Newsletter 112 # 19 mars 2023

Photo : Concert de Tiken Jah Fakoly au Douze à Cergy (vendredi 17 mars 2023).

 

Une voix venue de loin

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https://www.youtube.com/watch?v=SaK-SpgZyaI

Tiken Jah Fakoly, Toubabou, album « Cours d’Histoire », 1999.

 

https://www.youtube.com/watch?v=X1RIXlDlSRo

Tiken Jah Fakoly, Enfant de la rue (feat. Grand Corps Malade), album « Braquage de pouvoir », 2022.

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Il n’est pas là pour rien

 

Salut les abonnés !

 

Ce vendredi, j’étais au concert de Tiken Jah Fakoly à Cergy.
Vous avez déjà entendu du Tiken Jah dans mes newsletters (newsletter 98 # 15 mai 2022).
Évidemment.

Je l’ai rencontré il y a vingt ans, chez lui, quand j’étais au Mali. Il avait fui la guerre en Côte-d’Ivoire, j’avais fui le chaos de ma vie explosée, c’était tellement dérisoire à côté, et pourtant ce jour-là il m’a offert le thé ! J’étais exaltée mais je ne savais pas trop quoi lui dire… Il semblait défoncé ailleurs, je m’étais sentie toute petite, un peu parce qu’il est très grand, et beaucoup parce que je me faisais l’effet de la groupie pathétique.

Depuis vingt ans il a vieilli, forcément. Moi aussi.
Je l’ai d’abord trouvé fatigué. Moi aussi.
Quand il est entré sur scène avec son bâton et son bogolan, on aurait dit un vieux griot. Moi aussi.
Mais après, en deuxième partie du concert, il s’est comme réveillé et toute son énergie a explosé. Dans son corps, dans sa voix. J’aime tellement sa voix. Elle me fait du chaud, me rattache à ce qu’il y a de plus profond en moi. Toutes ces parties éparses de moi, comme autant de pièces détachées qui se trouvent soudain reliées par une voix.

Je crois que c’est parce que la voix de Tiken Jah a coloré tant de moments différents de ma vie. Et ça m’a fait du bien, vraiment du bien, de le réentendre là, en ce moment, ça m’a redonné la foi comme Dieu pour Ophélie W.

 

Essayez, vous aussi.
Cherchez cette voix en vous qui réunifie tout. Elle vous semble peut-être loin parce que ça fait longtemps que vous ne l’avez pas écoutée, vous avez oublié son timbre. Peut-être même vous avez oublié jusqu’à son existence, vous ne savez pas qu’elle vous manque. Et pourtant. Elle est là, elle fait partie de vous. Elle vous attend.

 

Je vous mets ici deux chansons que Tiken Jah Fakoly n’a pas chantées au concert de vendredi.
La première reste l’une de mes préférées, du tout début début, quand je l’ai découvert moi toute seule en 1999. Elle vient de son deuxième album solo, « Cours d’Histoire ». Le titre de cette chanson, toubabou, ça veut dire Blanc, et farafi veut dire Noir. Il ne me reste pas grand-chose de mes notions de bambara, je ne sais même plus compter, mais ça je n’ai jamais oublié. Et bonjour, au revoir, merci, comment ça va, comment va la famille. Muso, femme. Missiri, mosquée.
La deuxième chanson vient de son dernier album, « Braquage de pouvoir », qui est sorti à la fin de l’année dernière. Entre les deux, vingt ans – et une barbe toute blanche.

Dans ce concert de presque 2h30 très engagé politiquement, Tiken Jah Fakoly a repris beaucoup de chansons de ses albums précédents, en français, en anglais, en dioula et en bambara. Discrimination, Quitte le pouvoir, Plus rien ne m’étonne, Françafrique, Tonton d’America, Y’en a marre, Le balayeur balayé, Quand l’Afrique va se réveiller, et Ouvrez les frontières (avec une pensée pour Marcel 😉 ), qui me donne des frissons à chaque fois que je l’entends parce qu’il y a des choses que je ne peux pas comprendre. Il y a des choses que je ne veux pas comprendre, jamais.
Moi je voulais être une des choristes. Une choriste de reggae à l’ancienne. Et m’appeler Marlène.

 

À un moment, j’ai crié dit à Mickaël à côté de moi :

– Regarde le gars avec son turban ! Ses lunettes, on dirait celles d’Ali Farka quand il joue avec Toumani !

Et ce gars à lunettes sur la scène, c’est vrai que je le trouvais pas mal sexy avec son turban (je vous ai déjà expliqué que j’avais un kink avec tout ce qui est bonnet, turban, chèche, bandeau ?) ce gars au turban, j’étais intriguée par son drôle d’instrument que je ne connaissais pas et qui produit un son proche de la kora si chère à mon cœur.

Grâce aux recherches de Thomas, également présent ce soir-là, j’ai appris que « le gars au turban », comme je l’avais nommé si légèrement, s’appelle Andra Kouyaté et qu’il se trouve être le musicien extrêmement doué qui a accompagné Rokia Traoré pendant des années. Qui a joué régulièrement avec Toumani Diabaté et Ali Farka Touré (dont les lunettes ne sont pas du tout les mêmes au final), Habib Koité, Oumou Sangaré, Amadou & Mariam, et j’en passe !
Un musicien si extrêmement doué que son drôle d’instrument qui m’a intriguée, c’est lui-même qui l’a inventé s’te plaît !!! Le mec est parti du n’goni traditionnel malien et il a imaginé et construit un n’goni basse, qui produit un son un peu de contrebasse. Mais il ne s’est pas arrêté là, ensuite il a construit un n’goni double composé du n’goni classique et de son n’goni basse, les deux attachés l’un au-dessus de l’autre. C’est de ce double instrument qu’il a joué pendant le concert. Ah oui et sinon, il chante et il joue du tama aussi. Sous le bras gauche, en plus de son n’goni double qu’il porte en bandoulière sur le ventre.

Voilà, comme quoi c’était pas du tout pour une histoire de turban…

 

Je vous souhaite un bon dimanche.
Hier matin je me disais avec joie que c’est le dernier avant le changement d’heure, le dernier avant le printemps, avant que les bois sortent de l’hiver et que les promesses renaissent… Et puis hier soir, à ma soirée VFE*, j’ai appris qu’aujourd’hui c’est le dimanche de Laetare : un mot latin qui signifie « réjouissez-vous ». C’est donc bien le dimanche de la joie !

 

Audrey

* VFE, Vin-Fromage-Évangile. Ouais…

VR, Vigilance et Résistance

 

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8 mars 2023 : Tous et toutes ensemble