Paye ta question #6

Photo : C’est moi à trois ans (1981). J’avais un vélo avec un super klaxon ROUGE. J’avais une frange aussi. À quel moment m’est apparu ce maudit épi au-dessus du front qui a enterré mon rêve secret d’avoir une frange droite et épaisse ?

 

Ok, c’est encore une vieille photo. Pourtant le mois dernier, je pensais sincèrement qu’en juin viendrait le vrai portrait. Celui d’aujourd’hui, parce que, voyez-vous, je travaille depuis quelque temps avec une photo-thérapeute. Mais comme disait ce bon vieux John (Lennon) : la vie c’est ce qui arrive quand on a d’autres projets. Alors je vais arrêter de vous le promettre et de reculer, et on verra bien ce qui arrive avec la vie.
En attendant, voilà une photo qui interroge : quand est-ce qu’on sait qu’on a grandi ?
Depuis l’intérieur, je veux dire. A-t-on jamais fini de grandir ?

 

Je rappelle le principe de l’exercice de Paye ta question : chaque mois je partage avec vous une question que vous emportez ensuite avec vous pour l’examiner, à l’endroit, à l’envers, et partout dans les petites mailles du dessous qu’il n’y a que vous qui voyez dans vos mitaines en laine que vous avez lavées avant de les ranger pour le prochain hiver. Puis vous revenez tendre le fil de vos réflexions dans les commentaires sous cet article pour apporter des lettres de l’eau à mon moulin.

 

Votre question du mois est :

Quand est-ce qu’on sait que c’est le bon moment pour… ?
(engager une conversation pénible avec quelqu’un, avoir ou pas un enfant, changer de boulot ou de lieu de vie, mettre un terme à une relation, arrêter un comportement qui ne nous fait pas du bien, etc., etc.)

 

Je vous laisse y réfléchir et me dire – vu que moi je pense qu’il n’y a pas de « bon » moment. Il n’y a rien sinon ce que l’on DÉCIDE de faire.
Ça me rappelle quand on était prêt·es à partir en voyage, en tour du monde-Asie-Pacifique, et qu’on a invité les parents de mon mari pour leur annoncer. Ils sont restés quatre ou cinq heures à la maison, on a parlé de choses et d’autres sans importance, et plus je voyais les minutes et les heures s’écouler, plus je roulais des yeux énormes à mon mari avec un sous-texte clignotant en lettres de néon : bah alors ?… alors ?… mais qu’est-ce que t’attends pour leur dire ???

Quand ils sont repartis ce soir-là sans que mon mari n’ait dit quoi que ce soit, je lui ai sauté dessus en traduisant très fort avec ma voix ce que mes yeux avaient hurlé tout l’après-midi. Et il m’a répondu cette phrase mythique :

– Ouais bah… j’ai pas trouvé le bon moment !

Alors qu’on les avait invités exprès pour ça. La gueubla.
En plusse, de la part du mec qui passe son temps à dire :

« Il n’y a pas de meilleur moment que maintenant. »

À ce niveau-là Mario, on n’est plus sur de la gueubla, crois-moi !
Mais bon, mon mari avait une raison. On a toujours une raison. Après, est-ce que cette raison tu l’aimes, est-ce que tu es ok de la laisser décider à ta place, ça c’est une autre question.
(Si tu te demandes, c’est la question #4. Nan mais je t’en prie. Ça me fait plaisir.)

 

 

Et puis comme j’en ai jamais marre de poser des questions, moi ce que je me demande surtout, c’est : si c’est pas le « bon » moment pour… (blablabla, ce qui vous concerne, ce que vous voulez), s’il n’y a pas de « bon » moment, alors on fait quoi ?
On attend ?
On attend que, un jour, on sait pas quand, que si c’est pas sûr c’est quand même peut-être, un moment va arriver et ce jour-là on sera illuminé·e par la foi qui nous dira : vas-y ! c’est lui ! c’est le « bon » moment !

Hmmm. Et si non ?
Si le moment ne vient jamais, ou si je dormais pendant qu’il est passé, ou si, à force de l’attendre, je me suis mise à trop douter et tout s’est éteint en moi et je ne l’ai pas reconnu, alors quoi ?
C’est ça qui m’angoisse, moi.
L’attente.

Et voulez-vous savoir ce que j’ai entendu, là, à quinze minutes de la fin du dernier épisode de la dernière saison de cette fabuleuse série qu’est The Marvelous Mrs Maisel ? (C’est une question rhétorique celle-là hein ! En fait même si vous ne voulez pas, je vais vous le dire.)
À quinze minutes de la fin de l’épisode 9 de la cinquième et dernière saison, j’ai entendu de la bouche de Mrs Maisel elle-même :

I want a big life. I want to experience everything. I want to break every single rule there is.
They say ambition is an unattractive trait in a woman. Maybe. But you know what’s really unattractive ?
Waiting around for something to happen. Staring out a window, thinking the life you should be living is out there, somewhere, but not being willing to open the door and go get it. Even if someone tells you you can’t. Being a coward is only cute in « The Wizard of Oz ».

Je veux une belle vie. Je veux tout essayer. Je veux briser toutes les règles établies.
On dit que l’ambition est laide chez une femme. Peut-être. Mais vous savez ce qui est vraiment laid ?
Passer son temps à attendre que quelque chose se passe. Rester derrière la fenêtre à regarder dehors en pensant que votre vraie vie est quelque part, là-bas, mais ne pas oser ouvrir la porte pour aller la chercher. Même si quelqu’un vous a dit que vous ne pouvez pas faire ça. Être lâche n’est mignon que dans « Le Magicien d’Oz ».

 

Illustration de Gomargu.

 

Dis-toi que la semaine dernière, le Marcass’ (10 ans) a fait exactement la même faute à « débarrasser » que sur l’illustration ci-dessus. J’ai pété un plomb. Mais enfin tu connais le mot « débarras », non ? Un débarras, tu sais ce que c’est ? Oui ? Bon ben voilà, « débarras » y’a deux r, donc « débarrasser » y’a deux r aussi, c’est quand même pas compliqué, deux r et voilà, bon débarras ! J’ai pas trop crié. Je crie pas trop pour les fautes de mots et de vocabulaire en général. Sauf si c’était dans la dictée à préparer évidemment. Ou dans une autre dictée d’avant, de l’année dernière ou y’a deux ans. Sauf si on a déjà parlé de ce mot, un jour, peut-être, depuis qu’il est né. Non, le gros problème de cette illustration, c’est le « à » avec accent. Le « à » avec un accent qui ne devrait pas être là, c’est ça, LE GROS PROBLÈME !

Mais je m’assouplis.
En ce moment je lis un livre génial de Julien Soulié et M. la Mine, Et cetera, et cetera – La langue française se raconte, publié en 2020 aux éditions First dans la collection « La vie en bulles ». Les auteurs retracent sous un angle historique et étymologique les évolutions de notre langue et montrent à quel point elle est compliquée, incohérente, pleine d’exceptions aberrantes et de règles contradictoires incompréhensibles. Et franchement je m’assouplis.
Je m’assouplis grave.

 

Extrait de « Et cetera, et cetera – La langue française se raconte », de Julien Soulié et M. la Mine, p.71.

 

D’accord les gens ? Ça va ? On est bon là ?
Le problème, c’est que c’est pas que : les gens. C’est pas que : quelques exceptions bizarres à apprendre par cœur. Le problème, c’est quand tu n’as pas d’argument valable pour justifier la complexité des règles de conjugaison à tes enfants ! Et je vous l’avoue ici, j’ai moi-même toujours un petit soupçon de frémissement quand j’écris : je me suis rendu compte que je m’étais trompée… Ou bien encore : je me suis rappelé ma robe de l’été dernier…

 

Extrait de « Et cetera, et cetera – La langue française se raconte », de Julien Soulié et M. la Mine, p.119.

 

Si vous avez manqué les questions précédentes :

Paye ta question #1
Paye ta question #2
Paye ta question #3
Paye ta question #4
Paye ta question #5

 

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Et pour vous, ce sera quand le bon moment ?