Libérées ?

Illustration de Gomargu.

 

Ces derniers jours, j’ai reçu un grand nombre de messages perso en écho à la publication de mon dernier article, Tous et toutes ensemble.
Des messages de remerciements, des messages de soutien dans la révolte, et des messages pour aller encore plus loin. Merci à vous. Il arrive que je me sente pas mal vulnérable après la publication d’un article – et cette semaine, en plusse, je me suis fait un festival perso de la vulnérabilité. En écran géant 4DX 3D, zéro distance de sécurité, histoire de remettre mon ego à sa place, tiens si t’as cru que t’avais grave progressé, que maintenant c’est bon, tu vois en toi tout ce qui se passe, les trous, les failles, les crevasses, prends bien ça dans ta face !

Enfin, vis ma vie. Au fur et à mesure que je recevais vos messages, l’idée m’est d’abord venue de les publier tous ici pour prolonger le débat. J’aurais préservé votre anonymat, ne vous inquiétez pas, j’ai bien compris que vous, la vulnérabilité, merci mais non merci vu que poster un commentaire sous un article déjà, c’est trop de nude
Et puis, en constatant qu’aucun de ces messages ne parlait d’écriture inclusive – qui était pourtant le sujet principal de mon article (euh… sinon les gens… ça ne vous intéresse pas ou quoi ?) – mais en remarquant que TOUS ces messages portaient, avec plus ou moins de véhémence, plus ou moins de filtres, plus ou moins de gros mots, un combat féministe, je me suis rappelé que je vous avais promis il y a des lustres un article sur le féminisme.

 

 

Ce fameux article en cours d’écriture qui s’appelle Le féminisme & moi, que j’ai commencé à grattouiller le 20 décembre 2020 (merci Word d’archiver ainsi la date de création de mon document afin de me rappeler avec précision depuis combien de temps je procrastine dessus), ce fameux article en cours d’écriture dans lequel j’empile les réflexions qui me viennent sur des phrases entendues, des situations que je vis ou que j’observe et qui me choquent, des bouts de notes, des titres de livres à lire, de films à voir, des chiffres du HCE (Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes), bref, une somme conséquente de données qui partent dans tous les sens depuis deux ans et trois mois, où rien n’est hiérarchisé ni même pré-organisé et qui remplit à présent quatorze pages Word de vrac total que je referme dès que j’ai jeté un truc dedans comme la grosse malle de mon salon ou la double armoire à l’entrée de ton garage dans laquelle tu balances tout ce que tu ne sais pas où mettre mais un jour tu vas ranger et ça va être super, sauf que comme avec le temps il y a de plus en plusse de trucs et de bidules dedans, l’ouvrir ça voudrait dire réfléchir à ce que tu vas faire de tout ça et ouvrir d’autres placards, d’autres tiroirs, donc surtout, surtout, tu refermes très vite et tu vas plutôt courir.

Alors, alors, j’ai décidé de glisser vos messages personnels dans ma malle et d’y revenir quand je la rangerai, avec leurs interrogations, en leur donnant le temps de la réflexion qu’ils méritent.
Mais. J’ai gardé l’idée de partager ici tout de suite les vidéos que j’ai reçues.

 

 

La première m’a été envoyée par mon mari (comme quoi le mec lit mon blog). C’est une vidéo Culture Pub qui reprend un spot du Gouvernement du Québec sur les dangers des selfies. Plus ou moins. Si tu veux.

https://re.linkedin.com/posts/en-mode-culture-culture-pub_cette-femme-est-obs%C3%A9d%C3%A9e-par-les-selfies-activity-7037378879518339072-BAu6
(Cliquez sur le lien, je n’ai pas pu insérer la vidéo directement dans l’article.)

Ce spot m’a glacé le sang. Le contrôle des femmes, qu’on minimise avec tant de mensonge et de complaisance en le faisant passer pour de l’inquiétude bienveillante, ou pire, de l’amour, c’est le bas de l’iceberg de la violence sexiste, je vous rappelle. Retrouvez l’infographie Amnesty International dans mon article Tous et toutes ensemble.
Vous le voyez ?
Dans la partie immergée, en triangle avec la culpabilisation et le chantage émotionnel.

Le soir-même (pur hasard), je commence Cher connard, le dernier roman de Virginie Despentes que j’ai emprunté à la bibliothèque, et je tombe sur cette phrase :

« Les choses n’évoluent pas si tu ne les obliges pas à le faire. » (p.40)

 

Deux jours plus tard, je reçois une autre vidéo Culture Pub, envoyée cette fois par mon amie Maud. Elle m’a fait pleurer direct (ne sois pas si sensible, ne pleure pas, ne crie pas, be a lady). En même temps, je vous l’ai dit : cette semaine j’étais vulnérable. Quand j’ai reçu la vidéo de Maud, j’étais presque arrivée à ce moment récurrent de ma vie où je me dis nan mais t’inquiète, tu vas perdre trois kilos et magie magie toutes tes difficultés vont disparaître. Arrête de manger autant. Mange une salade. Ne mange pas de glucides. Saute les desserts. Fais un régime. Mon Dieu, tu ressembles à un squelette. Mais mange, voyons ! Tu es vraiment très maigre. Tu as l’air malade. Les hommes aiment les femmes qui ont des formes. Sois une taille zéro. Sois un double zéro. Sois rien. Sois moins que rien. Be a lady.

C’est en découvrant ce spot britannique réalisé par Paul McLean en 2020 que j’ai eu envie d’écrire cet article pour le relayer. Merci Maud. Be a lady.

 

Spot féministe réalisé par Paul McLean en 2020.

 

Dans mon article précédent, je vous annonçais la reprise d’une nouvelle saison des « Couilles sur la table ». Sachez qu’une deuxième saison vient d’arriver aussi pour la série « Libres ! », adaptée de l’ouvrage Libres ! – Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels (éd. Delcourt, 2017), coécrit par Ovidie et Diglee.
C’est une mini-série documentaire diffusée sur Arte dont je vous ai déjà parlé il y a un an et demi → Merci SML, sous la forme d’épisodes d’animation de 3-4 minutes pour lutter contre les injonctions sexuelles. C’est pertinent (et pas mal impertinent aussi  😉), c’est drôle, bien documenté, et c’est réalisé par Ovidie et SML qui me manque tellement depuis qu’« À bientôt de te revoir » c’est fini !!! Voilà pourquoi je déprime maintenant, Sophie-Marie, reviens !

Dans cette nouvelle saison de « Libres ! », j’ai préféré l’épisode sur la tenue vestimentaire des femmes (Va te rhabiller !), celui qui interroge la définition d’un rapport sexuel exclusivement par pénétration d’un pénis (Alors, heureuse ?), et mon best de tous : On ne peut plus draguer. Comment ça, on ne peut plus draguer ? Tu veux dire… on ne peut plus draguer comme un gros connard ? Merde alors !
Évidemment ce sont des sujets qui me tiennent particulièrement à cœur ; peut-être que pour vous ce sera plutôt l’épisode sur le « devoir » conjugal (nan mais c’est vrai, faut bien faire un effort quoi), celui sur à qui revient la charge de la contraception (guess who), ou bien encore celui sur l’asexualité (où l’on apprend que une Suédoise sur deux préfère aller un jogging plutôt que d’avoir une relation sexuelle).

Et pendant que vous y êtes, je vous invite à lire ou à relire mes six pastilles sexe de l’été 2021, inspirées d’un autre ouvrage coécrit par Ovidie et Diglee : Baiser après #MeToo – Lettres à nos amants foireux (éd. Marabulles, 2020).

 

Tous les épisodes de la série « Libres ! » sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-020447/libres/

 

En tête de mes récents articles Cher Corps et Tous et toutes ensemble, vous avez pu découvrir des illustrations tirées du livre de Camille, Je m’en bats le clito – Et si on arrêtait de se taire ? (éd. Kiwi, 2019), lui-même inspiré de son compte Instagram du même nom : #jemenbatsleclito.
Pour terminer cet article, je vous propose une vidéo de Camille que j’ai beaucoup aimée.
On va dire que c’est mon deuxième cadeau depuis que, grâce à mon crocus-clito-perce-neige, vous voyez maintenant des clitoris partout comme jadis les bites !  😝

« Avant de faire un gâteau au chocolat, on t’a expliqué comment le faire. Y’a jamais personne qui a su faire un gâteau au chocolat sans qu’on lui apprenne. Ben c’est exactement la même chose. Y’a pas de mal à demander. »

Surtout qu’il y a toutes sortes de gâteaux au chocolat, non ?
On s’y prend pas de la même façon pour faire un mi-cuit, un moelleux, un fondant, un gâteau de la kermesse ou un chocolat coulant…

 

Vidéo « Cinq trucs à savoir sur le clitoris », par Camille Aumont-Carnel (2019).

 

 

Note sur le titre de cet article

Jusqu’à hier soir, mon article s’appelait « Résister aux injonctions » parce que j’ai commencé à l’écrire après que j’ai reçu le spot Culture Pub envoyé par Maud et je trouvais qu’il collait bien à l’illustration de Gomargu que j’ai choisie en tête d’article. Mais en me relisant, j’ai pensé à tous les combats de libération féministes passés, tous ceux encore à venir, j’ai pensé au backlash qui fait mal, et je me suis demandé si on était si libérées que ça. (La réponse est non.)
Alors j’ai changé mon titre et emprunté celui du livre de Titiou Lecoq que j’ai bien aimé : Libérées – Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale (éd. Fayard, 2017). Je lui ai adjoint un point d’interrogation. Un point d’interrogation pour dire qu’on est en chemin, qu’il y a de belles avancées mais que rien n’est jamais gagné. Restons vigilant·es.

« Il faut prendre l’habitude d’interroger nos manières de faire, et de vivre, même quand il semble que tout est pour le mieux en se demandant : le mieux pour qui ? » (p.199)

« Il faut oser prendre sa place dans le monde, et même, déjà, oser prendre de la place. Il ne s’agit pas d’écraser les autres. Juste se déployer un peu plus largement, cesser de s’excuser de tout, de culpabiliser pour n’importe quoi et surtout pour mener sa vie. » (p.184)

Certes, Titiou Lecoq écrit beaucoup « il faut ». Trop pour moi. Mais les exemples qu’elle donne sont vraiment intéressants à analyser. Et très concrets. On se pose par exemple la question de savoir pourquoi il est plus facile de mettre un tee-shirt bleu à une fille qu’un tee-shirt rose à un garçon (p.196). Ou encore, pourquoi on tient pour acquis qu’une femme n’a rien à faire dans la rue à deux heures du matin (ou alors faut pas après qu’elle vienne s’étonner de se faire « embêter ») (p.161).

Pour vous donner un aperçu de son style léger, je vous livre quelques pages sur le sac à main. Ça m’a bien plu – peut-être parce que moi, le plus souvent, j’ai PAS de sac à main ! Tout dans mes poches. Quand j’en ai un, c’est celui en cuir tout mou et tout élimé de ma mère, qu’elle avait quand elle avait vingt ans, donc le truc est plus vieux que moi. Et dans ce petit sac en cuir miteux que j’aime d’amour, j’ai rien d’autre que mon portable, ma carte bleue, les papiers de mon auto, mes clopes et mes clés.

 

Extrait de « Libérées – Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale », de Titiou Lecoq (pp.152-153).

 

Extrait de « Libérées – Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale », de Titiou Lecoq (pp.154-155).

 

Je vous recommande vivement ce livre. Si vous débutez votre conscientisation féministe (c’est hyper bizarre de le dire comme ça mais tant pis) et que vous cherchez quelque chose de très concret, qui vous parle à vous, ici, en France, le livre de Titiou Lecoq est plus directement accessible que les écrits de Mona Chollet, Audre Lorde ou Monique Wittig. Que je recommande vivement aussi hein, attention ! Encore plusse même ! Mais ils sont plus complexes. Plus approfondis, plus philosophiques, et plus intersectionnels aussi.

Le prochain sur ma liste d’essais à lire est celui de Lauren Bastide que m’a offert ma copine Muguette à la fin de l’année dernière : Futures – Comment le féminisme peut sauver le monde (éd. Allary, 2022).
Ça me fait penser que je pourrais préparer une liste de livres de référence pour 2032 quand sera prêt cet article incroyable, Le féminisme & moi

 

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Et vous, avez-vous d’autres vidéos à me faire partager, de livres, de films, de séries à me conseiller, de nouveaux podcasts à écouter ?