Newsletter 98 # 15 mai 2022

 

Sous le chaos, la vie

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https://www.youtube.com/watch?v=E3fQS-EZ3ZM

Tiken Jah Fakoly, Non à l’excision, album « L’Africain », 2007.

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Où le désir se puise

 

Salut les abonnés !

 

Dans ma dernière newsletter, je vous ai promis une chanson qui soit pas une chanson d’amour, n’est-ce pas ? Eh bah voilà. Moi celle-là elle m’arrache le cœur et elle va me chercher loin loin loin dans mon corps. En même temps j’avais pas promis une chanson qui fait pas pleurer…

À chaque fois que j’écoute cette chanson (et je l’ai beaucoup écoutée), à chaque fois que je regarde ce clip (et je l’ai beaucoup regardé), les gens dedans, leurs visages, leurs regards, leurs mains, leurs façons de se toucher, leurs boubous, j’ai des frissons partout et la gorge serrée, c’est même fou que je continue d’être aussi émue après tant d’écoutes. Je sais aujourd’hui que je n’oublierai jamais ces trois mois que j’ai vécus seule au Mali. Trois tout petits mois et j’ai tellement grandi. Je sens que ça me bouleverse même de l’écrire.

Il y a tant de choses qu’on oublie dans la vie. On oublie presque tout. Et puis il y a ces rares moments où, dans un chaos total on lâche les derniers fils qui nous reliaient à tout ce qu’on savait, tout ce qu’on croyait savoir, ces moments où on n’attend plus rien, où on ne projette plus rien et où le vide abyssal à l’intérieur de nous permet alors au monde d’entrer. Quand on veut bien s’ouvrir évidemment parce que ces moments, qui sont souvent des moments de grave crise, peuvent aussi faire que l’on se ferme complètement aux autres, que l’on se coupe de ce qui est vivant en nous. Mais quand on laisse le monde entrer en soi dans ces états vierges, ces états-limites où on pourrait basculer, ce qu’on perçoit avec une acuité exceptionnelle s’imprime en nous dans une encre indélébile. Invisible mais indélébile. Après c’est comme rentrer d’un grand voyage. Tout est changé. Les autres n’ont peut-être pas bougé mais toi tu sais que plus rien ne sera jamais plus comme avant.

Mon Mali 2005 a eu cet effet-là.

 

C’est une période où j’ai beaucoup écrit. Beaucoup pour ne pas couler, beaucoup pour ne pas oublier. Je ne relis pas mais je suis émue de tout ce qui me ramène là-bas, la musique, la langue, la cuisine, les odeurs, les rires, les couleurs, les tissus, parce qu’une part de moi n’est jamais revenue. Et tant mieux, je veux dire c’est la vie, on perd des choses, on en gagne d’autres, c’est la vie qui va. Mais je ressens quelque chose de fort parce que, cette part de moi que j’ai perdue, je sais qu’elle ne reviendra pas.

Je rêve ou je suis en train de vous raconter mes petites misères sur cette chanson puissante qui condamne les souffrances perpétrées sur les femmes d’Afrique de l’Ouest (et d’ailleurs) ?
Cette part d’elles-mêmes qui meurt, mutilée, cette pépite d’or qu’on arrache de leur corps, qui s’éteint, quelle perte irréparable, quel manque, quelle tristesse pour toute une vie ?

 

Vous reconnaîtrez bien sûr la kora de Toumani Diabaté et peut-être le rythme blues de Geoffrey Oryema, les deux musiciens dont Tiken Jah Fakoly s’est entouré pour cette chanson. (Et si vous ne les avez pas reconnus à l’oreille, on les voit aussi dans le clip  😉 ).

 

Audrey

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