Où l’on comprend, à partir d’un carré noir, que je ne suis pas encore prête à illustrer cet article avec le maillot de bain du titre. On verra si ça vient. Peut-être quand j’aurai publié d’autres articles par-dessus et que celui-ci ne sera plus en couverture de mon blog ?
[Cet article est long, je vous conseille vivement de prendre le temps de le lire sur ordi et pas sur le petit écran de votre téléphone. Sinon vous risquez de passer à côté, un peu comme écouter Pink Floyd sur un vieux téléphone avec un haut-parleur mono qui grésille – c’est pas que je me prenne pour Roger Waters mais voyez l’idée.]
Mi-mai (je lisais quoi en mai ? j’écoutais quoi en mai ?), une des deux amies qui m’ont offert le ravissant petit maillot de bain à l’origine de cet article m’a laissé un message vocal. Avec son accord, je le partage avec vous.
Message vocal de ma copine Adeline, 19 mai 2025.
Et vous, vous faites ça ?
Je veux dire, quelle fille ne le fait pas ?
Si tu es une fille et que tu ne critiques pas intérieurement d’une grosse voix méchante la moindre photo de toi, tu peux laisser tomber la lecture de cet article qui n’est pas pour toi, scroller jusqu’en bas, et nous écrire en commentaire comment tu fais. Quelles sont les pensées que tu as dans la tête, où se porte ton attention, de quoi se nourrit ta confiance. S’il te plaît, dis-nous.
Si tu es une fille et que tu ne peux pas t’empêcher de porter un jugement négatif sur ton corps, ton visage, un aspect particulier de ton apparence physique sur toutes les photos que tu vois de toi (et encore plusse celles où tu n’es pas seule dessus mais en compagnie d’autres filles), cet article est pour toi.
You are not alone.
We are here with you.
Lalalalalaaa lalalalalaaa
(Nan j’déconne. Chanson de merde. Gros connards de pédophiles, lui Michael J. et l’autre R. Kelly.)
Ici, on cherche un moyen de sortir de là.
Ensemble.

Avertissement
Dans cet article, on va parler corps et alimentation parce que les deux sont indissociablement liés. Plus précisément, on va parler corps et alimentation et santé mentale.
Je ne souhaite pas développer plusse que ça par écrit sur les TCA (troubles du comportement alimentaire) mais évidemment qu’ils sont là. Comment ne le seraient-ils pas.
Le sujet est tellement sensible pour moi que je ressens très fortement le besoin de dire d’où je parle, de peur d’être mal comprise. Je sais pourtant qu’en m’ouvrant si sincèrement, avec si peu de filtres, c’est exactement à ça que je m’expose : être mal comprise.
Mais je voudrais au moins ne pas blesser celles et ceux, celles surtout, qui souffrent de ne pas avoir un corps dans la putain de norme.
« Les gros, ils t’emmerdent ! »
Mon pote Stéphane François, « le gros » m’a-t-il dit, lundi 7 juillet 2025.

Mon corps à moi est médicalement dans la norme. Je veux dire par là que je peux calculer mon IMC avec ma taille en mètre au carré et mon poids à peu près, disons celui de la dernière fois que je me suis pesée, et, d’après les chiffres obtenus, établir que je ne suis pas médicalement en surpoids.
Ma vie aujourd’hui ne tourne pas autour de mon poids ni de mon alimentation.
Ma vie, depuis 25 ans bien sonnés, ne tourne plus autour de mon poids ni de mon alimentation, et j’aimerais que vous reteniez ça tout le temps de votre lecture. D’un côté, ça rendra mes propos moins graves, parce que ce que je décris ne m’empêche pas de vivre une vie normale, et en même temps, vus sous un autre angle, ça les rend plus graves encore, parce qu’ils ne sont pas circonscrits à moi, ma névrose, mon histoire personnelle.
Je crois qu’ils sédimentent, au contraire, l’expérience commune d’habiter mal son corps, partagée par tant de femmes en Occident.

Dans cet article je témoigne, à mon niveau, du mal que me font chaque jour l’injonction à la minceur et la grossophobie intériorisée retournée contre moi-même.
Si vous avez un IMC d’obésité sévère ou massive et que ça vous met en colère que je vienne parler de mon maillot de bain, pardon. Peut-être que vous pensez qu’avoir un IMC médicalement dans la norme m’exclut d’emblée du débat – au même titre que les hommes blancs cis hétéros dans les luttes féministes qui, dans la mesure où ils ne sont pas eux-mêmes opprimés par le patriarcat, ne peuvent être, dans le meilleur des cas, que des alliés.
Ça me fait de la honte et j’ai envie de me mettre des kicks comme à Madison dans la série This is us quand elle se pointe à la réunion anonyme de overeaters où va Kate alors qu’on voit – moi de l’extérieur je le vois – que son corps n’est pas gros comme le corps des autres.
Et c’est ce qui m’est venu à voix haute avec violence quand j’ai vu le tout premier épisode :
Non mais t’as pas honte ?? C’est quoi ton problème ? Dégage de là, tu prends la place d’une vraie personne !
Et puis d’un coup je me rappelle que moi, cette tyrannie du corps le plus mince, il s’en est fallu de peu qu’elle me tue, que je ne sois plus là aujourd’hui pour vous raconter le Japon ou pour vous parler du tout petit bikini qui me met mal à l’aise.
Je me dis alors que non, décidément, je ne prends la place de personne.

Gros·ses, je ne prétends pas parler à votre place, ni connaître ce que vous vivez, à aucun moment.
Je n’ai jamais souffert de grossophobie venant des autres et je n’ai pas idée de la violence des discriminations et des humiliations auxquelles vous êtes confrontées. En même temps que j’écris, il y a Monique au-dessus de mon épaule qui s’écrie : alors ferme bien ta gueule.
Ta gueule, Monique.
Je ne sais pas les regards et les mots qui vous blessent, je ne sais pas ce qui vous fait peur ni ce qui vous met en colère : je ne suis pas à votre place.
MAIS J’AI UNE PLACE.
(Attention, la meuf sort le caractère gras ET les capitales.)
J’ai une place à laquelle je suis légitime mais qui est située, forcément située, et c’est de là que je parle, avec les angles morts que les privilèges liés à cette place ne me permettent pas de voir. C’est pour ça que je prends la peine, avant de commencer, de me situer.
Ah ouais ? C’est pas plutôt parce que tu retardes le plusse possible le moment où tu vas vraiment devoir y aller ?
Ta gueule, Monique.

Ma place, c’est celle d’une femme cis de 47 ans, blanche, valide, IMC ni mince ni gros, dans la norme comme on s’est dit, classe moyenne upgradée par les liens du mariage, qui a vécu son adolescence dans les années 90 – de la bonne grosse merde pour l’image de soi, ces années-là. Je le rappelle parce que ça compte tellement, le contexte, au moment d’extrême vulnérabilité où tu quittes l’enfance pour construire ton identité de femme.
Sur la photo, c’est moi il y a un an, la veille de mes 46 ans, quand j’avais encore des dreadlocks et mes règles.
Depuis j’ai tout rasé, comme je vous le racontais ici.
Depuis, la périménopause m’a attaquée comme le loup la chèvre de Monsieur Seguin après qu’elle a lutté toute la nuit. Je n’ai plus de dreads et plus de règles non plus. Mon corps a muté. J’ai pris du poids…
… alors le loup la mangea.
La déflagration du maillot de bain
Dans mon article précédent, je vous ai parlé du podcast « Dans la tête d’un coureur » et de l’épisode sur les TCA dans le milieu du sport en général et du running en particulier. C’était une manière d’échauffement par rapport à ce que je m’apprête à vous dire là, dans ce qui s’annonce déjà comme l’article le plus vulnérable de mon blog.
Plus vulnérable que L’allaitement & moi, plus vulnérable que Mon corps & moi, plus vulnérable même que Pourquoi j’ai mal au ventre.
Je vous jure. Si je traîne trop, je vais faire machine arrière. Donc maintenant je vais inspirer deux fois, une fois longue et lente, une fois rapide, puis expirer doucement tout mon air et me lancer.
Dans le vif.
Une inspire, deux inspires, souffle… GO !

Et d’abord, c’est quoi cette affaire de maillot de bain du titre ?
Se trata de una Il s’agit d’un ravissant bikini triangle pailleté que deux de mes amies très proches m’ont offert au début du mois de mai et qui d’emblée m’est apparu trop petit. Itsy bitsy teenie weenie tout petit petit bikini. Minuscule. En déballant le paquet cadeau, la certitude vissée au corps qu’il ne m’irait pas et que je devrais retourner au magasin pour l’échanger.
Ça m’a fait de la peine. D’une part parce que le maillot me plaisait beaucoup, et d’autre part, encore plusse, parce que ça me renvoyait à la honte de ne pas convenir, d’être trop.
Ce n’était pas le maillot qui ne m’allait pas, c’était moi qui n’allais pas au maillot.
Ça m’a fait du triste, aussi, que mes deux amies qui sont pourtant on ne peut plus proches de moi se trompent à ce point sur mon corps. Qu’elles envisagent que je puisse entrer dans ce tout petit bikini prouve qu’elles ne me voient pas comme je suis. Ce qui me ramène brutalement à ce que je devrais être et à leur déception que je ne sois pas celle qu’elles imaginent.
Voici précisément le maillot dont on parle. Dis-moi, tu penses que l’essayage va bien se passer ?
OUI → Retourne au début de l’article, au paragraphe suivant :
Si tu es une fille et que tu ne critiques pas intérieurement d’une grosse voix méchante la moindre photo de toi, tu peux laisser tomber la lecture de cet article qui n’est pas pour toi, scroller jusqu’en bas, et nous écrire en commentaire comment tu fais. Quelles sont les pensées que tu as dans la tête, où se porte ton attention, de quoi se nourrit ta confiance. S’il te plaît, dis-nous.
NON → Bien vu ! Tu saisis bien ce qui est en train de se passer. Continue tranquillement ta lecture.
Fleabag, de et avec Phoebe Waller-Bridge, est la meilleure série ever ! 🤩
Comme dit précédemment, le maillot de bain me plaisait beaucoup. Je ne voulais pas décevoir mes amies en ne le portant pas. Je suis donc allée à la boutique (avec une boule dans le ventre). J’ai essayé la taille au-dessus. Et devinez quoi ?
Ça n’allait pas mieux.
La taille au-dessus n’était pas une taille magique : elle était juste la taille au-dessus – c’est-à-dire trop grande pour moi et ne changeant rien à ce qui n’allait pas.
Parce que le problème c’était ni le maillot, ni même moi.
Le problème c’est l’image.
Ce ne sont pas mes amies qui ne me voient pas comme je suis.
C’est moi qui ne me vois (encore) pas comme je suis.

Ça m’a fait l’effet d’une petite déflagration parce que bon, c’est pas comme si j’avais jamais travaillé là-dessus t’as vu. Plus exactement, c’est pas comme si j’avais pas passé les vingt-sept dernières années à travailler là-dessus !
La déflagration, c’était pas la surprise de découvrir : tiens, comme c’est drôle, j’étais persuadée qu’il me fallait la taille au-dessus et puis en fait non dis donc !
La déflagration, c’était de réaliser : t’as cru que depuis tant d’années tu en avais fini avec ta dysmorphophobie ?
Bah non meuf, t’as pas bougé !
Quand je suis rentrée à la maison, mon mari m’a dit :
– Ah bah c’était pas la peine d’aller jusqu’à la boutique, moi je te l’aurais dit !
Je t’aurais dit qu’elle était toujours là.
Ta dysmorphophobie.

Dysmorphophobie
Plus discrète, moins éloignée de la réalité qu’il y a 25 ans, mais.
Elle. Est. Toujours. Là.
J’en ai eu des indices à la salle. Car oui, je fréquente une salle de musculation en non-mixité depuis quelques mois. C’est suite à m’être retrouvée devant ma cocotte-minute verrouillée avec un chou-fleur cuit à l’intérieur qui empeste le chou-fleur cuit, et incapable de l’ouvrir par manque de force dans les bras. Faire défiler chacun de mes enfants l’un·e après l’autre pour essayer de déverrouiller le couvercle.
Enfin. Pas besoin de me justifier avec un gratin.
Dans cette salle de sport particulière où tous les cours de renforcement sont coachés et collectifs, la prof demande parfois :
– Ouvrez les pieds de la largeur du bassin.
C’est pour les squats, au cas où ça vous intéresse.
Et à chaque fois, ça ne loupe pas, la prof s’approche pour me corriger :
– Audrey, resserre tes pieds.
Je resserre un peu. Encore, elle dit. Je resserre encore, un peu. Mais elle insiste : encore, encore, encore. Je ne lui crie pas ce que je pense : mais enfin, tu as dit de la largeur du bassin !!!
Parce que c’est ça le problème.
C’est que je crois écarter mes pieds de la largeur de mon bassin.
Au fur et à mesure des séances, je me rappelle que la coach m’a déjà corrigée, donc je me force à ouvrir moins les pieds que ce que je crois être la largeur de mon bassin.
Pourtant, à chaque fois, Audrey resserre tes pieds.

Quand j’étais à l’hôpital, il y avait un test qui nous était régulièrement proposé, à moi et aux autres auxquelles je ne voulais pas me mêler. Quelquefois en photo, mais le plus souvent en dessin sur un feuille A4 en papier Canson : des corps de femmes en sous-vêtements dessinés au crayon à papier et alignés les uns à côté des autres selon une échelle qui partait du corps le plus maigre à gauche jusqu’au corps le plus gros à droite.
L’objectif de l’exercice était de situer son propre corps sur cette échelle avec une flèche au bon endroit, écrire moi.
Toutes les deux semaines, l’épreuve du miroir je me regarde dans la grande glace en sous-vêtements, puis le test sur papier Canson marquer la flèche au bon endroit sur l’échelle de gradation, écrire moi.
Les premières fois, avec mon esprit de première de la classe, je m’applique à bien placer la flèche pile à l’endroit où je me vois – même si ça fait mal.
J’ai faux. Le Docteur Rigaud dit :
– Bon, c’est donc de là qu’on part…
… et j’ai compris compare. J’ai cru que l’exercice s’appelait : la compare. Comme un petit nom qu’on donne à la comparaison. C’est de la compare.
Bon, c’est donc de la compare.
Assez vite, j’ai compris que si je voulais sortir de l’hôpital, je devrais tricher avec moi-même. Me duper pour les duper.
Eux, les Médecins.
→ Cliquez sur la photo ci-dessous pour lire Les médecins & moi.
Les mois suivants, j’ai appris à poser la flèche sur le papier deux à trois corps plusse à gauche que ma place réelle (= celle où je me situais).
Je me croyais super maligne. Leur piège stupide, je ne vais pas tomber dedans ! Je vais leur donner ce qu’ils veulent voir et je vais sortir d’ici et personne ne pourra m’atteindre !
Mais là où je posais ma flèche, c’était encore faux. Faux, faux et toujours faux parce que, même en gauchisant le reflet de mon corps dans le miroir, j’étais toujours trop à droite. C’était l’inverse de quand tu conduis un gros cametard sur les routes australiennes…
→ Cliquez sur la photo ci-dessous pour lire T’es un p’tit peu trop à gauche.
Les mois passant à l’hôpital, j’aurais dû apprendre de mes erreurs et me placer tout au bout à gauche sans hésiter. Mais je n’ai jamais pu. Parce que toujours, j’avais le doute, l’angoisse horrible qu’on se moque de moi : hahaha non mais regarde, regarde comment elle se voit ! Non mais t’as vu tes cuisses ? T’as cru que t’étais mince ? Hahaha !
Et puis, sur la fin, quand j’ai compris que ma sortie de l’hôpital ne dépendait pas de cet exercice, j’ai carrément refusé le test. J’ai refusé tout d’ailleurs, parce que à quoi bon ?
Je ne voyais plus rien.
En vous racontant cet exercice de l’hôpital avec la flèche pour écrire moi, je me rends compte que ce n’est pas différent aujourd’hui, à la salle, quand je me force à ouvrir mes pieds moins large que mon bassin, contrairement à ce que demande la coach, pour que finalement elle vienne me dire de resserrer encore mes pieds, « de la largeur de ton bassin ».
Mais WTF ??
Je ne sais même pas comment expliquer le xiiit dans mon cerveau à ce moment-là.
L’incompréhension, le désarroi, la confusion que quelque chose ne colle pas.
En psychiatrie, la dysmorphophobie se caractérise par une « perturbation de l’image corporelle ». Plutôt une dissociation de l’image corporelle, si tu veux mon avis (vu que j’ai quand même un peu d’expérience).
Parce que c’est une chose incompréhensible que de se voir dans un miroir et que les autres te disent qu’ils voient autre chose que ce que toi tu es absolument sûre de voir. Ça se peut pas. Ça se peut pas, dit ton cerveau. Tu es première de ta classe. Tu ne peux pas avoir faux. Tu ne peux pas te tromper.
La honte qui t’envahit alors. La solitude.
Le bruit blanc dans ta tête.
Crois-moi, quand tu te retrouves à cet endroit-là, tu marches en équilibre sur la toute petite ligne à dix centimètres du sol qui sépare les gens normaux de la folie.
Ces points de rupture imperceptibles que j’évoquais dans mon article Merci SML.

Alors oui, la « perturbation de l’image corporelle », c’est très très (très) perturbant, effectivement. Mais pour moi c’est surtout complètement dissocié. Et ce que cette dissociation produit de grave, c’est qu’il y a une part de moi qui n’est pas en sécurité avec moi. Ou bien, de manière plus juste peut-être, c’est que je ne suis pas en sécurité avec une part de moi qui est vrillée, une part de moi qui raconte n’importe quoi et qui peut me détruire.
Mais ce n’est qu’une part.
Je me dis aujourd’hui : ce n’est pas moi, ce n’est pas l’intégralité de moi, c’est seulement une part de moi qui est dangereuse et maintenant je la connais.
Les pensées que j’ai sur mon corps ne sont pas la réalité de mon corps.
C’est ça, la dysmorphophobie.
Mais la dysmorphophobie ne se balade pas toute seule – sinon elle serait inoffensive comme ces miroirs déformants du jardin d’Acclimatation devant lesquels on s’amuse à se voir différemment de ce qu’on est. Plus grand·e, plus gros·se, plus petit·e, plus maigre, à l’envers…
La dysmorphophobie se double d’une autre -phobie avec qui elle avance ventre rentré et cul serré, c’est : la grossophobie.
Grossophobie
J’ai mis du temps à : 1/. comprendre, 2/. admettre, que j’étais, moi aussi, comme les autres, comme la société que je rejette : grossophobe.
Je me croyais différente parce que le regard que je porte sur les corps, quelle que soit leur forme, de celles et ceux qui m’entourent, est toujours tellement positif, tellement valorisant.
Je me croyais différente parce que je n’ai pas, vraiment pas, de critères de minceur pour les autres – qu’il s’agisse de mes amies que j’aime, d’inconnues que je croise dans la rue ou en soirée et que je trouve belles, ou bien de figures artistiques.
Vous souvenez-vous de cette photo de Zanele Muholi qui m’a bouleversée et continue de me bouleverser à chaque fois que je la regarde ?
Et même sans la regarder, à chaque fois que j’y pense mon cœur déborde tellement je l’aime. Des fois j’en parle à quelqu’un·e et en deux secondes j’ai des larmes qui viennent sous l’intensité de l’émotion qui me saisit à nouveau.
Je sais que c’est complètement irrationnel mais cette personne, Sazi Jali, que je ne connais pas et qui ne me connaît pas, habite ma vie. Sa beauté, sa puissance me font vibrer, et je ressens tellement de gratitude que juste, elle soit là.
→ Cliquez sur la photo ci-dessous pour lire Cette photo & moi.

Pourtant, quand il s’agit de mon corps à moi, on dirait que s’applique une autre loi. Une loi stricte, dure, excluante, basée sur des principes éthiques que je n’approuve pas.
Les pensées que j’ai sur mon corps ne sont pas la réalité de comment j’aime le corps des autres.
Et ça, c’est la grossophobie internalisée*. La mienne, en tout cas.
C’est une grossophobie schizophrène qui dissocie complètement les autres femmes, auxquelles elle trouve au contraire mille beautés, et mon corps à moi, qui doit être jugé selon la Loi.
* Je dis grossophobie internalisée comme on parle d’homophobie (ou de lesbophobie) intériorisée. D’après mes recherches, on trouve indifféremment les deux termes : « internalisée » ou « intériorisée ». Choisissez celui avec lequel vous êtes plus à l’aise.
Quand il ne se passe pas un jour sans que l’idée te traverse ne serait-ce qu’une fois (ou deux ou trois), que, quand même, ce serait bien de perdre du poids, ce serait mieux de perdre du poids : tu es dans la grossophobie internalisée (ou intériorisée).
Quand tu penses – ou qu’une voix te hurle, à l’intérieur de toi – qu’en étant plus mince tu seras plus belle et donc plus heureuse parce qu’à partir de là évidemment, à partir de ce moment où tu seras plus mince, toute ta vie va changer et d’un coup devenir meilleure, tu es grossophobe.
Pardon hein. Vraiment, déso.
Moi ça m’a fait un double nœud à l’estomac quand, à l’écoute d’un podcast avec Lauren Malka (référence à la fin de l’article), j’ai réalisé que, moi non plus, il ne s’est pas passé un jour de ma vie où je ne me dise pas : tu devrais perdre du poids. Tu devrais perdre du ventre, des cuisses, du cul, des seins, des bras. Quand même, ce serait bien. Quand même, ce serait mieux.
Même après l’hôpital les périodes où j’étais le plus mince, j’avais cette pensée quotidienne : tu devrais perdre trois kilos. Juste trois kilos, au cas où. Pour avoir une marge.
Attends minute (comme on dit au Québec), une marge de quoi s’te plaît ?

Alors ça va, moi j’ai eu de la chance de ne pas en mourir et aujourd’hui ça va. Mais c’est un ça va avec ça. Ça va malgré ça. Malgré ce truc toujours présent dans ma tête qui dit que non, la forme de mon corps, ça ne va pas.
La grossophobie internalisée, ce sont ces phrases qu’une voix à l’intérieur de moi a apprises par cœur pendant l’enfance et qu’elle continue de me décocher comme autant de flèches empoisonnées. Ces flèches retombent au sol aujourd’hui parce que j’ai fait un loooong loooong chemin et que ma cuirasse s’est renforcée, mais ce n’est pas le signe que la voix méchante a disparu.
Avec les années, la petite voix méchante est devenue une GROSSE voix méchante.
Le poison s’est infiltré partout dans mon corps, il coule dans mes veines, il n’y a pas un jour où il ne soit pas là. (Je précise que je n’ai volontairement pas de réseaux sociaux à l’exception de WhatsApp, et que je ne suis donc pas exposée sur Instagram, TikTok ou autre aux comptes d’influenceuses super minces qui filment leur salade healthy et leur green juice.)
C’est ça que je veux apporter avec mon article : un témoignage personnel unique mais que je sais si banal, de ce poison, cette névrose si communément partagée.
Dire que je ne suis pas la seule est un euphémisme. Je sais qu’on est large une immense majorité de femmes à entendre la même voix qui ne nous appartient pas et qui dit tu es trop grosse.
Chaque jour.
Chaque matin de ta putain de vie commence par ces mots : tu es trop grosse.

Et c’est ça, le propre de toute domination. Imposer sa pensée, imposer son regard.
La domination de la norme hétéropatriarcale dans notre société, la valeur qu’on t’accorde ou non en tant que personne selon que tu corresponds ou non aux standards de beauté exigés.
Pourtant, les pensées que j’ai sur mon corps ne sont pas la réalité de ce que je veux penser.
Bah oui, c’est le but.
« Tu finis par te voir à travers les yeux de ceux qui te traitent comme une merde », ai-je lu dans une newsletter de Louise Morel (référence en fin d’article).
Si tu es grosse, tu es nulle, tu ne vaux rien.
Si tu n’es pas assez mince, tu es grosse, tu es nulle, tu ne vaux rien.
Tu finis par te détester.

La grosse voix méchante
La voilà donc, la grosse voix méchante. Celle du résultat de l’équation dysmorphophobie avérée + grossophobie internalisée qui, puisqu’elle ne s’attaque pas aux autres, dirige sa haine à 100% contre moi-même. Ultra focus, la meuf. Concentrée.
Cette voix dans ma tête, ce n’est pas Monique – dont je vous ai déjà vaguement parlé ici ou là.
Et encore, heureusement que je ne vous retranscris pas chacune de ses interventions (mais y’en aura une, encore, vers la fin de l’article).
Monique chapeaute tout, dirige, critique et tient compte de l’opinion des autres.
L., c’est autre chose.

L., c’est le nom que j’ai donné à la maladie mentale dans le livre que j’ai publié sur ce sujet.
L. s’en fout des autres, de leur regard, de leurs jugements. L. n’a qu’une obsession : tenir contre la faim. L. comme Légion. Je n’y avais pas pensé avant mais il y a de ça. Chef oui chef !
Cette voix en moi, pour l’avoir si bien écoutée par le passé, pour m’être pliée quoi qu’il en coûte à ses ordres et à ses idées, je sais qu’elle mène tout droit où ?
À la mort.
Voilà pourquoi je n’ai de cesse, depuis vingt ans, de me battre avec elle. Ma légionnaire.
Dès que j’entends le début de la merde qu’elle raconte, je ferme mes oreilles, je tourne les talons et je porte toute mon attention sur les autres : les personnes avec qui je suis, ce qu’elles, elles ressentent, le moment qu’on vit ensemble. Je ne veux plus que cette voix en moi m’empêche d’être en relation avec les autres, m’empêche de vivre ce que je veux vivre de ma vie.
En ne l’écoutant pas, je choisis de vivre.

Seulement ce n’est pas si simple. Il arrive qu’à l’ignorer trop ostensiblement, ma grosse voix méchante se fasse plus menaçante. Elle hausse le ton, elle insiste, et je dois alors inventer de nouveaux stratagèmes pour m’en dépêtrer.
Quand je me sens mal dans mon corps, honteuse de ses formes – comme ce sera évidemment le cas cet été avec le petit bikini que vous n’avez pas oublié – j’imagine ce que je ferais si à l’inverse je me sentais bien, si j’étais ok avec mon corps tel qu’il est. Et je le fais.
Je ne m’y trompe pas, bien sûr que je sais que je ne suis pas ok, mais je choisis de faire comme si.
Je choisis de faire les mêmes choses que celles que je ferais si j’étais à l’aise dans mon corps.
Je vais à la plage comme si c’était tranquille pour moi de déborder de mon maillot de bain. Je nage, je cours, je danse, et même, je joue aux raquettes sur la plage (et ça c’est dur).
Je mange aussi, comme si je n’avais pas de problème avec mon poids.
Je ne m’empêche de rien à cause de mon corps qui n’est pas comme L. dit qu’il devrait être, et ça m’ouvre des plaisirs, des moments de partage avec les autres, auxquels je n’aurais pas accès autrement : la sensation agréable du soleil sur ma cuisse nue, le ravissement de l’imam d’aubergines servi au Tsikali par Dimitri, la joie de mes enfants parce que j’ai bien voulu faire des passes de ballon en maillot de bain sur le sable.
C’est une solution très imparfaite qui ne me satisfait pas, mais au moins elle me permet de vivre tout ce que j’ai envie de vivre sans attendre le jour hypothétique où je serai enfin : BELLE.
Je ne laisse plus la détestation de mon corps me voler ma vie.
→ Cliquez sur la photo ci-dessous pour lire Trógontas stin Elláda (manger en Grèce).

Je ne laisse plus la détestation de mon corps me voler ma vie.
Ça a l’air chanmé dit comme ça, et franchement, si c’était pas moi je serais enthousiaste : ouais super, je vote pour !
Mais comme c’est moi je sais ce qu’il y a en dessous et je vous dis la vérité : c’est une solution « très imparfaite » parce qu’elle est explosive à vivre intérieurement.
N’oublions pas que c’est un combat qui se livre là, sous la surface.
Parmi vous, il y en a qui l’ont compris instantanément et qui n’ont pas besoin d’explications supplémentaires parce qu’elles ont une idée assez précise de comment ça fonctionne.
(Ce sont les mêmes qui, au début de l’article, avaient direct saisi comment allait se passer l’essayage de mon maillot de bain. #OnEstEnsemble.)
Pour les autres, il faut imaginer que c’est comme si vous travailliez chez vous, en télétravail, à la création d’un PowerPoint décisif que vous allez présenter, ou un mémoire complexe à rédiger, un dossier épineux que vous devez rendre, bref, ce que vous voulez. Vous êtes à votre bureau, et depuis plusieurs heures vous entendez le marteau-piqueur qui perce le trottoir en bas de chez vous non-stop pour installer la fibre. Ça dure ça dure, ça ne s’arrête pas, et vous devez mobiliser une énergie folle pour continuer à vous concentrer sur votre travail parce que vous voulez donner le meilleur de vous-même. Donc vous réfléchissez, vous analysez, vous écrivez, avec en permanence ce martèlement bruyant entre les oreilles.
Got it ?

L’expérience est pénible mais à la fin le job est fait : marteau-piqueur ou pas, vous rendez votre PowerPoint, mémoire, dossier. C’est ce que je me dis moi aussi quand j’ai le moral :
Ok l’expérience est pénible mais au moins le résultat est là, je m’en sors.
Avec des trésors de patience et de persévérance, j’ai l’espoir qu’un jour les travaux sur le trottoir en bas de chez moi soient enfin terminés.
Sauf que non, et c’est là qu’on atteint les limites de ma comparaison de chantier. La grosse voix méchante, c’est pas les travaux. Quand je l’ignore, elle attend son tour. Elle sait que je ne pourrai pas l’ignorer toujours. Et dès que je me retrouve seule et un peu moins solide dans ma tête pour quelque raison que ce soit (on a tous et toutes des raisons d’être moins solides parfois, non ?), hop d’un coup elle est là.
Cette voix j’ai grandi dedans.
Ses racines sont attachées aux miennes.
Tu ne peux pas tuer l’une sans tuer l’autre.

Cette voix, je vis avec depuis si longtemps qu’elle fait partie intégrante de mon paysage intérieur. À vrai dire je suis tellement habituée à elle que, le plus souvent, je ne me rends même pas compte qu’elle est là. Je vous l’ai dit en intro à cet article : ma vie aujourd’hui, comme la vôtre j’espère, ne tourne pas autour de mon poids ni de mon alimentation.
Et pourtant, quand je fais un pas de côté pour observer mon fonctionnement, comme je suis obligée de le faire par exemple ici pour écrire cet article avec authenticité, je ne peux pas passer sous silence ce bruit de fond intérieur négatif et permanent.
C’est seulement depuis quelques années que je me demande : comment ce serait de vivre sans elle ?
Ce serait comme enlever le frein à main, voilà l’image qui me vient maintenant. Et cette image est peut-être plus juste que celle des travaux parce que les travaux sont extérieurs à moi : je n’ai aucun pouvoir dessus. Au contraire, le frein à main ne dépend que de moi.
Quand j’ai eu mon auto la première fois, le frein à main était serré, mais aujourd’hui je conduis bien, je sais où je vais. Si je veux rouler librement, j’ai le droit de l’enlever.
En écrivant ces mots, j’ai une vision très nette de moi, le pied à fond sur l’accélérateur depuis toute ma vie sans jamais avoir enlevé le frein à main. Tu vois pas la fatigue que c’est, toi ?? La dépense d’énergie inutile, l’épuisement ?
Et en même temps je suis tellement habituée à rouler comme ça que si j’enlève le frein à main à la vitesse à laquelle je roule, j’ai peur de voler direct dans le décor.
Cette voix à l’intérieur qui me contrôle, qui me restreint, qui me limite depuis toujours, si je l’envoie chier, qu’est-ce qui va m’arriver ?

Comme de plus en plus, avec l’expérience, je pense qu’il n’est pas possible – et peut-être même pas souhaitable – d’éliminer totalement ma grosse voix méchante, le chemin que je prends, depuis à peu près deux ans donc, c’est d’essayer de parler avec elle.
Parler sans l’insulter (même si elle, à l’inverse, ne se gêne pas pour le faire).
Parler sans lui hurler dessus dans une vaine tentative de gagner la partie.
Ne plus l’ignorer comme je le faisais jusqu’à très récemment en luttant de toutes mes forces.
Aller vers elle, comprendre pourquoi elle est si méchante.
Ne pas chercher à l’étouffer mais au contraire lui faire de la place, la remercier et la rassurer.
Ne pas lui dire ta gueule grosse connasse et l’accueillir avec le plusse d’amour possible.
J’ai dit ESSAYER, hein ! On s’entend que c’est hyper dur de rester calme et d’accueillir avec le plusse d’amour possible une grosse connasse grossophobe. (Pareil si vous avez un vieux tonton raciste, misogyne et homophobe. Non, là faut dire ta gueule.)
2025-07 Si tu pouvais fermer ta gueule
Trop de frein à main, trop de marteau-piqueur (10 juillet 2025).
Ça donne quelque chose comme :
Je t’entends et je comprends pourquoi tu fais ça. Tu veux me protéger d’un truc horrible qui va se passer si je lâche le contrôle. Alors d’abord merci, de tout mon cœur merci de veiller sur moi et de me prévenir des dangers. Mais il se trouve que je suis grande maintenant et je ne veux plus aller là où tu dis.
De quoi as-tu si peur ?
Est-ce que tu sais, au fond, ce que c’est, ce truc horrible qui va se passer ?
Est-ce que tu es sûre que ça va réellement se passer si jamais on lâche ?
Je sais que tu es terrifiée, que ça te fait péter les plombs quand je lâche prise, parce que je me détache de toi, et mon corps aussi se détache de tes diktats avec la périménopause qui arrive. Mais moi je crois, vraiment, qu’on peut faire un autre choix à présent.
Est-ce que tu serais d’accord pour me faire confiance et essayer autre chose ?
Laissez-moi vous dire que c’est pas facile. C’est comme tenter d’obtenir la coopération d’un enfant de deux ans et demi en pleine crise de terrible two – pour les parents à qui ça parle…
Et pourtant je suis bien entourée. C’est même une de mes plus grandes qualités : je sais grave bien m’entourer. Dans le choix de celles et ceux que j’aime et dans le choix de mes thérapeutes.
Ben n’empêche. C’est pas facile.
→ Cliquez sur le dessin de Guillaume Long ci-dessous pour lire Mes amis & moi.
Le poison de la comparaison
Oui c’est pas fini (mais nous avons dépassé la moitié depuis la photo de la couverture de mon livre 😘).
Vous pouvez faire une pause pour aller aux toilettes, boire un truc et manger une tartine. Voire quelques étirements en croisant les mains derrière le dos et pensez à cligner plusieurs fois des yeux avant de revenir à l’écran.
Comme je ne vis pas en ermite dans la vallée reculée du Zanskar, il existe un autre élément qui vient rendre la relation entre ma grosse voix méchante et moi encore plus douloureuse, c’est : la comparaison.
(De la compare, vous vous souvenez ?)
Mon « moi profond » ou « moi authentique » ou mon « enfant intérieur » (tel qu’il est souvent nommé dans les ouvrages de développement personnel) n’est pas imperméable à ce qui l’entoure. Il a des peurs et des insécurités qui continuent d’être alimentées par ce qui l’entoure et auxquelles il réagit avec encore plusse de peur et d’insécurité. Et donc encore plusse de repli dans les ornières et les schémas déviants qui, certes le font souffrir, mais qu’il a l’avantage de très bien connaître.

C’est donc là, quand j’entends ce genre de souhait pourri formulé très haut sous la surface par mon « moi profond » ou « moi authentique » ou mon « enfant intérieur », que, théoriquement, je dois rush rush enfiler ma cape de superhéroïne d’adulte qui a grandi pour lui redire avec calme et bienveillance :
Bah non choupette… Non non, on fait pas ça, tu te rappelles ? On en a déjà discuté.
Ouais.
Ouais ouais.
Alors je sais pas si c’est ma cape de superhéroïne qui est mal doublée ou quoi, mais je dois dire qu’il y a des périodes où j’ai l’impression de travailler tout au long de la journée à élaborer une nouvelle configuration choisie avec soin, et hop la nuit tout s’efface : je me lève le matin de nouveau en mode programme par défaut, comme si aucune modification n’avait été enregistrée, comme si tous les paramètres avaient été réinitialisés à l’identique. Et je dois recommencer tout le travail.
Le PowerPoint décisif, le mémoire complexe, le dossier épineux.

Il faut du temps pour nourrir les pensées qu’on choisit.
S’entourer de personnes, d’idées et d’images qui nous font du bien.
Éloigner ce qui nous fait du mal.
Chez moi, j’ai limité la balance à une fois par trimestre, à peu près, et j’ai pas de miroir en pied. J’essaye de ressentir mon corps depuis l’intérieur, d’être reconnaissante pour ce qu’il me permet d’accomplir et les plaisirs qu’il me donne. Seulement à moins de se retirer dans un monastère bouddhiste comme je disais, on ne peut pas faire abstraction de la société dans laquelle on vit.
Là où je pars en vacances cet été, dans le T1 vraiment spartiate que nous louons dans une île de rêve des Cyclades, c’est comme chez moi : il n’y a pas de miroir en pied (et encore moins de balance). Un petit miroir au-dessus du lavabo pour se brosser les dents et vérifier qu’on n’a pas des grosses traces de crème solaire sur le visage avant de partir pour la plage – surtout si elle est bio (la crème) et non toxique pour les océans auquel cas tu peux être sûr·e qu’elle va être hyper galère à étaler – c’est tout.

Là où je pars en vacances cet été, il n’y a pas de miroir en pied (et encore moins de balance) mais il y a, sur la plage, des touristes de milieu social aisé avec des femmes qui ressemblent aux mannequins des magazines féminins des années 90.
Comme une image divine
Qu’on adore et qu’on adule
Une image de magazine
Sur qui on éjacule
Quand je les vois, ces femmes cis-hétéra-blanches-et-riches-de-plus-de-40-ans au corps filiforme, je donnerais mon bras à couper que, pour la plupart, soit elles s’affament, soit elles vomissent. Possiblement les deux.
Starmania, Les adieux d’un sex symbol, par Diane Dufresne en 1978 (l’année où je suis née).
Ce sont les paroles de Diane Dufresne, mais je pourrais aussi bien rendre hommage à Dalida, qui a chanté cette affaire d’itsy bitsy teenie weenie tout petit petit bikini et qui vomissait dès qu’elle mangeait pour s’assurer de rester mince. (#LadyDi#AmyWinehouse#VictoriaBeckam#LilyAllen pour rester en Angleterre #EtToutesLesAutres). Puis qui s’est suicidée – Dalida. Mais au moins elle était mince et sexy quand on l’a trouvée morte.
Pardonnez-moi cette remarque grinçante qui me vient comme ça à l’esprit et me rappelle Pour Britney, le texte de Louise Chennevière que j’ai lu en avril dernier.
Louise Chennevière entremêle ses analyses de l’image de Britney Spears à une réflexion plus profonde sur la vie de la romancière québécoise Nelly Arcan, qui s’est suicidée pour ne pas avoir à subir la honte de n’être plus un corps désirable pour les hommes et qui, dans son suicide, s’inquiète encore de l’aspect esthétique qu’aura son corps quand on la retrouvera morte.
Évidemment un suicide ce n’est jamais QUE ça, mais cette préoccupation de qu’est-ce qui se passe après ? qu’est-ce qui se passe si on n’est plus sexy dans le regard des hommes, est criante de souffrance dans toute l’œuvre de Nelly Arcan.
(J’ai lu Putain et Folle, je vous préviens c’est hardcore.)

Houhou vous êtes toujours là ?
Vous avez lu à présent les deux tiers de mon article, n’abandonnez pas si près du but ! Vous êtes dans la partie dure, celle du fameux « mur » du marathon.
Poursuivez. Je suis avec vous.
Et puis on dirait que j’ai perdu le fil mais non. Pas du tout. Ce que je voulais vous dire – avec ces femmes cis-hétéra-blanches-et-riches-de-plus-de-40-ans que je vois sur la plage d’une île cycladique pour touristes privilégié·es, mais, plus largement, avec toutes les femmes minces que je croise n’importe où – c’est que c’est dur de ne pas se comparer défavorablement. Ça me vient tout seul en fait, c’est ce que j’appelle mon « mode par défaut », et ce que j’entends dans ma tête à ce moment-là, c’est :
Regarde-toi ! Pourquoi t’es pas comme elle ? T’en as pas marre de rester comme toi ? T’attends quoi ?
(Je vous fais la version soft parce que j’ai trop honte d’écrire ce que dit vraiment la grosse voix méchante dans ma tête.)
Maintenant évidemment je le conscientise (je vous l’ai dit, non, que je travaille dessus depuis des années comme t’as pas idée ?). Mais même si je le conscientise, c’est pas pour ça que la grosse voix méchante va se priver d’une occasion de comparer. Bah non tu parles !
Je sens qu’à ce stade vous avez besoin de revoir un petit bout du maillot dont on parle.
Attendez, peut-être vous n’avez pas bien vu, on va faire un gros plan.
Ça y est là, c’est bien ?
Votre grosse voix méchante, elle en a assez pour vous démonter ou elle veut voir de derrière aussi ?
La comparaison, c’est la garce qui marche avec dysmorphophobie et grossophobie internalisée. Elle juge et condamne sans appel, jamais en ma faveur. JAMAIS. (Elle peut pas, avec dysmorphophobie à sa droite.)
La comparaison est un poison.
C’est ce que je répète sans cesse à la Petite Souris qui a 16 ans. Elle, parfois (pas souvent), il arrive qu’elle fasse des comparaisons qui la valorisent, elle. Des comparaisons qui la placent devant, des comparaisons où elle se trouve « mieux que unetelle ».
Ben ça aussi c’est de la merde. C’est ce que je lui dis. C’est de la merde autant que l’autre cas parce que dans les deux situations, tu n’es jamais tranquille, jamais en sécurité.
Si tu te compares et que tu te trouves moche, grosse, etc. (je vous laisse compléter), tu souffres.
Si tu te compares et que tu te trouves belle et « mieux que unetelle », tu vis dans la peur. Peur de perdre ton privilège, peur de ne plus être assez belle parce qu’un jour, c’est sûr, apparaîtra une nouvelle unetelle qui sera « mieux » que toi.
C’est sans issue.
Tu vois l’histoire du point de vue de la belle-mère de Blanche-Neige ou pas ?
Celle qu’on appelle la Méchante Reine, la Sorcière, parce qu’elle est obsédée par l’idée d’être la plus belle. Bah ouais mon gars, et tu te demandes pas pourquoi ?
Pourquoi a-t-elle tant besoin d’être rassurée qu’elle est la plus belle du pays, à ton avis ?

La nouvelle venue : hey salut périménopause
Périménopause.
Je relis mon discours d’accueil avec-le-plusse-d’amour-possible à ma grosse voix méchante et je vois que j’ai balancé le mot. Périménopause.
Peut-être cherchais-je à l’apitoyer avec les kilos que j’ai pris dans ma face depuis un an que la périménopause a fait son entrée dans ma vie. Sans que je n’aie rien changé à mon alimentation ni à ma routine sportive. Je ne fais rien de différent, nothing different, et je prends du poids.
Même mes grossesses c’était pas comme ça. Jamais, aucune des trois que j’ai menées à terme. Tu m’étonnes qu’à l’intérieur c’est la panique.
Et puis, dans la hotte d’anti-cadeaux avec laquelle se pointe la périménopause, il y a aussi : la flasquitude.
Bouées amarrées à différents endroits (parfois improbables) de mon corps. Seins qui glissent de quelques centimètres. Affaissement généralisé. Loi universelle de la gravitation – qui, quoi qu’on dise, ne crée pas l’attraction universelle.

Heureusement, je vis avec quelqu’un qui préfère les bourdons que les guêpes et qui dit que les cuisses qui se touchent, c’est la vie.
Heureusement, et pourtant : tu sais ce que me chuchote la grosse voix méchante à ce moment-là ?
Bah oui bien sûr il te dit ça, évidemment qu’il te dit ça, mais ça veut pas dire qu’il le pense ! T’es naïve ou quoi ?
Putain personne pourrait supporter d’être dans ma tête.

Comme le dit mon amie Maud, c’est dur d’être assaillie par la périménopause et, en même temps, d’avoir sous les yeux les corps parfaits de nos filles. Parfaits selon la norme de beauté unique à laquelle nous sommes soumises depuis que nous sommes préados : la minceur, le ventre plat, la lissitude.
On se compare mentalement et sans le dire à nos filles de 16-17 ans. (Euh… on reparle de la belle-mère de Blanche-Neige ou pas ?)
C’est dur et, en même temps, si on ne se saque pas pour sortir de ce cloaque, qu’est-ce qu’on leur transmet, à elles ?
Qu’elles sont safe tant qu’elles collent à cette norme ? Tant qu’elles sont jeunes et sveltes ? Et après ?
Que va-t-il se passer pour elles quand elles seront d’un coup éjectées du « grand marché à la bonne meuf », selon l’expression consacrée de Virginie Despentes dans King Kong Théorie, parce qu’elles auront pris des kilos ou/et parce qu’elles auront vieilli ?
Si pour nous « c’est mort », comme le pense Maud, si pour nous il est trop tard pour réussir à apprivoiser cette grosse voix méchante parce que les années 90 et la vague des « supermodels » nous ont imbibées d’images de corps ultra minces présentés comme parfaits et désirables, désirables parce que parfaits, est-ce qu’on pourrait quand même essayer d’incarner d’autres modèles pour nos filles ?
Des modèles vivants de corps qui mangent quand ils ont faim ?
Des modèles vivants de corps désirants, plutôt que de corps morts pour être désirables ?

Un matin, il y a quelque temps, je me suis réveillée avec l’idée que ne pas être désirable n’empêche pas, ne doit pasempêcher, d’être un sujet désirant.(Force est de constater en tout cas que cela n’empêche pas les hommes de tout type de corps d’être des sujets désirants.)
Et d’ailleurs, QUI décide que je ne suis plus désirable parce que j’ai pris trois kilos ou cinq ou plusse, ou parce que le temps fait descendre mes seins de quelques centimètres et marque mon visage de nouvelles rides ?
Ne plus être regardée, ne plus être désirée si on s’éloigne du modèle normatif, pourquoi est-ce que c’est si grave ?
Comment faire pour déconstruire ces injonctions intériorisées à la désirabilité de nos corps ?

Depuis le début on dirait que je vous raconte mon histoire intime, et effectivement intime elle l’est. Pourtant… Je connais peu de femmes qui n’ont aucun problème avec leur alimentation, et aucune qui n’en ait pas avec le reflet de son corps dans le miroir.
Aucune qui, si elle rencontrait une fée, ne lui demanderait pas de changer quelque chose à son corps, voire de TOUT changer, d’un coup de baguette magique. Moi la première.
Donc intime, oui, mais notre rapport au corps est aussi politique.
C’est intime ET complètement politique parce qu’on est toutes asservies par le regard qui est porté sur nos corps de femmes.
Mais qu’est-ce qu’il a, le corps des femmes
Pour qu’on lui foute jamais la paix ?
Comme le chante tellement bien Mathilde.
Voilà pourquoi, qu’elle soit en notre faveur ou non, la comparaison est le pire piège dans lequel les femmes puissent tomber. Se jauger les unes les autres pour se faire du mal ou dire du mal ou même penser du mal de nos corps, et pendant qu’on perd notre temps et notre estime de nous dans ces affaires, on ne s’occupe pas de ce qui nous rendrait vraiment fortes.
Le corps des femmes, chanté par Mathilde à la cérémonie des Molières 2024.
Et maintenant, on fait quoi ?
Voilà. Maintenant on fait quoi ?
Ben y’a pas what mille solutions, hein ! Soit t’arrêtes de couiner que t’es trop grosse et tu fais ce qu’il faut pour changer ton corps, soit tu changes le regard que tu portes sur ton corps (et t’arrêtes de couiner aussi s’te plaît).
Merci Monique pour ta douce intervention.
C’est la deuxième voie que je voudrais essayer aujourd’hui. Vu que la première je la connais par cœur et qu’elle n’est pas vi(v)able. Elle ne marche que pour un temps compté, limité, jamais gagné parce que tu dois toujours surveiller. Contrôler. Compenser.
La première voie, c’est la pente la plus directe vers la dépression (avec TCA garantis à vie).
Moi j’en veux plus de ça.
Aujourd’hui que je suis conscientisée, je ne veux plus de ce contrôle permanent sur mon poids et sur ce que je mange, surveiller, restreindre, compenser par le sport au-delà des limites de mon corps. Culpabiliser surtout. Culpabiliser pour une glace, avoir honte de manger du pain, se sentir nulle de ne pas être aussi mince qu’on le devrait.
Mais aussi mince pour quoi ? pour qui ?
Et pire encore quand on est arrivée à se convaincre que c’est pour nous-même, mais oui, qu’on veut être mince, c’est pour nous et rien que pour nous qu’on se prive et qu’on se torture, bien sûr, c’est pour nous sentir mieux dans notre corps, pour enfin ressembler de l’extérieur à la personne heureuse et mince qu’on est à l’intérieur, et tout ça n’a rien à voir avec le regard des autres, vraiment rien.

C’est ça. Bullshit.
On se sentira mieux rien du tout ! On le sait, au fond, que c’est pas ça le problème, qu’on ne se sentira pas mieux dans notre peau quand on aura perdu trois kilos, ni cinq, ni dix, ni même vingt-cinq !
Moi je le sais, believe me. Mon corps qui un jour s’est réduit de moitié le sait jusqu’à l’os. Alors pourquoi on dépense encore tant de temps, d’attention et d’énergie, sans même parler de l’argent investi, à se faire croire que si, cette fois ça va marcher, cette fois c’est la bonne ?
PLUS GROS BULLSHIT DE L’HISTOIRE DE LA FÉMINITÉ.
Cette bataille, impossible à gagner puisqu’elle se livre contre nous-mêmes, contre nos corps, puisqu’elle n’a pas de fin, cette bataille vole nos rires, notre joie de vivre, nos jours qui passent, et elle nous laissera toutes à terre.
Je ne veux plus perdre mon temps et mon attention en considérations sur mon alimentation, sur ce qu’il serait bon que je mange (des blettes) ou que je ne mange surtout pas (des REM la nuit) pour perdre x kilos.
(Remplace x comme bon mal te semble.)
Je ne veux plus détruire mon moral et mettre en danger ma santé mentale à coups de jugements permanents sur mon corps, mon poids, sur ce que ma masse graisseuse dit de moi. (Spoiler alert : rien. Nada. Walou.)

Je veux sortir de ça.
Je veux un monde où ce serait possible pour moi, pour ma fille, pour toutes les femmes, de porter un maillot de bain qui leur plaît et de ne pas se détester parce qu’il y a des bourrelets, de la cellulite, des vergetures, parce qu’il y a des poils et des cicatrices.
Je veux un monde où les femmes ne sont plus tristes quand sur leur corps, ça ne fait pas du tout comme sur le mannequin de la vitrine ou la fille du magazine. Au hasard, celle qui porte le petit bikini pailleté que je vous ai montré.
Je veux ne plus penser que ce maillot sur moi il est horrible parce que regarde là, comment ça fait, t’as vu, et là, et là, ça me dégoûte.
Je voudrais qu’on arrête de croire qu’on devient moche quand on vieillit ou quand on prend du poids alors qu’on ne le voit pas du tout comme ça sur les autres.
Je voudrais ne pas ressentir ce que je ressens quand mon corps qui s’épaissit en se périménopausant m’inspire de la honte, honte à laquelle s’ajoute désormais, avec la conscience féministe que j’ai développée ces cinq dernières années, la honte d’avoir honte.
Honte de ne pas en être plus loin sur mon chemin d’émancipation, honte de n’être toujours pas libérée de cette injonction à la minceur alors que je me suis affranchie de tant d’autres. J’ai même tout lâché des attributs traditionnels de la féminité : le maquillage, les cheveux, les fringues…
Mais pourquoi, dis, pourquoi celle-là elle s’en va pas ?

Je suis repartie de la boutique (ne me dites pas que vous avez oublié, pendant tout ce temps que vous avez passé dans ma tête, que j’étais à la boutique ?) avec le maillot que j’avais apporté pour le changer. Exactement celui que mes amies ont choisie pour moi.
Et mon chantier cet été, c’est habiter mon corps dans ce maillot qui brille et qui me plaît quand il n’est pas sur moi.
Je ne dis pas : cet été je vais aimer mon corps.
Je dis : cet été je vais essayer d’habiter mon corps de l’intérieur dans ce maillot qui brille et qui me plaît.
Ressentir la chaleur du sable sous mon dos et la fraîcheur des vagues sur ma peau.
Éprouver de la gratitude à marcher sur les sentiers rocailleux et à nager dans la mer, plutôt que penser aux bourrelets de mon ventre qui se replient les uns contre les autres en accordéon quand je m’assois. (Mon pote Stéphane François – « le gros », par lui-même – m’a raconté que quand il était petit, les choco-REM étaient vendus à l’unité en accordéon. C’est les Vosges.)
Je ne dis pas : cet été je vais aimer mon corps.
Je dis : cet été je vais essayer de ne plus lui faire honte sous une pluie acide de critiques et de remarques méprisantes. Bodyshaming. Grossophobie internalisée.
Essayer, autant que je peux, de baisser le volume de la grosse voix méchante dans ma tête, et recommencer chaque matin même si je n’ai pas réussi la veille.
Si tu ne le fais pour toi, fais-le donc pour ta fille.

Ce qui me donne de la force, c’est de penser plus large que moi.
Penser que je le fais en même temps que d’autres femmes, pour d’autres femmes, aussi, qui ne peuvent peut-être pas encore le faire.
Penser que ce changement que je veux voir dans le monde, c’est aussi à moi de le changer pour moi : quel est le sens de lutter contre la grossophobie extérieure si je ne lutte pas, en même temps, contre ma grossophobie internalisée et retournée contre moi-même ?
Regarder en face mes pensées auto-grossophobes ne dédouane pas notre société de l’image du mal qu’elle fait en les répandant chez les petites filles comme des implants.
Décider de faire un pas de côté n’enlève rien au fait que les diktats de beauté unique, mince et bien musclée que j’ai si intimement intériorisés ne sortent pas de mon cul capitonné sont imposés par l’idéal blanc hétéro-patriarcal et que donc, on ne les renversera pas sans une lutte politique que nous devons mener toutes ensemble pour faire valoir d’autres images, d’autres modèles.
Néanmoins, en reprenant la responsabilité de mon histoire personnelle avec courage et lucidité, je veux croire que je peux, parallèlement à cette lutte collective, grâce à cette lutte collective, petit à petit, me réapproprier le regard que je pose sur mon corps.
Au moins le comprendre, au mieux le choisir.

Le fait de l’écrire ici comme un engagement à le vivre autrement m’aide à me rappeler d’aimer mon corps d’essayer d’habiter mon corps tel qu’il est. Comme une maison dans laquelle je n’aime pas tous les recoins mais où je serais, ENFIN, en sécurité.
C’est pour ça que, à quelques jours de partir en vacances avec mon petit maillot de bain qui brille, je vais m’arrêter là et publier cet article. Donner à lire, rendre public cet article qui couve depuis deux mois sous forme de notes sur des bouts de papier dans mon sac, dans mon carnet, dans mon téléphone, et que je viens de rédiger d’une traite avec la même fluidité que mon article sur le viol (d’une traite mais en douze jours 8h-20h à temps complet quand même 🫢).
Comme si tout était déjà là, prêt à jaillir, et qu’il n’y avait qu’à ouvrir les vannes.
→ Cliquez sur le dessin ci-dessous pour lire Pourquoi j’ai mal au ventre.
Ce n’est pas facile de savoir qu’après cet article je serai « vue » (en maillot de bain surtout). Comme au moment de la publication de mon livre il y a vingt ans, je sais que je m’expose au jugement et qu’après je ne pourrai plus faire semblant.
Évidemment qu’écrire tout ça me rend fragile et que dès que j’aurai posté mon article je vais ressentir des courbatures de vulnérabilité force 12. Mais :
On ne peut pas se défaire de la honte sans passer par la case « vulnérabilité ».
C’est une phrase que j’ai lue dans un email de Clotilde Dusoulier du 21 mai 2025. Je vais la répéter.
On ne peut pas se défaire de la honte sans passer par la case « vulnérabilité ».
Et moi cette honte de mon corps, cette honte de ce que je pense de mon corps, j’en ai trop bu. Je n’en veux plus. Donc oui, là tout de suite, je suis vulnérable à cet endroit. Et je sais qu’on est des millions à l’être, alors s’il vous plaît, ne me laissez pas seule devant le précipice que je viens d’ouvrir. Partagez. Témoignez. Laissez un commentaire !

Pour aller plus loin
Lauren Malka, Mangeuses – Histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès, éd. Les Pérégrines, 2023
(L’ouvrage vient de sortir en poche chez Points le mois dernier.)
Je n’aime pas recommander un livre que je n’ai pas lu, mais celui-là est sur ma liste de livres à lire depuis qu’il est sorti. Je pensais même le trouver sous le sapin à Noël 2023 mais j’avais pas de sapin, ceci explique cela.
Et, pour avoir entendu Lauren Malka à plusieurs reprises en entretien dans des podcasts longs (Ceci est ton corps, Métamorphose, Encore heureux → celui-là, je vous en reparle à la fin du mois), je n’ai aucun doute que son livre est passionnant. Elle y analyse le sentiment de culpabilité lié à la nourriture chez les femmes dans une double perspective historique et sociologique. Où l’on comprend que la honte de manger, ou bien la honte de « trop » manger, ne date pas d’aujourd’hui…
C’est ce qui me nourrit avec le féminisme. Penser ce sujet (le corps, l’injonction à la beauté, mais aussi l’hétéro-normativité et tant d’autres sujets) d’un point de vue politique et militant m’aide énormément.
* La minute Ted Mosby *
Le poing levé féministe tel que représenté ci-dessus a été créé par l’activiste et écrivaine américaine Robin Morgan en 1967. Il a été utilisé pour la première fois publiquement en 1968 lors de la première manifestation contre Miss America, où il était reproduit sur des pin’s et des tracts. Depuis, ce symbole de lutte est devenu un emblème de la cause féministe sur tous les continents.
Zina Mebkhout, Manger sans culpabiliser – Comment en finir avec la culture des régimes et retrouver une alimentation intuitive, éd. Solar, 2025
Vous pouvez écouter Zina Mebkhout dans l’épisode « Peut-on avoir un rapport apaisé à la nourriture ? » du podcast Encore Heureux (Binge Audio) et lire une super interview d’elle par Louise Morel dans l’excellente infolettre Le grain sur Substack.
(Arrivée dans ma boîte pile le lendemain de mon anniversaire, je l’ai lue comme un cadeau !)
→ https://newsletter.louisemorel.net/p/zina-mebkhout-livre-manger-sans-culpabiliser

Mathou, Corps à cœur, éd. Leduc, 2023
« Le carnet pour VRAIMENT essayer de faire la paix avec votre corps ».
Conçu et illustré par Mathou à partir de sa propre relation à son corps, j’ai aimé son honnêteté et sa douceur.
Je précise que l’essai de Zina Mebkhout publié en début d’année que j’ai cité juste avant, Manger sans culpabiliser – Comment en finir avec la culture des régimes et retrouver une alimentation intuitive, est également illustré par Mathou… qui est décidément le fil d’or de mon article !

Léa Bordier, Cher Corps, éd. Delcourt, 2019
Ce livre est une bédé adaptée de la série « Cher Corps » de la chaîne YouTube de Léa Bordier, dont je vous ai déjà parlé dans mon article aussi (bien-)nommé Cher Corps.
On y retrouve douze témoignages de personnes qui ont participé à la série, illustrés en quelques pages par douze illustratrices différentes. Les planches que j’ai reproduites ici sont celles de Mathou, qui dessine le récit de l’anorexie d’Aurélie.
J’hésitais à vous parler plus longuement de cette bédé à la fin du mois dans mes lectures de juillet, mais finalement, j’ai passé tellement de temps sur cet article à réfléchir sur le rapport au corps, la détestation de soi, la voie vers l’acceptation – ou une certaine forme d’acceptation – que j’en peux up j’en ai ma claque, j’avoue ! J’ai même dit à mon mari :
– C’est terminé, ce sera mon dernier article de la vie, après j’arrête. J’arrête le blog, les newsletters, j’arrête d’écrire, j’arrête tout !
Bon. Il se peut que je manque parfois de pondération (pour le dire de manière pondérée).

Donc Cher Corps n’est pas la bédé dont j’ai choisi de vous parler pour juillet, bien que je l’aie beaucoup aimée. Elle apparaîtra néanmoins sur la photo en tête de l’article Lis-moi juillet 2025.
Si vous ne connaissez pas Léa Bordier, je vous conseille sa chaîne YouTube. J’aime beaucoup sa façon de s’effacer pour mettre en valeur les personnes qu’elle interviewe.
Dans la vidéo que je vous propose ci-dessous, les jeunes qu’on entend sont sidérant·es de sagesse et de maturité. Ça m’a mise en joie.
Série « On en parle », de Léa Bordier : Le rapport au corps (novembre 2020).
Côté podcasts, vous en trouverez des tonnes et des tonnes sur le sujet du corps. Tous ne se valent pas. Outre les épisodes avec Lauren Malka ou Zina Mebkhout cités précédemment, je vous recommande encore plus fort deux anciens épisodes de mon podcast préféré de tous : Un podcast à soi, créé et réalisé par Charlotte Bienaimé.
→ Cliquez sur l’image pour accéder directement à l’épisode dans un nouvel onglet.


MERCI D’ÊTRE ALLÉ·E JUSQU’AU BOUT.
Cet article devient officiellement le plus long de l’histoire de mon blog, devançant ainsi le double record de longueur et d’intimité détenu par L’allaitement & moi.
Mes prochains articles seront plus courts, peut-être même carrément expéditifs ! 😝
Et pour ne pas vous laisser dans la lourdeur (rapport à ce que houhou c’est l’été, les vacances, on est censé·es se mettre bien), je vous propose un dernier shot (dernier shot) j’pète une clope (j’pète une clope) quelle époque mes aïeux quelle époque un petit shot d’humour féministe.
Je n’ai pas Instagram, mais j’ai des cops qui l’ont et qui m’envoient les bons trucs 😉
https://www.instagram.com/reel/DHG0q-dtUP3/?igsh=MWl0aHVzaGsxdW5kcA==
Élodie Arnould, « Parler des corps des hommes comme les hommes parlent des femmes ».
Oui je sais je sais. #NotAllMen.
Mais pas mal beaucoup quand même.

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→ D’autres articles intimes ici :
https://letsgofishing.fr/category/vivre/ma-chambre-a-moi/
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Répondez au vocal de ma copine Adeline.
Et vous, vous faites ça ?
Quel pas aimeriez-vous faire aujourd’hui pour sortir de là ?