Newsletter 90 # 28 novembre 2021

Dessin de Aurel.
Après les spéciales promos pour les vaccinés dans les centres commerciaux, la pipe cadeau. Et pour les femmes, on propose quoi en récompense de l’injection ? Une épilation ?
Putain.

 

Faut marcher dans les clous

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https://www.youtube.com/watch?v=oqaiH8iBZ5g

Damien Saez, J’accuse, album « J’accuse », 2010.

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Ça va, c’est qu’un(e) pass(e)

 

Salut les abonnés !

 

Depuis que j’ai moi aussi un pass sanitaire pour six mois, clairement j’ai été upgradée dans la société. Du jour au lendemain, j’ai retrouvé des droits, maintenant on dirait que j’ai un badge GOOD PEOPLE collé sur la poitrine. Je pensais que ça me libèrerait d’un poids immense, la pression d’avoir à me justifier en permanence, mais pas du tout. Ça me dégoûte en fait.
Je repense à début novembre, en vacances, quand on s’est arrêtés dans un McDo de sortie d’autoroute. Je ne suis pas rentrée, j’ai attendu dehors que mon mari et mes enfants commandent à emporter pour manger sur les tables à l’extérieur. Mais ça n’a pas été possible. L’hôtesse du DoMac est venue me dire (sans masque) que je ne pouvais pas rester si je n’étais pas vaccinée.

– À l’extérieur, là où il n’y a personne ?
Non, vous n’avez pas le droit de rester là. Sauf si vous êtes vaccinée bien sûr.

Le jeune équipier qui nettoyait les tables en était malade. Il est venu me voir quatre fois dehors pendant que Mickaël et les enfants attendaient, des plombes, la commande à emporter plus loin. Il m’a suggéré toutes sortes de ruses pour que je puisse entrer quand même, que j’enregistre le QR code de Mickaël dans mon téléphone, vous pouvez, y’en a plein qui le font, on scanne mais on vérifie jamais les noms, ou bien que je montre la copie d’un PCR valide, même si on vous l’a envoyé sur WhatsApp, pour nous c’est bon, ou sinon que je me fasse faire un papier qui certifie que je ne peux pas me faire vacciner pour raisons médicales.
Je souriais en l’écoutant. Il était tellement gêné que je n’aie pas le droit de m’asseoir à une table en bois, le pauvre.

Mais je ne triche pas, c’est ce que je lui ai dit.
En vrai c’est moi qui ai de la peine pour toi parce que tu as été contraint de te faire injecter pour garder ton job minable dont tu as cependant besoin pour payer tes études, ton appart ou je ne sais pas. Et je m’autorise à le formuler de cette façon parce que je suis sans jugement sur toi : il se trouve que j’ai moi aussi travaillé au McDo, je sais à quel point c’est de la merde.

Alors non, je ne ferai pas semblant d’être vaccinée.

Pour gagner quoi ? Une place à la table de la société, à se faire mettre à se faire baiser comme dit Saez, contre perdre qui je suis et ma confiance en moi ?
No way. Je refuse.
Je vais continuer de décider moi-même quand et par qui me faire baiser. Je vais damer mon McDo dans le caniveau et ce sera juste, parce qu’en vérité, c’est exactement là qu’il sera à sa place d’aliment poubelle que, si on avait un tant soit peu de respect pour notre corps, on ne devrait même pas toucher. Et voir le monde dans sa réalité crue, c’est enlever le voile qu’on met dessus pour pas se faire mal aux yeux.
Faire sauter les filtres.

Je sais que l’ultra-majorité de mes lecteurs sont vaccinés, et c’est pas contre vous, mais aujourd’hui j’en ai marre de la fermer. Et puis j’imagine que vous non plus vous ne comptez plus le nombre de personnes vaccinées qui ont chopé le covid dans votre entourage.

 

Dessin de Salch.

 

La question qui demeure finalement, c’est : la fellation promise peut-elle être administrée par un(e) non-vacciné(e) ? Non parce que quand même, la salive tout ça, il paraît que c’est achement dangereux.
Question subsidiaire : baiser avec une non-vaccinée MAIS qui a guéri du covid, est-ce que ça va ? WTF ?? Mais tu veux dire quoi ? Ça va quoi ? Explique-moi.

Quand j’ai démarré ma sexualité, on mettait (ou on aurait dû mettre) du plastique sur la bite et c’était safe. Désormais, il faudrait s’emmurer tout le corps sous une capote pour plus avoir peur. Et surtout le cerveau. Pour qu’il soit protégé du doute, de l’esprit critique, de la confrontation à l’altérité, à la différence des autres, les fous qui pensent pas pareil.

Ce que je ne comprends pas, ce que je ne peux pas, ce que je ne veux pas comprendre, c’est pourquoi on exige un pass sanitaire pour entrer dans la bibliothèque du bout de ma rue où il n’y a jamais plus que trois pelés un tondu (c’est moi) et où, en plus, on garde le masque, pareil pour le cinéma indé, pour les mêmes raisons – trois pelés un tondu qui gardent le masque pendant toute la séance alors que bon, qu’est-ce qu’il va se passer si tu l’enlèves ? Ton voisin de gauche va se jeter sur toi pour te rouler une pelle ? – pourquoi là il faut un pass sanitaire donc, comme au musée de la ville voisine où je ne peux pas accompagner la sortie scolaire de mes enfants, alors que, dans l’énorme centre commercial qui s’appelle Art de vivre pour le nommer, dans lequel tu emmènes ta fille de 12 ans et demi un samedi après-midi parce qu’elle veut acheter un cadeau d’anniversaire pour sa copine et qu’elle t’a suppliée et tu fais l’effort parce que tu veux lui faire plaisir, là, personne te demande rien. Il fait tellement chaud que tout le monde a baissé son masque sur le menton pour pouvoir respirer, t’es au coude à coude avec les gens chez PicWicToys parce que : guess what ? c’est re-bientôt Noël, puis tu entres dans l’imposante librairie dans laquelle tu as travaillé trois ans et qui s’appelle Le Grand Cercle pour bien la nommer aussi. Les allées de circulation ont été réduites, l’espace optimisé au maximum, tu te retrouves au corner « bien-être / ésotérisme » où tu patientes ta race pendant que ton ado adorée choisit des pierres lunaires aux super pouvoirs pour sa copine, et tu n’es plus au coude à coude, non, dans un espace si étroit et si fréquenté, tu es cul à cul avec les gens. Tu sens leur souffle.

Les choix politiques qui sont faits m’échappent. Ou est-ce au contraire que je les saisis parfaitement : la crise sanitaire ne touche pas les centres commerciaux. Non. Parce que le covid ne s’attaque qu’à la culture, la bibli, le ciné, le musée, c’est un virus qui n’est pas intéressé par l’argent. De sorte qu’il ne faudrait surtout pas empêcher les moutons d’aller consommer.
Tant qu’on dé-pense, tant qu’on dé-com-pense, surtout on ne pense pas. Sinon dès qu’on pense vient le risque qu’on décompense. L’aîné de mes garçons travaille (à distance) sur les préfixes, figurez-vous. C’est pour ça, je sais. « Dé » est un préfixe contraire, comme « in », « ir », « mal ». Favorable vs défavorable. Agréable vs désagréable. Construire vs déconstruire. Penser vs dépenser, voyez. Ne plus penser.
Arrêter de penser.

 

Dessin de Marko.

 

Enfin demain, après trois semaines de confinement pour tests négatifs, Lucien va retourner travailler ses préfixes à l’école et Marcel tout ce qu’il veut du moment que ce n’est pas avec moi. Avant-hier dans la file d’attente du labo, ils faisaient des incantations pour être testés positifs et rester encore à la maison.
Ouf que non.
Trois semaines en pyjama à se raconter des histoires et se coucher tard, se lever entre 10h et 11h le matin les cheveux en pétard, se brosser les dents une fois par jour et se laver, allez, deux fois par semaine. Ils ont partagé leur temps entre jouer au Monopoly, manger le plus de clémentines chacun, inventer des mondes, se disputer, et, surtout, rester vautrés sur le canapé à dévorer des piles de mangas et autres BD – essentiellement Calvin & Hobbes, Gaston Lagaffe et vaguement un Lucky Luke de temps en temps.

 

J’ai l’impression d’avoir passé le mois de novembre dans une tour.

 

Audrey

Des mots d’amour par satellite

 

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