La langue française & moi (2)

Illustration : Quand une lettre change tout… Merci Laurent pour ce clin d’œil Perché !

 

Le mois dernier, j’ai lu un livre qui m’a amenée à relire un de mes plus vieux articles sur le blog.
Le livre c’est : Les linguistes atterré·es, Le français va très bien, merci, éd. Gallimard, coll. Tracts n°49, mai 2023. (Très bon cadeau de Noël de mon mari.)
L’article (de septembre 2018) c’est : La langue française & moi.

J’ai eu honte de ce que j’avais écrit.
Honte au point que je suis allée ajouter une * Note du 13 mars 2024 * à mon article.
Honte comme quand t’as tellement changé que tu voudrais effacer ce que tu as écrit. Gribouiller la personne même que tu étais quand tu l’as écrit. Une histoire de ponts devenus trop petits.

J’ai tellement changé ces cinq dernières années. Tellement remis en question, tellement bougé mes lignes depuis le voyage ! On dit tout le temps ça chez moi, « le » voyage. Pas mon voyage, pas notre voyage, non. LE voyage.
Attention, ce n’est pas que j’ai été touchée par l’illumination foudroyante de la sagesse de Bouddha au milieu de la jungle cambodgienne hein ! Je ne suis même pas sûre que ce soit le voyage en lui-même, genre on est parti·es autour du monde et depuis j’ai compris la vie, plus rien n’a plus jamais été pareil. Posture mélo, yeux mi-clos et voix vibrante de trémolos…  😝

Non c’est pas ça du tout ! Je cherche toujours à comprendre la vie et je suis revenue le crâne rasé comme j’étais partie.
Mais sous ce crâne, lentement, j’ai déconstruit une chose après l’autre de mon passé au fur et à mesure que j’accédais à davantage de conscience, et oui aujourd’hui j’observe que, depuis « le » voyage, j’ai changé profondément de l’intérieur.

Je ne suis plus la même qu’il y a 30 ans quand j’avais 15 ans.

Je ne suis plus la même qu’il y a 18 ans quand je me suis mise à la colle avec mon mec.
(Zéro drogue dans cette phrase, c’est juste que je ne peux pas employer l’expression « se mettre en couple » des nouveaux ados qui me fait froid dans le dos comme la tisane de camomille et le chocolat chaud. Tuez-moi tout de suite. Je vous en reparle dans un article En 4-6 que je prépare pour mon anniv’.)

Je ne suis plus la même qu’il y a 5 ans avant de partir en voyage.

 

Extrait de « Le français va très bien, merci », du collectif Les linguistes atterré·es, éd. Gallimard, coll. Tracts n°49, p.6.

 

« Les discours puristes et la norme scolaire en partie arbitraire […] qui prennent les grammaires et les dictionnaires pour des tables de loi immuables, gravées dans le marbre ».

C’est exactement ce que je faisais. Mes tables de loi immuables. Le deuxième de mes enfants me l’avait bien envoyé dans les dents quand il n’avait pas encore 8 ans :

– Toi maman, on dirait que les seules règles que tu respectes, c’est les règles d’orthographe !

Bam ! C’était après que je venais juste de me prendre une énième amende pour excès de vitesse. C’était vrai. Peut-être parce que j’avais besoin de me rassurer. De sentir des murs solides autour de moi. Des murs qui ne trembleraient pas. Aujourd’hui j’ai plusse d’assurance. Et j’ai plutôt envie de faire tomber le patriarcat les murs qui enferment. Ouvrir les frontières – et la langue en est une.

À partir de là, traduire Molière en français moderne comme il est proposé à la page qui suit l’extrait que je partage ici, ce n’est peut-être pas, finalement, un crime de lèse-majesté à la langue française. C’est peut-être même, tout bien réfléchi, ce qu’il aurait voulu, lui, Molière, si c’était la condition pour être lu par la jeune génération. Et il se serait moqué à cœur joie des vieux barbons de l’Académie française comme il l’a toujours fait avec les moralistes de tout poil. Le regard critique et l’humour de Molière sont tellement décapants !

Moi je vis avec trois enfants qui ont grandi entre des rayonnages de bibliothèques et des piles de livres de plus en plus hautes dans le salon, dans leurs chambres, partout dans la maison, eh ben crois-moi, Molière ça les saoule. Ça me fait mal dans mon cœur mais ils s’en battent royal de mon cœur, ils le lancent en l’air et l’éclatent au sol par un cinglant :

– Vas-y ça saoule, Molière. Ses phrases, elles veulent rien dire !

Tout ça pour trois malheureux vers qu’on leur demande de lire sur un pauvre sein qu’on ne saurait voir (l’âme blessée de coupables pensées), alors je vous parle même pas de Racine, le pauvre. Et je me dis que c’est quand même con que les jeunes générations passent à côté de la richesse de Molière, à côté de la modernité de Molière, juste parce que nous, les vieux et les vieilles, on est rigides et qu’on refuse l’évolution. Qu’on refuse le CHANGEMENT, alors que c’est mon putain de mot de l’année !

 

J’ai eu une conversation semblable le mois dernier avec mon ami Stéphane François à propos des avantages de l’habitat partagé…

 

Soyons donc ouvert·es aux nouveaux usages de la langue, ce sont eux qui la rendent vivante.

Ça ne veut pas dire ne plus respecter aucune règle de grammaire, de conjugaison ou d’orthographe, évidemment, mais à quoi bon reprendre l’amie qui me dit : « On se rejoint au café après que je sois allée au garage » ?
À quoi me sert d’avoir raison quand je suis en train de bugger parce que mon mari me demande : « Tu te rappelles de la petite fromagerie où on allait acheter du chèvre ? ».

Qu’est-ce que ça peut faire finalement ?
Ai-je vraiment raison si je suis seule ?
Une langue n’est-elle pas l’outil privilégié qui nous relie les un·es avec les autres ?

Bien sûr je ne peux pas enlever de ma tête que j’ai entendu la faute. Je l’ai entendue. Et quoi ?
Bien sûr il y a cette voix outrée dans ma tête qui corrige immédiatement, après que je suis allée, tu te rappelles la fromagerie. Ok. Mais franchement, la voix n’est plus si outrée que ça. Elle corrige par réflexe automatique de la même façon que j’essuie chaque soir l’eau éclaboussée sur le lavabo après que mes enfants se sont brossé les dents. Et encore, en vrai, elle est moins énervée que moi dans la salle de bain quand j’ai répété mille fois qu’on n’est pas à la piscine ici merde.
Ça s’arrête là. Ce n’est plus si important pour moi.

Le monde change et le langage émoji / sms ne menace pas de disparition la richesse de la langue française. (Dit la meuf qui, néanmoins, refuse de répondre aux textos de ses ados quand ils et elle lui écrivent « tkt » ou « dsl » dans un message. Faut pas pousser mémé dans la camomille.)

Le monde change et j’ai plutôt envie de faire tomber le patriarcat les murs qui enferment.

 

Pink Floyd, Another brick in the wall (Part 2), album « The Wall », 1979.

 

Allez, avant de partir, puisqu’on a parlé de Racine, ça me fait plaisir…  😊 (et hop, émoji !)

Mourons. De tant d’horreurs qu’un trépas me délivre.
Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre ?
La mort aux malheureux ne cause point d’effroi.
Je ne crains que le nom que je laisse après moi.

(Phèdre, acte III, scène 3)

 

Références

Sur comment je suis passée à l’écriture inclusive, lire l’article Tous et toutes ensemble.

Les linguistes atterré·es, Le français va très bien, merci, éd. Gallimard, coll. Tracts n°49, mai 2023.

Julien Soulié et M. la Mine, Et cetera, et cetera – La langue française se raconte, éd. First, coll. « La vie en bulles », 2020.
Je vous parle de cette bande dessinée dans l’article Paye ta question #6.

 

« La faute de l’orthographe », des enseignants linguistes Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, Conférence TEDxRennes mai 2019.

 

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Et vous, y’a-t-il des sujets sur lesquels vous sentez que vous avez évolué ?