
C’est un bout du quartier d’Asakusa le soir. Alors même qu’il n’y a pas de poubelles dans les rues. Jamais. Pas de poubelles non plus dans les transports, les squares, les parcs, nulle part. Mettez vos déchets dans votre sac et trimballez-les jusqu’à votre hôtel ou appart’ de location le soir parce que c’est comme ça ici. Ambiance maori.
Indice 1 : interdiction de manger ou de boire dans la rue.
Indice 2 : interdiction de fumer hors des endroits prévus à cet effet.
Et personne ne transgresse, cf. Étonnement n°1, indice 2.
Voilà pourquoi Tokyo est si propre. Personne ne jette son chewing-gum, son mégot ou le papier d’emballage de son onigiri par terre. Parce que : risque élevé de mourir de honte sous le poids de la désapprobation collective.
Point d’interrogation suivant (de nouveau soulevé par mon mari dont je commence à me demander s’il ne cherche pas à dessiller mes yeux sur l’Italie) : que ressentent les touristes japonais·es à Naples ?
Étonnement n°3
Comment Tokyo peut-elle être cette capitale ultra urbaine à la pointe du high tech, et, en même temps, si attachée à la nature et aux pratiques traditionnelles ?
Indice 1 : la culture japonaise est très respectueuse des savoirs anciens et considère l’équilibre physique, mental et spirituel comme indissociable pour l’être humain.
Indice 2 : il existe au Japon des croyances anciennes qui demeurent fortement enracinées aujourd’hui en l’esprit du végétal et les divinités de la nature (kamuy, yokai…).
On le sent de manière puissante dans tous les films de Miyazaki, et si vous n’avez encore jamais vu Princesse Mononoké, qui est le film préféré de la Petite Souris (15 ans), c’est le moment !
Ce qui surprend, à Tokyo, c’est la coexistence dans un même lieu de deux mondes qui sont à l’opposé. Les temples de la consommation où l’on cède avec facilité au bien-être matériel à court terme versus temples bouddhistes et sanctuaires shintoïstes, où l’on recherche un bien-être spirituel, en quête d’épure et de sens.
Cette contradiction, cette équation insoluble qui oppose les grands buildings high tech et, au milieu, la nature préservée des jardins de Hama-rikyu dans lesquels nous avions passé du temps en mai 2019, lors de notre première fois à Tokyo. Ou bien encore, le supermarché aux couleurs criardes Don Quijote, ouvert tout la nuit, en plein cœur d’Asakusa, le quartier pourtant le plus joliment préservé de Tokyo.
Aller à Don Quijote ?
Nous l’avons fait pour vous pour répondre au désir de shopping et de rapporter des cadeaux-souvenirs pour ses copines de la Petite Souris.
Imaginez un gigantesque magasin ouvert 24/24 avec plein de petites allées, qui vend de tout a priori moins cher, genre Action en France. (Mon conseil pour vous : en fait non, c’est de la grosse merde et en plusse c’est pas moins cher que si vous allez dans des petites boutiques locales qui demandent certes de la curiosité, avec le risque de se perdre un peu, mais qui au moins ne sont pas des attrape-touristes de masse.).
Chez Don Quijote, tout est en vrac, superposé, saturé. Les multiples rayons maquillage où tous les produits sont mélangés côtoient sans aucune cohérence les canettes de bière et les sachets de crevettes séchées, les cartouches de cigarettes à côté des produits pour lentilles de contact.
Ça fait vraiment l’effet d’un temple de la débauche hypnotique, aux néons clignotants et au même jingle publicitaire qui passe en boucle à la gloire d’une hyper-consommation rendue possible à toute heure du jour et de la nuit. Blindé de touristes (on y entend toutes les langues) mais aussi de Tokyoïtes selon le type de marchandises vendues à chaque étage.
La profusion et le bazar des rayons est difficile à imaginer et à supporter, même pour une fashionista des magasins comme la Petite Souris.
En sortant après une queue de plusieurs dizaines de mètres pour payer ses articles, elle en pouvait plus. Elle a dit – et je l’ai noté dans mon carnet :
– C’est horrible wesh ! On dirait même pas qu’on est au Japon. Y’a trop de choses partout, trop de monde, y’a pas de prix indiqué, c’est bad le bordel… Plus jamais je retourne dans un Don Quijote, frère !
Incroyable. Même Garance, s’te plaît ! Et encore, le Don Quijote de Asakusa que nous avons expérimenté n’est pas le plus grand : il existe le Méga Don Quijote Shibuya Main Store, dans le quartier bien touristique de Shibuya, qui s’étend sur 5 522 m2 sur huit étages !
À l’opposé, contraste poussé au paroxysme, dans le même quartier de Shibuya, juste à côté de la gare hyper fréquentée d’Harajuku, à quelques enjambées des love sex hotels et bars à hôtesses de Kabukicho (le quartier chaud de Tokyo), se trouve Meiji-Jingu, un sanctuaire shinto dédié aux âmes de l’empereur Meiji (qui régna de 1867 à 1912) et de son épouse l’impératrice Shoken.
Construit en 1920, attenant à l’immense parc Yoyogi, le sanctuaire est entouré d’une forêt dense, composée de plus de 120 000 arbres représentant 365 espèces différentes. C’est un lieu vivant où de nombreux rituels et cérémonies traditionnelles shintoïstes se déroulent toute l’année.
Au-delà des mariages, les onikkusai, ou offrandes de nourriture aux divinités, ont lieu tous les jours à 8h et à 14h et offrent un aperçu de la spiritualité japonaise.
C’est un lieu qui ne ressemble à rien de ce que l’on connaît en France, et tellement calme qu’on n’a pas du tout l’impression d’être en ville. On accède au sanctuaire par une vaste allée bordée de chaque côté par des fûts de saké et des tonneaux de vins français. J’ai appris que le saké, boisson traditionnelle japonaise, joue un rôle important dans les rituels shinto car il symbolise le lien entre les êtres humains et les divinités. Et les tonneaux de vins français, eh bien ils sont offerts chaque année depuis 2006 par la région Bourgogne en hommage à l’empereur Meiji, curieux des cultures occidentales, qui appréciait particulièrement le vin français.
Étonnement n°4
Pourquoi les Tokyoïtes de tout âge promènent-ils et elles leur chien en poussette ?
Indice 1 : parce que Tokyo est si propre qu’il est inenvisageable qu’un chien défèque dans le caniveau (cf. Étonnement n°2).
Indice 2 : parce que Tokyo est une fourmilière urbaine surpeuplée (re-cf. Étonnement n°2) dans laquelle il n’y a pas de place pour les animaux de compagnie.
Donc oui, à Tokyo et ailleurs au Japon, on promène son chien dans une poussette, un landau, voire un porte-bébé. Eh oui. J’ai même vu des gros chiens type Shiba Inu, ceux qui ressemblent à des renards. Bon, là on s’entend que c’était dans un landau, pas un porte-bébé, hein.
Je n’ai pas pris de photo parce que j’avais pas envie d’aller demander l’autorisation aux promeneurs·euses de chiens (chiennes ?) pour vous montrer après, comme si je les jugeais. Qui je suis pour juger ? Ça se trouve, tenir un chien serré contre sa poitrine, ça rend heureux·se ?
Je peux pas savoir, j’ai jamais essayé.
Et puis surtout, je ne vais pas juger parce que, ici au Japon, tu peux traverser n’importe où dans l’herbe, avancer les yeux fermés sur n’importe quel trottoir, jamais toi ou tes enfants ne risquez de marcher dans une merde de chien. JAMAIS. Cette situation n’existe pas. Ici tu peux faire ton footing où tu veux et jamais, jamais croiser un chien tout fou qui d’un coup débaroule et manque de te faire tomber.
→ Relire Dégage ton iench !
Rien que pour ça, je voue aux Japonais·es une gratitude infinie, et s’ils et elles ont envie de porter leur chien sur le ventre, sur le dos, sur la tête, entre les jambes ou en bandoulière, j’applaudis des deux mains !
Après, l’autre particularité chelou à Tokyo, c’est des endroits dédiés où caresser des animaux de compagnie quand t’en as pas chez toi. J’avoue que moi j’aime pas trop les animaux de compagnie ; je préfère les cochons, les loups et les girafes. Évidemment c’est un poil plus compliqué comme compagnie quand t’habites en ville. Alors à Tokyo on a trouvé un micro-pig café. Avec des cochons nains. Je vous en parlais dans mon article Japon façon guide : le Nord.
Φ→ Courte vidéo dudit micro-pig café d’Harajuku sur ma chaîne YouTube :
https://youtube.com/shorts/r6WV_yb4EDA?feature=shared
Tu payes par tranches de dix minutes. C’est renta – comme disent les ados chez moi. (En fait non. Ça coûte une blinde. Tout ça pour qu’un cochon nain, qui est finalement de la taille d’un petit chien, te fasse pipi dessus.)
En mai 2019, nous sommes allé·es dans un café à chats de Shibuya. C’était chiant comme un film de Kurosawa non pardon j’ai rien dit. Les enfants ont aimé. En sortant, le Marcass’ (qui avait alors tout juste six ans) a demandé :
– Si on revient au Japon, on pourra aller dans un café à cochons ?
En revenant au Japon cet été, nous avons donc réalisé son souhait : aller dans un café à cochons. En sortant, le Marcass’ (qui a maintenant onze ans) a demandé :
– La prochaine fois qu’on ira au Japon, on pourra aller dans un café à hérissons ?
Le désir n’a pas de fond. La confiance qu’il a qu’on retournera au Japon, non plus.
Ari nezumi, m’a-t-il dit. Pour hérisson.
Ari nezumi, littéralement, ça veut dire souris à aiguilles.
C’est mignon mais non. À un moment il faut apprendre à dire non.
Étonnement n°5
Comment la jeunesse tokyoïte peut-elle sembler si libre de s’affranchir des codes normatifs en matière d’habillement, de croyances, de sexualité, et, en même temps, ne jamais renverser les normes sociales du travail salarié et du mariage qui se fera quelques années plus tard ?
Je n’ai pas d’indice. Je ne comprends pas.
Pourquoi, après la liberté, remettre les chaînes, rentrer dans le rang qui va nous effacer. La fable Le Loup et le Chien, vous l’avez ?
Mais en tout de tout, ce que j’ai préféré à Tokyo, c’est le piou-piou-piou du métro. Je vous en reparlerai. En attendant, voici mon petit plaisir cadeau…
Φ→ Le piou-piou-piou du métro de Tokyo :
https://www.youtube.com/shorts/LFCF-L0sufg
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Et vous, aimez-vous Tokyo ?
Aimeriez-vous y aller et pourquoi ?