Newsletter 77 # 14 mars 2021

Photo : Œuf poché sur bubble & squeak (février 2021).J’ai découvert le bubble & squeak en lisant « Ce que je ne veux pas savoir », de Deborah Levy. J’ai fait des recherches, expérimenté dans ma cuisine… La photo que vous voyez ici est mon troisième et dernier essai, le plus inspiré à ce jour.

Le mensonge de la simplicité

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https://www.youtube.com/watch?v=WfEol4_piq4

Thomas Fersen, Croque, album « Pièce montée des grands jours », 2003.

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C’est mon estomac qui pleure

 

Salut les abonnés !

Je ne connais pas bien Thomas Fersen. Je sais juste qu’il a fait un duo avec Jeanne Cherhal il y a longtemps (Alfred je te trouve un peu raide 😉 ) et que Croque est ma chanson préférée de lui.
Moi je suis devenue dingue pour un croque-madame-mademoiselle. Je te jure. Dingue.
Parce que c’est loin d’être simple, un croque qui te nourrisse vraiment. Quand il te manque l’audace d’agir selon ton cœur, avec tes vraies couleurs, ta profondeur, c’est pas que ton estomac qui pleure…

On a tous les mêmes placards de cuisine à l’intérieur. Mais créer du rêve, faire la différence avec ces ingrédients de base que l’on porte en soi, c’est le contraire de simple.
Œuf poché, tah dig, spaghetti cacio e pepe… Ce n’est pas qu’un œuf, du riz, des pâtes au poivre. C’est d’abord croire à une vision plus vive, plus audacieuse, de la réalité ordinaire. Voir au-delà de l’œuf, du riz, des pâtes au poivre. Puis c’est, à chaque essai, oser se jeter dans le vide sans savoir si ton parachute va s’ouvrir et que tu vas voler le corps léger soulevé par la grâce, ou si tu vas t’écraser et te faire une tendinite de la fesse comme mémé (je m’excuse, ça arrive).

Parce que tu ne peux pas réussir un peu ton œuf poché, ton tah dig, tes spaghetti cacio e pepe. Soit tu les magnifies, soit tu les plantes totalement. À chaque nouvel essai. Et le lâcher-prise que ça demande, même pour un seul ingrédient, un œuf, la confiance, c’est tout sauf simple.

La simplicité n’est pas la simplicité, c’est pourquoi je l’appelle la simplicité.

Ce n’est pas de moi, c’est la leçon du Sūtra du Diamant que j’ai apprise dans le Petit traité de l’abandon, d’Alexandre Jollien, que mon amie Marie m’a offert il y a quelque temps.
Chaque page de cet opuscule de réflexions « simples » ordonnées en courts chapitres (le désir, la peur, la rencontre, la comparaison…) te parle de ta vie. Des émotions complexes et troubles que tu veux pas voir parce qu’elles font mal aux yeux. Évidemment si comme moi tu lis la nuit, faut pas mal laisser infuser la journée. Y’a matière à beaucoup réfléchir quand tu cours, quand tu cuisines…

La simplicité n’est pas la simplicité, c’est pourquoi je l’appelle la simplicité.

Ça a l’air fumeux comme ça, mais c’est une sorte de mantra qui aide à la non-fixation.
Ça dit : à partir du moment où je crois quelque chose sur quelque chose, sur quelqu’un, sur moi-même, je le fige sous cette étiquette, je l’enferme, je l’empêche d’évoluer, je le tue en quelque sorte. Or la vie change, les autres changent, nous-même on change.
Et on est infiniment plusse que ce que l’on croit.

 

C’est comme les gens qui te disent :

– Oh mais moi je suis quelqu’un de simple, j’ai des plaisirs très ordinaires…

Ou l’inverse. Enfin. Après t’apprends à les connaître et tu te dis : c’est ça ouais (mon cul la balayette) ! Plus compliquée tu meurs, même toi ça te fait perdre tes moyens. Alors que. T’as bon niveau quand même.

Donc pour moi, l’œuf poché qui se réclame de la simplicité, c’est un peu cette personne qui s’auto-considère prolo, et un beau jour, comme ça, à froid, sans préparation aucune, à la place de, je sais pas moi, « mon cul la balayette », elle te dit : balivernes !
Nan mais s’te plaît. Balivernes !

Ou bien dans sa besace tu découvres des albums de Béatrice Poncelet. Ça interroge.
(Si vous ne connaissez pas Béatrice Poncelet, c’est ok. Ça ne dit rien de vous, ni prolo, ni intello. En revanche si vous connaissez, ou pire, si vous aimez, je suis désolée mais vous n’êtes pas un œuf dur. Et pas au plat non plus, non. Vous êtes un œuf poché. Au moins. Montrez-moi vos ongles qui croient qu’il y a du cambouis dessous, vos mains trop douces.)

 

Mais bon. Je sais comme il est difficile de secouer nos livres préférés que l’on garde bien rangés devant. Ceux qui déploient à qui veut l’entendre l’histoire qu’on se raconte sur nous-même depuis à peu près toute notre vie. Moi je suis comme ci, je ne peux pas accepter ça. Je crois ci, j’aime pas ça. On se fige et on s’enferme nous-même comme on enferme les autres. On meurt.

Regarde l’œuf poché. De l’extérieur, il est tout blanc. Si tu n’en as jamais vu, si tu le regardes comme un enfant, tu n’as aucune raison de croire qu’il est pas blanc aussi dedans. Pourtant quand il s’ouvre, il est jaune et il coule (s’il est réussi et que ton parachute s’est ouvert aussi).
C’est la surprise, la joie de l’inattendu, ce jaune qui coule c’est la poésie du prolétariat !

Alors peut-être que c’est ça, l’audace ultime.
S’autoriser à être sans étiquette, libre de toutes mes contradictions. Ni prolo, ni intello.
Ne pas se réduire, sous couvert d’une prétendue simplicité, à une seule part de nous-même.
Ne pas s’assimiler à son assiette. Pas que blanc, pas que jaune. Tout à la fois.
Je ne suis pas dans mon assiette.

L’audace c’est, par exemple, oser un rouge à lèvres alors que. Jamais jusqu’à aujourd’hui.
Boire mon café dans une tasse transparente alors que je ne crois pas que je suis quelqu’un qui.
L’audace c’est prendre le risque de me retrouver coincée dans l’angle d’un mur que je n’ai pas vu venir, mais peut-être aussi, en relevant les yeux, me trouver éblouie par un jaune irrésistible.

 

Bon dimanche à vous (qui n’êtes pas vous, c’est pourquoi je vous appelle vous 😉 )

« Nous avons une image de nous et, du matin au soir, nous voulons nous y conformer. On n’imagine pas l’infinie souffrance qu’engendre une telle fixation. Se dépouiller, c’est se mettre à nu. » (p.44, c’est dans le chapitre sur le dépouillement)

Lisez Alexandre Jollien ! Là je l’ai prêté mais dès qu’il me revient, je peux le prêter de nouveau. Ou bien vous pouvez aussi vous l’offrir à vous-même, il paraît que ça se fait. Moi non (sauf une fois avant Noël – je ne suis pas qui je crois que je suis, c’est pourquoi je m’appelle moi 😉 ) mais j’ai de la chance qu’on m’offre souvent des livres. Plein de gens, plein de livres différents. Pas plus tard qu’avant-hier encore, une perle de synchronicité… Merci.

 

Audrey

 

P.S. J’ai essayé le Sūtra du Diamant avec « ma coupe de cheveux de merde n’est pas ma coupe de cheveux de merde, c’est pourquoi je l’appelle ma coupe de cheveux de merde », eh ben franchement c’est pas évident. Je pense qu’il faut de l’entraînement…

Je ne suis pas dans mon assiette

 

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